Et si les Français avaient raison ?

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Les Français, évidemment, ont toujours été hostiles au « capitalisme sauvage », depuis que ce loup-garou a fait son apparition dans les « sataniques » usines britanniques du XIXe siècle, avant de traverser l’Atlantique pour s’y aménager une autre tanière. Un récent sondage sur le capitalisme et l’économie de marché a révélé que 74 % des Chinois pensent que c’est le meilleur de tous les systèmes, contre seulement 36 % des Français. (Les Allemands ne sont pas très loin des Français.)
La question essentielle, c’est : de quel capitalisme parlons-nous ? Depuis 1970, deux changements fondamentaux sont intervenus dans le modèle dominant, l’américain. Le premier est que la version réformée américaine de l’après-New Deal, qui prévalait en Occident après la Seconde Guerre mondiale, a été remplacée par un nouveau modèle, où les objectifs et le partage des responsabilités sont différents. Selon le modèle précédent, les entreprises avaient le devoir d’assurer le bien-être de leurs employés et des obligations à l’égard de la société (dont elles s’acquittaient principalement, mais pas exclusivement, en payant des impôts). Ce modèle a été remplacé par un autre, où les dirigeants ont la responsabilité de créer pour les actionnaires une « valeur » à court terme qui se mesure à l’appréciation du capital et au versement de dividendes trimestriels. Le résultat pratique a été une pression constante pour réduire les salaires et les avantages dont bénéficie l’employé, ainsi qu’un lobbying politique et des campagnes de presse pour faire baisser la contribution fiscale au financement public.
En deux mots, le système existant dans les pays avancés a été remanié depuis les années 1960 pour reprendre de la richesse aux salariés et au financement public, et la transférer aux actionnaires et aux dirigeants des sociétés.

Ce qui peut paraître des propos incendiaires me semble à moi une simple observation factuelle. La critique que l’on fait actuellement aux Européens qui s’opposent à la « réforme » est qu’ils empêchent les patrons de réduire les coûts et de délocaliser les emplois pour ajouter de la « valeur » à l’entreprise. C’est ce que j’ai appelé le « capitalisme de PDG », puisque les patrons actuels font ce qu’ils veulent de leurs conseils d’administration et qu’ils sont aussi ceux qui profitent le plus du système, car ils ne sont soumis qu’à l’attention critique des gestionnaires de fonds d’investissement, lesquels cherchent eux-mêmes à maximiser les dividendes, et non pas à défendre les travailleurs ou l’intérêt public.
Le second changement, c’est la mondialisation. La conséquence la plus importante pour les pays avancés est qu’elle met la main-d’uvre en concurrence avec les pays les plus pauvres de la planète. Il n’y avait jamais eu jusqu’ici de main-d’uvre illimitée. Il y en a une, désormais, du fait de la mondialisation. Et ce n’est qu’un début.
Il me semble que cette agitation européenne met en lumière un grave manque de compréhension politique et patronal des conséquences humaines d’un modèle capitaliste qui considère la main-d’uvre comme une matière première, et qui fait jouer la concurrence dans le monde entier sur le prix à payer pour cette matière première.
À long terme, tout cela peut avoir des implications politiques plus graves que les étudiants français politisés eux-mêmes ne l’imaginent. Ce qui paraît être une position réactionnaire ou même luddite – du nom de ces ouvriers anglais menés par Ludd qui, au XIXe siècle, détruisaient les machines pour lutter contre le chômage – pourrait un jour se révéler prophétique.

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