Bagdad, la forteresse assiégée

Dans un récit éloquent, l’envoyé spécial de la New York Review of Books décrit l’enfermement, la peur et la routine auxquels sont condamnés les journalistes étrangers travaillant dans la capitale irakienne.

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 2 minutes.

Quelle différence y a-t-il entre la vie quotidienne d’un reporter américain en Irak et celle d’un détenu présumé terroriste de la base-prison de Guantánamo ? Aucune, si ce n’est que le premier ne souffre ni de mauvais traitements ni de pénurie de sodas. En caricaturant un peu – à peine -, tel pourrait être le résumé du long reportage qui suit, publié dans la dernière livraison de la New York Review of Books. Être envoyé spécial à Bagdad en ces premiers mois de 2006, c’est se condamner à l’enfermement, à la peur, à la routine, au danger permanent et, en définitive, à une dépendance quasi névrotique vis-à-vis d’une armée d’occupation elle-même en état de siège. Orville Schell, qui a fait le voyage, décrit tout cela dans un long récit, qui ne prétend pas rendre compte de la situation politico-militaire de l’Irak trois ans après la chute de Saddam Hussein, mais qui, dans le fond, en dit plus long que bien des analyses savantes.
Pourquoi expliquer, d’ailleurs, ce que l’on sait déjà ? Depuis le 22 février, date de la destruction du mausolée d’or de Samarra, la guerre contre l’occupant américain se double d’une guerre civile qui a fait un millier de victimes en trois semaines. Trois années de Pax americana se sont déjà soldées par la mort d’au moins 90 000 Irakiens
(selon le ministre de l’Intérieur) et 2 300 GI’s – et voici que se profile le spectre d’un affrontement généralisé entre chiites et sunnites. Pour éviter cette chute dans ce que George W. Bush lui-même appelle « les abysses », Américains et Britanniques fondent leurs espoirs sur un gouvernement d’union nationale à Bagdad, « notre seule digue contre le pire », selon l’ambassadeur US Zalmay Khalilzad. Mais comme la tragédie n’est jamais loin de la comédie, cela fait quatre mois, depuis les élections du 15 décembre 2005, que les chefs des principaux partis chiites, sunnites et kurdes tournent en rond, incapables de s’entendre. Candidat de la coalition chiite arrivée en tête du scrutin, le Premier ministre sortant Ibrahim al-Jaafari – que Washington considère comme un sous-marin de l’Iran, proche de surcroît de l’imam radical Moqtada Sadr – fait de la résistance, sans parvenir à débaucher les huit mandats qui lui manquent. Fin mars, dans le plus pur style néocolonial, Condoleezza Rice et Jack Straw débarquent donc à Bagdad pour écarter Jaafari et mettre à sa place un homme plus docile et réputé moins islamiste, le vice-président Adel Abdel Mahdi (un économiste formé en France). Mais les deux acolytes avaient sans doute oublié que l’un des bienfaits supposés de l’invasion américaine était justement d’avoir apporté la démocratie. Résultat : Jaafari proteste, s’accroche – jusqu’à quand ? -, et l’opération commando tourne au fiasco. Ainsi va l’Irak « libéré », entre barbarie et palinodie.

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