Un ami qui vous veut du bien

Le zèle déployé par Washington pour faciliter une sortie de crise illustre l’importance de Nairobi aux yeux de l’administration américaine.

Publié le 10 mars 2008 Lecture : 3 minutes.

Pourquoi Condoleezza Rice, habituellement si débordée, a-t-elle pris la peine de se déplacer jusqu’à Nairobi le 18 février alors que Jendayi Frazer, chargée de l’Afrique au département d’État américain, y avait déjà séjourné pendant une semaine en janvier ? Quelle est la raison qui a poussé le président George W. Bush à se fendre, deux jours plus tôt, d’un appel public à un « partage du pouvoir » au Kenya, empiétant ainsi sur le travail du médiateur Kofi Annan ? Le 28 février, les deux adversaires dans la bataille pour la magistrature suprême – qui a fait 1 500 morts et 300 000 déplacés depuis le 27 décembre – ont exaucé les vux de l’Amérique en signant un accord : Mwai Kibaki restera président et son rival Raila Odinga inaugurera la fonction de Premier ministre. Les « félicitations » du département d’État aux deux nouveaux maîtres du Kenya, cet « allié démocratique de longue date », ont été immédiates.

Allié idéologique
Cet « ami » africain de 36 millions d’habitants grand comme la France ne pèse pourtant pas lourd pour l’économie américaine. Loin derrière la Grande-Bretagne et l’Afrique du Sud, ou encore l’Inde et le Japon, les États-Unis n’étaient que le huitième fournisseur du pays en 2006 (4,6 % de parts de marché). Dépourvu de ressources pétrolières, Nairobi n’est pas, pour Washington, un partenaire énergétique stratégique comme l’est, par exemple, Abuja, qui lui fournit 20 % de sa consommation en or noir.
Les raisons du zèle américain dans la résolution de la crise – après un flottement initial, George W. Bush s’étant empressé de féliciter Mwai Kibaki au lendemain de l’élection alors que les résultats étaient manifestement truqués – sont ailleurs. « Le Kenya est un allié idéologique des États-Unis depuis la guerre froide », rappelle Mathieu Mérino, chercheur au Centre de recherche et d’étude sur les pays d’Afrique orientale (Crepao). Dans le camp de l’Amérique, quand ses voisins éthiopien et tanzanien avaient choisi celui de l’empire soviétique et du socialisme, le Kenya y est resté après la chute du mur de Berlin en 1989. Pour preuve, les relations entre Tel-Aviv et Nairobi sont aujourd’hui au beau fixe malgré l’attentat, en 2002, qui a tué trois Israéliens dans un centre de vacances de Mombasa (Sud-Est). Une partie des forces policières et militaires kényanes est d’ailleurs formée chaque année dans l’État hébreu.
Les États-Unis, eux, vont jusqu’à accorder à Nairobi une enveloppe annuelle de 14 millions de dollars destinée aux forces de sécurité. Depuis l’attentat contre leur ambassade à Nairobi, en 1998, qui a fait plus de 200 morts, les Américains prétendent lutter contre le terrorisme islamiste en Afrique de l’Est. En Somalie notamment, où, le 3 mars, le Pentagone a lancé un raid aérien contre un membre présumé d’Al-Qaïda. Dans cette chasse aux sorcières, le Kenya s’offre tout à la fois comme une pièce maîtresse de la ligne de front et comme un allié dévoué à Washington, arrêtant régulièrement de prétendus islamistes (le pays compte 8 % à 10 % de musulmans) ou soutenant diplomatiquement la campagne militaire éthiopienne à Mogadiscio. « Certains Kényans ont l’impression que Kibaki est prêt à faire n’importe quoi pour les États-Unis », souligne François Grignon, directeur des programmes Afrique de l’International Crisis Group (ICG). Peut-être parce que l’allié américain a versé au pays 270 millions de dollars d’aide en 2006 (pour une aide bilatérale totale de 700 millions de dollars) et promet de lui en apporter 540 millions en 2008 (soit un dixième des recettes de l’État en 2006). Comme si l’alliance avec le Kenya n’avait pas de prix.

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