Contre « la littérature francophone »

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 2 minutes.

Peu de gens auraient l’idée d’appeler Flaubert ou Céline « francophones » ; et même des écrivains d’origine étrangère, s’ils ne viennent pas d’un pays du Sud, sont vite assimilés à des écrivains français ; je n’ai jamais entendu décrire Apollinaire ou Cioran comme des « francophones » []
Mon propos n’est pas de défendre une quelconque « confrérie » des écrivains migrants. Eux se nourrissent de l’adversité autant que de l’hospitalité, de la souffrance plus que de la joie, du confinement mieux encore que de la liberté – de tout cela est faite la littérature, depuis toujours.

Pour eux, je ne me fais pas de soucis. Pour la France, je m’en fais. Car ce dérapage sémantique est, à l’évidence, un symptôme. Si la notion de « littérature francophone » a été pervertie, détournée de son rôle rassembleur pour devenir un outil de discrimination, si le mot qui devait signifier « nous tous » a fini par signifier « eux », « les étrangers », c’est – ne nous voilons pas la face ! – parce que la société française d’aujourd’hui est en train de devenir une machine à exclure, une machine à fabriquer des étrangers en son propre sein.
Son carburant, la peur. Peur de l’Europe, soudain – encore un « nous » qui s’est transformé insidieusement en « eux » ! Peur des Anglo-Saxons. Peur de l’islam. Peur de l’Asie qui s’élance. Peur de l’Afrique qui piétine. Peur des jeunes. Peur des banlieues. Peur de la violence, de la vache folle, de la grippe aviaire Peur et honte de son passé, au point d’enterrer ses dossiers et de ne plus oser célébrer ses victoires. Ceux qui chérissent la France et qui se sont nourris de son histoire, ceux qui y sont nés comme ceux qui l’ont choisie, ne peuvent que souffrir au spectacle d’une société tremblante et honteuse qui n’ose plus se regarder dans le miroir du temps.

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Sans doute certaines peurs ne sont-elles pas injustifiées. Ce siècle a fort mal commencé, les forces de l’obscurantisme et de la régression sont manifestement à l’uvre sur tous les continents ; certains jours, elles paraissent même triomphantes. Mais n’est-ce pas là une raison supplémentaire pour que la France ne se trompe pas de combat ? En entrant dans la logique des crispations identitaires, on perd sa propre raison d’être, on perd sa crédibilité morale et sa place parmi les nations
Or le monde a besoin de la France. Quand elle soutient des causes justes, elle peut encore faire la différence ; moi qui viens du Liban, je puis en témoigner. Mais le monde n’a pas besoin de n’importe quelle France. Il n’a que faire d’une France frileuse et déboussolée qui veut se protéger des fantomatiques « plombiers polonais » voleurs d’emplois, et se démarquer à tout prix de ces poètes étranges qui viennent de si loin pour lui voler sa langue.

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