Drôle de guerre

En racontant l’histoire de tirailleurs sénégalais débarquant dans un village français en 1940, Pierre Javaux a choisi de parler d’amour et de tolérance plutôt que de combats meurtriers.

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 4 minutes.

Mai 1940. Un petit village au cœur des Ardennes, dans le nord-est de la France. C’est l’époque dite de la drôle de guerre. Les troupes allemandes sont en Belgique, à quelques kilomètres de là. La rumeur de leur entrée en France a fait fuir tous les villageois. Tous, sauf une poignée d’irréductibles : Gustave, un grand-père en apparence bourru, et ses deux petits-enfants orphelins, Camille et Étienne. Cette petite famille vit, sans le savoir, ses derniers jours de paix. Son destin est sur le point de basculer. Non pas par l’entrée des chars allemands – car, contrairement aux apparences, la guerre ne joue ici qu’un rôle très secondaire -, mais par l’arrivée d’une troupe de cinq soldats dans leur village. Ils portent l’uniforme de l’armée française. Ils sont noirs. Ce sont des « tirailleurs sénégalais ».

Pour son premier film en tant que réalisateur, le producteur français Pierre Javaux a réussi un coup de maître : faire un film de guerre qui ne parle de rien d’autre que d’amour. « Avant de relater un fait historique, mon ambition était de faire une fable sur la tolérance », explique-t-il. Pari réussi, sans mièvrerie ni complaisance aucune. Gustave, le grand-père, est campé par un Michel Serrault troublant de sensibilité. Un personnage ambigu, qu’on est d’abord tenté de haïr tant il est fourbe et méprisant, raciste même. Mais, très vite, on comprend que cette attitude n’est rien d’autre que de la méfiance, et la maladroite expression de l’affection qu’il porte à ses petits-enfants et aux autres. « Pour ce personnage pivot, il me fallait un comédien qui soit porteur à la fois de rationnel et d’irrationnel. Michel Serrault était vraiment une évidence. »

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À l’image du personnage du grand-père, toute l’émotion du film joue sur cette ambivalence, sur cette innocence qui tente d’échapper à la cruauté du monde, « sur un fil naïf entre la fantaisie et la réalité ». Un numéro de funambule pour le réalisateur. Il a fait preuve de beaucoup d’adresse et de délicatesse pour raconter l’Histoire nue, crue, sous ses traits décharnés, et réécrire ses pages les plus sombres dans celles de ce conte pour enfants. Ici, les héros ne sont pas ceux qui se battent contre l’ennemi mais ceux qui se battent contre eux-mêmes. Comme le dit le cinéaste, s’il devait y avoir une morale, elle serait la suivante : « Avant de repousser un étranger, méfie-toi, tu es peut-être devant ton frère ou devant toi-même. »

Cette leçon de vie prend pour prétexte une leçon d’histoire, ou plutôt un rappel. La jeune actrice Emma Javaux, émouvante aux larmes dans le rôle de la petite-fille, avoue n’avoir jamais entendu parler des tirailleurs sénégalais avant le film, « même pas dans les cours d’histoire ». Les Enfants du pays mettent en lumière l’épreuve de ces soldats de l’armée française, de ces « colonisés » sacrifiés en première ligne pour permettre aux vaillantes troupes d’avancer. Cette histoire, ce film, c’est le leur. Ils y jouent le rôle principal. Contrairement aux apparences et aux préjugés, ce sont bien eux « les enfants du pays ».

Malick, Baye Dame, Bha, Lamine, Soguy L’auteur a pris soin de dessiner soigneusement chacun de ses personnages, un peu comme d’autres accrocheraient des galons. Sans caricature ni sublimation, mais avec un profond respect, voire un soupçon d’admiration. Le spectateur découvre ainsi les destins de ces hommes qui se sont retrouvés à des milliers de kilomètres de chez eux pour se battre pour un pays et non pas avec lui. Ceux-là mêmes qu’on appelait « sénégalais » par commodité, alors que, issus des quatre coins de l’« Afrique française », ils venaient de pays aux cultures les plus variées.

Chacun de ces hommes a donc sa personnalité propre, à l’instar du caporal Malick. Au mépris du villageois il répond par une affabilité irritante. Mais il mène sa patrouille sans ménagement. Constamment, il brime ses hommes et les reprend quand ils parlent leur langue maternelle. Il les oblige à utiliser le forofifon, ce jargon appelé vulgairement « français tiraillou » ou « petit nègre » qui était imposé aux tirailleurs par l’armée française. Ce personnage tout en contraste est interprété avec brio par William Nadylam, acteur français d’origine camerounaise qui a beaucoup travaillé avec le Britannique Peter Brook, notamment en incarnant Hamlet au théâtre. Mais ce rôle de tirailleur en chef a été autrement plus complexe. « Ce n’est ni un héros ni un antihéros, explique William Nadylam. C’est juste quelqu’un qui est là presque par erreur. » Pour comprendre son personnage, le comédien s’est longuement préparé en se plongeant dans les documents d’archives et les biographies d’anciens combattants africains.

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Quant à sa troupe, c’est une palette de personnalités qui n’ont finalement de commun que l’uniforme. Il y a le doyen Baye Dame, sorcier poète et fantasque (interprété par l’acteur Pascal Nzonzi), Bha, le jeune tirailleur tout juste sorti de l’enfance (Ralph Amoussou), Massamba, l’énigmatique guerrier du Dahomey (Allen Parnell), et les frères Lamine et Soguy (Jacky et Cédric Ido), qui forment un duo complice et plein d’humour. L’humour, mais aussi l’amour habitent d’ailleurs chaque plan et chaque scène de ce film résolument humain.
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Les Enfants du pays, de Pierre Javaux. Sortie en France le 19 avril.

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