Honneur aux réalisatrices !

Remarquable par son ouverture sur tous les talents naissants, le Festival du cinéma africain, dont la 16e édition s’est déroulée fin mars, a distingué cette année de très nombreuses femmes.

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 4 minutes.

Une jeune Tunisienne réalisatrice d’un seul court-métrage tourné en amateur peut-elle espérer un visa, un billet d’avion et un séjour en Europe pour être accueillie avec son film dans un festival professionnel ? Une autre de ses jeunes collègues fraîchement émoulue d’une école de cinéma et auteure également d’un seul court-métrage peut-elle déjà rêver de suivre les traces de la célèbre actrice italienne Claudia Cardinale quittant sa Tunisie natale à l’issue d’un concours dont le premier prix était un séjour à la prestigieuse Mostra du cinéma de Venise ?
Connaissant les dures réalités du cinéma sur le continent africain, l’on aurait envie de répondre : non ! Et l’on se tromperait ! Car ces deux « contes de fées » se sont concrétisés cette année à l’occasion d’une manifestation décidément pas comme les autres : le Festival du cinéma africain de Milan a en effet, pour sa 16e édition (du 20 au 26 mars), décidé d’inviter la jeune Imen Nafti (membre de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs), réalisatrice de 1, 2, 3 Soleil ! (adapté d’une chanson du libanais Marcel Khalifa, sur le bombardement d’enfants palestiniens par un avion israélien), à venir en Italie rencontrer les professionnels et la presse, ce qui est une première pour un film « amateur ». Il a permis d’autre part au film Les Beaux Jours, premier court-métrage de sa compatriote Meriem Riveil (les souvenirs d’adolescence d’une vieille immigrée tunisienne vivant seule à Paris), de remporter un prix représenté par un séjour à la prochaine Mostra de Venise !
Se distinguant par une ouverture totale sur tous les talents naissants sans distinction de format (pellicule ou vidéo), de genre (fiction, documentaire, reportage, animation, etc.) ou d’origine (réalisateurs ou réalisatrices d’Afrique ou de la diaspora, vivant ici ou ailleurs), le Festival de Milan, réservé à ses débuts aux films issus ou traitant du continent africain, a dû, devant leur raréfaction, s’ouvrir depuis quelques sessions aux films d’Asie et d’Amérique latine. Cependant, ces derniers bénéficiant souvent d’une tradition industrielle plus ancienne et de moyens financiers plus importants, et pour ne pas faire courir aux réalisations africaines le risque de disparaître totalement du palmarès, le festival a prudemment conservé deux sections compétitives réservées aux courts-métrages africains (documentaires et fictions), une section non compétitive (« Panorama du cinéma africain ») et un prix spécifique (Prix du meilleur film africain). Ce dernier a été attribué cette année à Barakat, premier long-métrage de l’Algérienne Djamila Sahraoui. Ce road-movie décrit le périple de deux Algériennes de deux générations différentes, parties ensemble à la recherche du mari de la plus jeune, un journaliste enlevé par un groupe armé islamiste.
Est-ce parce que le Festival est presque entièrement dirigé par des femmes, de l’organisatrice de toujours Gabriella Rigamonti aux directrices artistiques Anna-Maria Gallone et Alessandra Speciale (qui ne font pourtant pas partie des différents jurys), que le palmarès a été cette année largement dominé par des réalisatrices ? Pour les longs-métrages, le premier Prix est revenu à la Française Karin Albou pour La Petite Jérusalem, chronique d’une famille juive maghrébine installée dans la banlieue parisienne. Le deuxième Prix à la Chinoise Li Shao Hong pour Vies perdues, sur les différences de classes dans le Pékin d’aujourd’hui. Le troisième Prix a été décerné à la Libanaise Jocelyne Saab pour Dounia. Tourné au Caire, ce film fait déjà scandale auprès des milieux islamiques, car il dresse le portrait d’une jeune universitaire férue de poésie soufie qui choisit la danse du ventre comme affirmation du droit de la femme arabe à la sensualité face aux inhibitions et aux régressions conservatrices du monde arabe contemporain.
Le Prix du meilleur documentaire est allé à Just Married, de l’Israélienne Ayelet Bechar, qui dénonce les lois récentes interdisant à une Arabe israélienne d’épouser un Palestinien sous peine de devoir quitter Israël et d’être rejetée de la même façon en tant qu’« Israélienne » dans les territoires palestiniens ! Le Prix du meilleur court-métrage de fiction revenant à And there in the Dust de la Sud-Africaine Lara Foot Newton, qui dénonce la monstruosité des viols de nourrissons advenus dans son pays, et la Mention spéciale à Deweneti de la Sénégalaise Dyana Gaye, portrait plein d’humour d’un petit mendiant de Dakar.
Les réalisateurs masculins primés, dont le Franco-Marocain Brahim Fritah, le Sud-Africain Avie Luthra et les Iraniens Hamid Rahmanian et Mohamed Ahmadi ont dû se contenter de mentions ou de prix parallèles pour leurs uvres respectives, les courts-métrages Le Train et Lucky, et les longs-métrages Poète des déchets et Dame Sobh. Le seul long-métrage inédit d’Afrique noire, L’Appel des arènes de Cheick N’Diaye, une adaptation ludique du roman d’Aminata Sow Fall sur la lutte sénégalaise, étant, lui, injustement oublié, à cause de l’« air du temps » résolument féministe de la session 2006. Un air du temps épinglé non sans humour par le président du jury lui-même, le grand comédien malien Sotigui Kouyaté, connu internationalement depuis sa participation au célèbre Mahabharata de son ami le metteur en scène anglais Peter Brook.
Au terme d’un hommage que lui rendait cette année le Festival de Milan en présentant tous ses films, et après avoir salué à juste titre l’exceptionnelle convivialité d’une manifestation dont l’échelle réduite rend possibles des rencontres qui « permettent de trouver réellement les voies de la complémentarité entre les cultures », Sotigui Kouyaté a clos le Festival en récitant le conte africain suivant : « Un homme ayant libéré un génie prisonnier d’une bouteille choisit comme vu de devenir d’abord dix fois, puis vingt fois, puis cinquante fois plus intelligent. Insatiable, il demande au génie comme dernier vu de le rendre cent fois plus intelligent. Le génie le prévient : Tu ne seras pas content ! L’intéressé insiste et se retrouve transformé en femme. »

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