G5 Sahel : après Barkhane, quelle stratégie de stabilisation ?
Un sommet se tient ce 9 juillet, un mois après l’annonce de la fin de Barkhane. Au menu, la redéfinition de la collaboration militaire. La voix des sociétés civiles, qui appellent à une révision des priorités, doit aussi être entendue.
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Allassane Drabo
Allassane Drabo est directeur Afrique de l’Ouest chez Search for Common Ground.
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et Louis Le Masne
Louis Le Masne est spécialiste de programme chez Search for Common Ground.
Publié le 9 juillet 2021 Lecture : 7 minutes.
La fin de l’opération Barkhane, annoncée par le président Emmanuel Macron le 10 juin 2021, acte un état de fait : une approche centrée sur le volet sécuritaire – qui ne prend pas suffisamment en compte l’aspect multidimensionnel de la crise – est une impasse au Sahel. Il n’y a jamais eu autant de victimes parmi les civils qu’en 2020, selon l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled), avec plus de 2 400 personnes tuées dans les attaques menées par des groupes armés et dans le cadre d’opérations antiterroristes au Niger, au Mali et au Burkina Faso. C’est ce décalage entre la militarisation de la région et la détérioration inexorable du contexte sécuritaire qui pose question. Et si l’annonce du chef de l’État français était l’occasion de repenser collectivement les politiques de stabilisation ?
Réorientation des priorités
Le bilan contestable de Barkhane (et de l’ensemble des dispositifs de coopération l’accompagnant) se caractérise par une insuffisante prise en considération du tissu social et des causes profondes des conflits. Aujourd’hui, de nombreuses organisations de la société civile regroupées au sein de la Coalition citoyenne pour le Sahel, dont Search for Common Ground fait partie, appellent à une réorientation radicale des priorités. Notamment en plaçant au cœur de la stratégie des réponses à trouver la protection des civils, la crise de gouvernance, le dialogue avec l’ensemble des parties prenantes et la lutte contre l’impunité.
Le rayon d’action des groupes armés affiliés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim) et à l’État islamique au grand Sahara (Eigs), initialement circonscrit au nord du Mali, s’étend désormais au sud-ouest du Niger et au nord-est du Burkina Faso, produisant un effet de contagion jusqu’aux frontières des États du golfe de Guinée. Au-delà de ce constat, l’objectif de « neutralisation » des chefs de l’Eigs et du Gsim n’est pas en phase avec les préoccupations sécuritaires des populations exposées aux conflits. Celles-ci craignent autant les exactions des forces armées nationales que celles des milices locales dans certaines zones contestées. Les violences ont également pris une tournure communautaire préoccupante avec l’émergence de groupes dits d’autodéfense qui polarisent les tensions et exacerbent un certain nombre de conflits préexistants à la crise.
Répondre aux préoccupations des populations
De façon inquiétante, l’importance des exactions des forces armées nationales montre les limites des politiques de coopération, menées depuis de nombreuses années, dans le domaine de la défense et de la sécurité. Il convient de s’interroger sur l’efficacité d’une stratégie qui passe avant tout par le renforcement du personnel et du matériel, mais sans impact significatif sur le terrain. Des approches complémentaires, visant à améliorer la confiance entre les communautés et les forces de défense et de sécurité au niveau local, ont montré des résultats probants, tels que la réduction des abus commis par les forces armées, l’amélioration du sentiment de sureté chez les populations et l’adoption de mesures sécuritaires élaborées conjointement avec les autorités.
Gagner les cœurs et les esprits n’est pas l’objectif
L’objectif n’est pas de « gagner les cœurs et les esprits », mais de donner aux communautés les voies et les moyens de contribuer à leur sécurité, dans le respect des droits et des devoirs des citoyens et des acteurs régaliens. Dans certaines communes du centre du Mali et de l’ouest du Niger, par exemple, les efforts de Search for Common Ground et d’autres partenaires ont permis de renforcer la collaboration : les communautés n’hésitent plus à faire appel aux forces de défense et de sécurité pour prévenir les incidents violents, tandis que les autorités prennent davantage en considération les besoins exprimés par les populations.
L’exaspération et le désespoir des communautés qui vivent en zones de conflit se traduisent désormais par des manifestations récurrentes contre l’inaction des autorités face aux nombreuses attaques dont elles font l’objet. En témoignent celles ayant été organisées à la suite du massacre de Solhan au Burkina Faso. Dans ces conditions, les priorités des stratégies de stabilisation doivent être définies sur la base des besoins exprimés par les populations locales pour ne pas être perçues comme soutien aux élites ayant failli en matière de décentralisation, de démocratisation et de développement. Il convient également de prêter une attention particulière aux risques de protection spécifiques auxquels peuvent être confrontés les acteurs communautaires qui collaborent avec les forces de sécurité, trop souvent éludés dans l’appui apporté aux systèmes « d’alerte précoce-réponse rapide » et aux « activités civilo-militaires à impact rapide ».
Le déploiement en cours des bataillons des forces armées reconstituées dans le nord du Mali ne pourra faire l’économie d’un dialogue inclusif et continu
Restaurer l’autorité de l’État est un objectif central, mais qui n’est pas toujours viable dans des zones où il est largement absent et où sa présence n’est pas toujours considérée comme salutaire par les communautés. Dans ces régions dites périphériques, la majorité de la population vit en zones rurales. La faiblesse des services sociaux de base, l’absence de l’administration territoriale (en dehors des grands centres urbains) et le manque d’opportunités socio-économiques concourent au fait que les populations, et particulièrement les jeunes, ne comptent pas sur les autorités pour améliorer leur quotidien. La crise de gouvernance – qui caractérise ces espaces – répond à des causes profondes, à la fois historiques, sociopolitiques et géographiques. Elles ne pourront être réglées autrement que de façon endogène et holistique. À cet égard, le déploiement en cours des bataillons des forces armées reconstituées dans le nord du Mali ne pourra faire l’économie d’un processus de dialogue inclusif et continu autour du renforcement des services publics essentiels permettant de créer les conditions d’une confiance renouvelée entre les populations, les autorités et les acteurs de la sécurité.
Engager un travail de réconciliation
Enfin, il est nécessaire d’engager un travail de réconciliation dans les zones où les violences ont profondément divisé les populations, tout en mobilisant l’ensemble des instruments de l’aide publique au développement autour d’initiatives permettant d’améliorer le quotidien dans les zones relativement stables. Cela pour éviter la dislocation du tissu social et la propagation des discours de groupes extrémistes violents. Il est temps de soutenir (de façon plus systématique et coordonnée) les processus de transformation de conflits initiés par les parties prenantes locales, en leur donnant les moyens d’agir avec tous ceux qui ont la capacité de contribuer positivement à la construction de la paix. De ce point de vue, la politique du gouvernement nigérien – qui visait dès 2017 à encourager le désengagement et la réintégration des combattants de Boko Haram du côté du bassin du lac Tchad – est une tentative intéressante de formaliser les efforts de réconciliation d’abord entrepris localement.
Actuellement, des pans entiers de la région du Liptako-Gourma sont sous l’influence de groupes extrémistes violents qui entretiennent, de facto, des relations avec les autres acteurs des conflits. Ces derniers menacent et tuent les individus suspectés de collaborer avec les autorités, tout en s’appuyant sur les griefs locaux pour recruter parmi les membres des communautés en quête de revanche ou de protection. Compte tenu de leur ancrage local, l’option d’un dialogue incluant certains de ces groupes émerge progressivement depuis quelques années. Il faut d’ailleurs noter que les efforts de médiation déployés dans le centre du Mali avec les acteurs traditionnels, coutumiers et religieux, impliquent d’ores et déjà, de façon indirecte, certains groupes armés. La question des négociations n’est plus taboue à Bamako, Niamey et Ouagadougou, qui ont déjà indiqué avoir plus ou moins ouvertement engagé un dialogue avec certains groupes de façon pragmatique. Le secrétaire général de l’ONU et le conseiller Paix et Sécurité de l’Union africaine n’excluent pas cette option. Cela étant, les objectifs et les interlocuteurs permettant de dessiner les contours de solutions négociées restent à définir au cas par cas, de façon inclusive et concertée avec les communautés concernées. Celles-ci ne sont pas prêtes toujours et partout à pardonner les exactions dont elles sont victimes au nom de leur sécurité.
Donner l’opportunité aux populations de participer aux prises de décisions concernant l’amélioration de leur sécurité et de leurs conditions de vie
Plus que jamais, le Sahel fait l’objet de tensions entre les politiques publiques pour la stabilité portées par les États et leurs partenaires internationaux, d’une part, et l’aspiration au changement exprimée par les communautés épuisées par les conflits, de l’autre. Il n’est pas concevable d’engager un processus de construction de la paix sans leur donner l’opportunité de participer activement aux prises de décisions concernant l’amélioration de leur sécurité et de leurs conditions de vie. Il est urgent de donner aux organisations de la société civile, particulièrement celles représentant les intérêts des femmes et des jeunes, l’opportunité de participer activement à la recherche de solutions négociées localement pour transformer les conflits de façon pacifique et repenser les politiques de stabilisation de la région.
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