La méthode de Gaulle

Comment le Général a progressivement et précautionneusement préparé l’opinion française à l’indépendance de l’Algérie.

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Avec 17,5 millions de « oui » pour 1,8 million de « non », le référendum du 8 avril 1962 sur les accords d’Évian et la politique algérienne de De Gaulle s’achève en plébiscite. Pour cette période la plus sombre et tortueuse de la décolonisation, le Général ne pouvait espérer conclusion plus claire et plus tranchée d’une évolution qu’il savait inéluctable. Alors que les commentateurs ne cessaient de s’interroger sur la réalité de ses intentions, certains journalistes accrédités à l’Élysée avaient été frappés par la formule d’un de ses porte-parole : « L’objectif est que l’Algérie reste dans la mouvance française. » Une « mouvance » dont le Général, dans quelques rares confidences, avait indiqué les orientations en termes on ne peut plus précis. Ainsi ces propos édifiants à André Passeron, journaliste au Monde : « Avant que je revienne au pouvoir et lorsque j’y suis revenu, j’ai toujours su qu’il faudrait donner à l’Algérie son indépendance. Mais imaginez que j’aie dit sur le Forum qu’il fallait que les Algériens prennent eux-mêmes leur gouvernement. Il n’y aurait plus eu de De Gaulle. Immédiatement ! » Il avait été plus explicite avec son ministre Alain Peyrefitte : « Ils m’auraient jeté dans le port. » Il y revient pour André Passeron et conclut : « Alors il a fallu que je prenne des précautions pour y aller progressivement. » C’est à Peyrefitte encore, et toujours à propos de l’Algérie, qu’il livrera la clé de son éthique du pouvoir et de son personnage d’homme d’État : « Ah, Peyrefitte, méfiez-vous de la vérité ! Moi, je feins de feindre pour mieux dissimuler. »
Précaution et dissimulation se confondent exemplairement dans son historique « Je vous ai compris » adressé le 4 juin 1958 à la marée humaine qui avait déferlé toute la matinée sur le Forum d’Alger. Quatre mots dont la cruelle équivoque ne doit rien à l’exaltation d’un spectacle inouï. Le Général se contrôle si bien qu’avant de former de ses bras dressés le V de la victoire, il lance au commandant en chef à ses côtés sur le balcon, par crainte de le balayer au passage : « Attention, Salan, je vais me retourner. » Les Français d’Algérie, comme la plupart de leurs compatriotes de la métropole, ne pouvaient imaginer, et refuseront longtemps d’admettre, que dans la bouche du chef de l’État, comprendre n’est pas approuver, et encore moins se rallier.
Dans la fracture de cette ambiguïté qu’il a voulue, le Général poursuit « progressivement » la route qu’il s’est fixée. Les « précautions » visent surtout désormais à préparer l’opinion à l’indépendance. En septembre 1959, il propose une « autodétermination » assortie de la « paix des braves ». Elle sera massivement approuvée par le référendum du 8 janvier 1961. Sur cette base commune, tractations secrètes et pourparlers officieux vont s’enchaîner, entrecoupés d’un épisode surprenant. Le Général veut-il appliquer une nouvelle fois sa maxime : « Il faut toujours avoir deux fers au feu » ? En pleine négociation de Melun avec les dirigeants du FLN, il accepte de recevoir les chefs de la wilaya 4 acheminés en grand secret par le clan des « colonels » à l’Élysée, sans avoir jugé nécessaire de mettre au courant son Premier ministre Michel Debré.
Le succès du 8 avril ne sera pas célébré, loin s’en faut, comme un triomphe. Il laisse aujourd’hui encore à nombre d’électeurs survivants l’impression de « lâche soulagement » stigmatisé à l’époque par les partisans de l’Algérie française et inutilement vengé par la meurtrière aventure de l’OAS.
Avec sa sensibilité corse nourrie de fidélité républicaine, Alexandre Sanguinetti, un des ministres préférés du Général, exprimera la douleur et à la fois la fatalité de ce drame de conscience national : « Dans l’histoire des nations comme dans la vie des humains, il y a des moments où pour sauver la mère il faut sacrifier l’enfant. » De Gaulle notera plus sobrement dans ses Mémoires : « La France ressent le regret de ce qui est passé et l’espoir de ce qui va venir. » À l’approbation populaire du 8 avril allait succéder, avec l’échec de l’attentat du Petit-Clamart, un jugement autrement plus important à ses yeux : celui du destin, pour qu’il poursuive « son chemin et sa vocation ».

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