Idrissa Seck à quitte ou double

Après avoir longtemps hésité, l’ancien Premier ministre a officiellement annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de février 2007. Avec Wade, la guerre est déclarée.

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 5 minutes.

« En ce quatrième jour du quatrième mois de l’année 2006, alors que la nation célèbre à l’unisson la fondation de notre République et s’apprête à en choisir le quatrième président, il me plaît d’annoncer solennellement que mon choix est fait de soumettre aux suffrages de mes compatriotes un projet de redressement national porté par une équipe représentative des compétences et des vertus de notre peuple. »
Expert en symboles, Idrissa Seck a choisi le 4 avril, jour du 46e anniversaire de l’indépendance du Sénégal, pour annoncer sa candidature à l’élection présidentielle de 2007. Féru d’informatique, il a eu recours à un système d’envoi simultané par courriel pour faire parvenir le texte de sa déclaration (en versions française et wolof) à la presse écrite. Pour les radios, il a utilisé un CD. Le même jour, il a lancé le site Internet de sa campagne (idy2007.com).
La décision de l’ancien Premier ministre et homme de confiance d’Abdoulaye Wade en a surpris plus d’un. À commencer par le chef de l’État lui-même, qui, il n’y a pas si longtemps, confiait à ses interlocuteurs : « Il ne peut pas commettre la folie de se présenter contre moi. C’est moi qui l’ai créé de toutes pièces. » De son côté, Seck avait plusieurs fois déclaré n’avoir aucune intention d’affronter son ex-mentor. Mais les vicissitudes de la vie politique ont singulièrement envenimé les rapports entre le « père » et le « fils ».
Après son limogeage de la primature, en avril 2004, Seck a été diabolisé, accusé de détournements de fonds publics et emprisonné de juillet 2005 à février 2006. Naturellement, il a aussi été exclu du Parti démocratique sénégalais (PDS), la formation présidentielle Il n’est pas sorti de ces épreuves indemne de tout ressentiment, même si, dans un premier temps, il a choisi de prendre du recul afin de réfléchir calmement à la suite à donner à sa carrière.
Le 14 février, une semaine après sa sortie de prison, il débarque à Paris, contre l’avis des boutefeux de son entourage. Il hésite encore entre le divorce et la réconciliation, à laquelle l’incitent plusieurs médiateurs. Survient le déclic, qui va précipiter les choses. Le 12 mars, invité de l’émission Le Grand Rendez-Vous (Europe 1, TV5, Le Parisien), Wade s’en prend violemment à lui. Florilège : « Je ne crois même pas qu’il rêve de revenir au PDS » ; « il y a le gouvernement, dont je suis le patron, et je l’ai mis à la porte » ; « celui-là, c’est moi qui l’ai créé » Choqué, Seck se braque.
Une anecdote révèle son nouvel état d’esprit. Le 7 mars, en visite au siège de Jeune Afrique, il s’était, en réponse à nos questions sur ce point, montré fort conciliant : « Je ne veux pas entrer dans une logique de conflit avec le chef de l’État. De toute façon, en Afrique, le cadet a toujours tort contre son aîné. » Aussitôt après la sortie de Wade, il rappelle la rédaction de J.A. et insiste pour que cette phrase soit supprimée de l’article à paraître… Bref, après avoir longtemps hésité, Seck se rallie brusquement aux arguments de ses proches (Oumar Sarr, Awa Guéye Kébé), qui ne cessent de lui répéter que persister dans son silence ou conclure une alliance avec Wade serait désastreux pour sa popularité.
Le 20 mars, il reçoit les résultats d’une étude qu’il avait commandée dès sa sortie de prison. Intitulée « Radioscopie du champ politique au Sénégal », celle-ci comporte deux volets. Le premier, qualitatif, s’efforce de déterminer la perception qu’ont les électeurs des différentes offres politiques, ainsi que leurs attentes. Le second s’attache à évaluer, chiffres à l’appui, leur degré d’adhésion aux différents « produits » (Wade, Seck, mais aussi Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho, Landing Savané, Djibo Kâ) qui leur sont proposés. Après lecture, Seck prend sa décision : il va se jeter dans la bataille.
Alors qu’il avait prévu de rejoindre Dakar pour la fête du Gamou (qui commémore la naissance du prophète Mohammed), le 10 avril, il avance son départ et quitte Paris le 1er avril. Trois jours plus tard, il prend tout le monde au dépourvu en annonçant sa candidature à la présidentielle, alors que tous les observateurs étaient convaincus qu’il se bornerait à présenter une liste pour les législatives.
Les premières réactions des proches du chef de l’État traduisent un certain embarras. Certains s’empressent de faire remarquer que l’ancien Premier ministre est toujours sous le coup de poursuites pour malversations et qu’il n’a bénéficié que d’un non-lieu partiel dans une procédure en cours. Dès le 5 avril, des indiscrétions fleurissent dans la presse. On laisse entendre que le dossier judiciaire va être réactivé Que des commissions rogatoires ont été lancées en vue de dénicher d’éventuels comptes bancaires à l’étranger
Le candidat s’était préparé à un tel retour de bâton. À en croire l’un de ses collaborateurs, « Idrissa n’aurait jamais pris le risque de briguer la magistrature suprême si Wade avait le moindre élément contre lui. Il est d’autant plus serein qu’il n’aura aucun mal à justifier l’origine de ses biens. En outre, la loi sur l’enrichissement illicite s’applique aux fonctionnaires et non à un ancien Premier ministre. Et la cour spéciale compétente pour juger ce type de délit n’existe pas. Aucune intimidation ne le fera renoncer à ses ambitions pour le Sénégal. »
Plus inquiétant pour Wade, Seck va nécessairement chasser sur ses terres électorales. « La force politique sur laquelle je compte m’appuyer est d’abord le PDS, ma famille naturelle, au sens des hommes et des femmes qui y partagent ma vision et mes valeurs et qui sont majoritaires, qu’ils soient manifestés ou cachés », précise Seck dans sa déclaration de candidature. À cette « famille » se joindront onze formations politiques, ainsi que diverses organisations réunies au sein du Mouvement de soutien à Idrissa Seck (MSIS) et de l’Initiative de la diaspora en faveur d’Idrissa Seck (IDI).
Sa candidature est évidemment susceptible de bouleverser la donne politique sénégalaise et menace de provoquer de sérieuses dissensions au sein du parti au pouvoir. Peut-elle jouer le même rôle que les défections de Moustapha Niasse et Djibo Kâ dans la défaite électorale du Parti socialiste, en 2000 ? L’avenir le dira.
Pour l’heure, les proches de Seck nouent des contacts en vue de constituer avec l’opposition des listes communes aux prochaines législatives. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Bien des choses peuvent se passer d’ici à la présidentielle, dans dix mois

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