Covid-19 : la Tunisie s’engage dans la numérisation des données
En pleine flambée du virus, l’initiative Covidar permet de désengorger les hôpitaux et d’accompagner les malades à domicile. Présent dans huit gouvernorats, le projet est aussi un test de digitalisation des informations de santé, mais les fonds manquent déjà.
Le Covid-19 continue de frapper la Tunisie de plein fouet. Avec plus de 15 000 morts (sur 450 000 contaminations) depuis le début de la pandémie, ce petit pays d’environ douze millions d’habitants est classé quatrième en terme de létalité (ratio entre le nombre de morts et le nombre de cas) par l’université de médecine Johns Hopkins. Alors que le nombre de cas croît, les vaccins se font toujours attendre. Jusqu’à présent, 5 % de la population a reçu une première dose (un peu plus de deux millions de personnes) et seules quelque 600 000 personnes ont bénéficié d’un rappel.
La situation y est jugée « extrêmement alarmante » par Pierre Nabeth, responsable de l’information d’urgence et de l’évaluation des risques à l’OMS. D’autant plus que le variant Delta s’y propage, et « y représente probablement une large proportion des contaminations », selon ses estimations.
Le déploiement d’équipes mobiles pour vacciner les habitants de l’intérieur, et d’hôpitaux militaires de campagne dans les régions les plus touchées (comme Kairouan) ne suffisent pas. Le 5 juillet, le ministère de la Santé mettait en garde la population face à l’occupation de 91,8 % des lits de réanimation et 79,8 % des lits à oxygène dans les hôpitaux publics. Les autorités multiplient en parallèle les mesures coercitives : déplacements interdits entre certaines régions, confinement ciblé dans plusieurs délégations, fermetures de cafés pour non-respect du protocole sanitaire, multiplication des contraventions pour absence de port du masque…
Lacunes du système de santé
Une pétition circule depuis le début de la semaine pour réclamer d’urgence des aides de l’OMS et de la communauté internationale. Elle a recueilli près de 10 000 signatures en 48h. Face aux lacunes du système de santé, les initiatives citoyennes se sont multipliées depuis le début de la pandémie, de part et d’autre de la Méditerranée, pour faire face au manque de moyens et à l’engorgement des structures sanitaires. Plusieurs voix de la diaspora avaient récemment appelé la France à aider le pays en marge de la visite officielle de Kaïs Saïed à Paris.
Une autre initiative, Covidar, lancée en décembre par cinq médecins à Tunis et Paris, compte désormais une vingtaine de membres. Inspiré du système de télésuivi Covidom de l’APHP, en France, le dispositif prend en charge gratuitement les citoyens de huit gouvernorats : Ben Arous, Monastir, Sfax, Tozeur, Kairouan, Kelibia, Djerba, Beja (et bientôt Sousse, Sidi Bouzid et Siliana).
En cas de symptômes, les malades peuvent appeler un numéro vert. Au bout du fil, des membres de l’association, des internes en médecine de Tunisie, les classent selon leur état. Pour les cas jugés les plus graves, un lien est établi avec les structures hospitalières. Les patients jugés moins à risques sont accompagnés directement à domicile. Jusqu’à présent 2 100 personnes ont pu bénéficier d’un tel suivi chez elles.
Une numérisation généralisée ?
98 % des patients pris en charge ont guéri, assurent ses responsables, qui comptabilisent 1 % de mortalité, contre 3,8 % en moyenne nationale, soulignant la nécessité de ce type d’accompagnement préventif. En tout 140 infirmiers et médecins sont déployés dans le cadre de Covidar, grâce à une application qui rapproche offre et demande en les géolocalisant, et permet aux professionnels de numériser les dossiers de santé. Elle a été développée pro bono par la société Katomi, spécialisée dans la santé numérique, entre sa base de Marseille et sa filiale tunisienne. Seul le coût de la prise en charge des patients (moins de deux euros par personne pour l’hébergement des données et l’envoi de notifications SMS) a été répercuté.
On pourrait expliquer la surmortalité par l’utilisation irrationnelle d’antibiotiques qui créent des germes multirésistants
Katomi a formé les professionnels de santé tunisiens impliqués dans Covidar. Et pourquoi ne pas aller plus loin ? « Nous aurions aimé installer également des téléconsultations mais le cadre légal ne le permet pas encore », regrette le docteur Hedi Michau, son fondateur. Alors que le dossier médical partagé reste un serpent de mer dans le pays, il espère que les données épidémiologiques récoltées grâce à Covidar serviront de premiers pas à une numérisation généralisée.
Elles pourraient également servir la stratégie du pays face à la pandémie. « En attendant, on pourrait sans doute expliquer la surmortalité en Tunisie, non pas par le nombre de comorbidités, elles ne sont pas plus fréquentes qu’ailleurs, mais par l’utilisation absolument irrationnelle d’antibiotiques qui créent des germes multirésistants », assure Faiez Zannad, l’un des cofondateurs de Covidar, professeur retraité de médecine du CHU de Nancy. Cet ex-conseiller au ministère tunisien de la Santé (en 2014), avait co-fondé il y a plusieurs années l’entreprise de recherche clinique Eshmoun (du nom de la déesse punique de la guérison) pour encourager la prise en compte des données de santé dans la recherche académique.
Appel aux bailleurs
Le chanteur Mehdi Ayachi, le slameur Hatem Karoui, l’ex-ministre de la Culture Sonia M’Barek… plusieurs célébrités ont déjà prêté leur voix à une vidéo de soutien. Des plasticiens ont également organisé une vente de tableaux au profit de Covidar. « Notre ambition est de couvrir tout le territoire car aucun gouvernorat n’est épargné, mais nous avons écoulé l’ensemble des 350 000 dinars collectés », s’inquiète le docteur Chokri Jeribi, porte-parole de Covidar et autre cofondateur d’Eshmoun. Alors que les appels à l’aide des structures hospitalières se multiplient dans d’autres villes, comme Sousse, les fonds manquent pour continuer ce dispositif relais dans les huit régions déjà couvertes.
Jusqu’à présent, le projet, coordonné par le Lion’s Club de Tunis, a bénéficié de dons privés, récoltés notamment auprès d’une cinquantaine d’entreprises tunisiennes. L’équipe étend désormais son appel aux soutiens internationaux. « Nous avons constaté une véritable flambée des cas en juin, le mois de juillet s’annonce très dur si nous n’avons pas de rentrée de fonds rapidement », prévient Sami Zitouni, gouverneur du Lion’s Club dans le pays.
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