Déby Itno contre Déby Itno

L’opposition non armée appelle au boycottage de la présidentielle du 3 mai prochain. Les rebelles font tonner le canon dans l’est du pays. Le chef de l’État sortant fait front.

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Drôle de présidentielle au Tchad. « Le 3 mai prochain, on va voter au bruit du canon », dit un commerçant de N’Djamena sur un ton désabusé. De fait, à l’est, la guerre continue. Les rebelles ne lâchent pas prise. Certes, le Socle pour le changement, l’unité nationale et la démocratie (Scud) de Tom Erdimi est provisoirement neutralisé, mais le Rassemblement pour la démocratie et la liberté (RDL) de Mahamat Nour reste une vraie menace. La preuve : la mort au combat, le 30 mars dernier, du chef d’état-major de l’armée de terre, le général Abakar Youssouf Itno, neveu du président.
Derrière les rebelles, le Soudan. Et la logique implacable de la guerre au Darfour. Les combattants du Scud sont zaghawas. Ils appartiennent à la même ethnie qu’une partie des rebelles du Darfour. Le 20 mars dernier, le gouvernement soudanais les a donc abandonnés en rase campagne. Il a autorisé l’armée tchadienne à passer par son territoire pour les prendre à revers. Les éléments du RDL, eux, sont en bons termes avec les milices arabes Djandjawids qui luttent contre les rebelles du Darfour. Le gouvernement de Khartoum leur laisse donc une grande liberté de manuvre. Le 18 décembre dernier, ils ont subi de grosses pertes devant Adré. Mais trois mois plus tard, le 30 mars, ils ont attaqué Moudeïna avec des armes, des véhicules et des uniformes flambant neufs. Comme s’ils bénéficiaient d’un bon soutien matériel
Pourra-t-on voter pendant la guerre ? Idriss Déby Itno le croit. Le 23 mars, il a lancé : « Nous avons mis un terme à tous les désordres créés par les aventuriers. » Une semaine plus tard, les faits l’ont démenti. Aujourd’hui, il essaie de circonscrire les opérations militaires dans l’est du pays, près de la frontière soudanaise. Objectif : empêcher la guerre de polluer sa réélection.
Beaucoup d’observateurs pensent que c’est justement la perspective de cette élection qui a rallumé les braises de la guerre civile. En novembre 2003, le président tchadien a annoncé son intention de modifier la Constitution pour pouvoir se représenter. En mai 2004, première tentative de coup d’État à l’intérieur de son propre clan. En novembre 2005, entrée en rébellion de Tom Erdimi.
Cet amendement de la Loi fondamentale a provoqué aussi la rupture du dialogue entre le pouvoir et l’opposition non armée. En 2005, ses principaux leaders ont appelé au boycottage du recensement électoral, puis du référendum constitutionnel. Avec un certain succès. Cette année, les mêmes demandent aux Tchadiens de rester chez eux le jour du vote. « Cette fois, on n’accompagne pas Déby dans une mascarade électorale », lâche l’opposant Ngarledji Yorongar. « S’il n’y a pas dialogue national et reprise du recensement électoral, nous appelons à la désobéissance civique », déclare de son côté la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC). Saleh Kebzabo résume le mot d’ordre à sa façon : « Le 3 mai, que personne ne sorte ! »
Fait sans précédent, par sa réforme de la Constitution, Idriss Déby Itno a réussi à unifier toute l’opposition. Pas un seul adversaire de la réforme de l’an dernier n’ira au vote. Les quatre candidats, qui vont affronter le président sortant, sont des alliés du régime. Deux d’entre eux sont au gouvernement : Pahimi Padacké Albert à l’Agriculture et Mahamat Abdoulaye à la Décentralisation. Brahim Koulamallah dirige un petit parti sans député. Seule personnalité en vue, l’ancien Premier ministre Kassiré Coumakoye a appelé à voter oui au référendum de 2005.
Alors, comment légitimer aux yeux de la communauté internationale ce scrutin sans enjeu ? Depuis quelques jours, Déby Itno hausse le ton. Il cherche à diaboliser les partisans du boycottage. Le 4 avril, lors de son premier meeting électoral à N’Djamena, il a mis l’opposition non armée et les rebelles dans le même sac : « Les deux groupes ont un seul et unique programme politique : m’éliminer. Le premier souhaite le faire politiquement. Le second a choisi la voie de la violence physique. Pour parvenir à ce dessein inique, des alliances contre nature sont tissées entre ces deux compères. »
Faute de preuves, il n’est pas sûr que ces accusations convainquent grand monde. Sauf peut-être les gouvernements qui soutiennent déjà le régime. Le 16 mars dernier, lors d’une rencontre avec l’opposition, l’ambassadeur de France à N’Djamena, Jean-Pierre Berçot, a banalisé la réforme constitutionnelle : « Le Tchad n’innove pas en la matière. C’est la mode en Afrique. » Quatre jours plus tard, c’est un avion Transall français qui a transporté Idriss Déby Itno et sa garde rapprochée sur le champ de bataille face aux rebelles du Scud.

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