Présidentielle 2009 les grandes manuvres

Face à un chef de l’État dont la réélection est quasiment programmée, les partis de l’opposition se cherchent un rôle à la mesure de l’enjeu… et de leurs moyens.

Publié le 10 mars 2008 Lecture : 7 minutes.

A plus d’un an et demi de la présidentielle d’octobre 2009, la classe politique tunisienne s’agite déjà. Le 14 février, Nejib Chebbi, 63 ans, fondateur du Parti démocrate progressiste (PDP, opposition radicale), est le premier à annoncer sa candidature. Il devance ainsi les partis d’opposition, plongés dans les préparatifs de leurs congrès, qu’ils doivent tenir dans les prochains mois, soit pour présenter leurs propres candidats, soit pour se prononcer sur celui qu’ils soutiendront. Quant au Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir), il est en précampagne depuis novembre 2006. Ses militants exhortent quasi quotidiennement le président Zine el-Abidine Ben Ali, 71 ans, à briguer sa propre succession « pour continuer à conduire la marche de la Tunisie sur la voie de l’essor et de la prospérité ». « Ben Ali, 2009 ! », c’est le slogan scandé par les foules lors des déplacements du chef de l’État, ou reproduit par les journaux à longueur de colonnes, ou encore inscrit sur des affiches ou des banderoles déployées à travers le pays. En février, la précampagne du RCD s’est accélérée avec le démarrage des réunions préparatoires de son congrès, prévu pour juillet 2008, au cours duquel, selon toute vraisemblance, Ben Ali devrait répondre positivement aux exhortations et se porter candidat à un cinquième mandat de cinq ans. Compte tenu du rapport des forces sur l’échiquier politique tunisien et de l’enracinement du RCD, le seul parti de masse du pays, le président devrait être réélu haut la main.

Tradition de plébiscite
Ce qu’il faut garder à l’esprit pour comprendre les scrutins de 2009, c’est que la Tunisie n’a pas de tradition pluraliste en matière de présidentielle. Depuis l’indépendance (1956), et ce pendant plus de quatre décennies, l’élection revenait à plébisciter un candidat unique. Après quatre mandats successifs, Habib Bourguiba a fini par en faire l’économie en se faisant élire « président à vie » en 1975. Dès son arrivée au pouvoir, en 1987, Ben Ali abolit la présidence à vie. Mais il n’en sera pas moins l’unique candidat aux deux présidentielles suivantes (1989, 1994). À cela une explication simple : le code électoral est verrouillé par le système de parti unique et des conditions de parrainage difficiles à satisfaire pour un candidat indépendant. Il faudra attendre le scrutin de 1999 pour voir des dispositions dérogatoires permettre à un chef de parti de l’opposition représenté à la Chambre des députés et ayant cinq ans d’ancienneté à ce poste de se porter candidat. Les premiers à entrer en compétition avec Ben Ali sont Mohamed Belhaj Amor et Abderrahmane Tlili, qui, et c’est là une spécificité tunisienne, se disent dans l’opposition tout en soutenant la personne du chef de l’État. En 2004, un pas supplémentaire est franchi avec de nouvelles dispositions dérogatoires étendant à tout membre de l’instance exécutive d’un parti représenté à la Chambre des députés la possibilité de briguer la magistrature suprême. Si bien qu’outre les candidatures de Mohamed Bouchiha et Mounir Beji, dirigeants de partis de la mouvance présidentielle, on enregistre celle d’un indépendant, Mohamed Ali Halouani, qui se présente avec le soutien de l’Initiative démocratique (sorte d’union de la gauche) et sous l’étiquette du mouvement Ettajdid. Ben Ali l’emporte avec 99,91 % des voix en 1999 et 99,44 % en 2004. Ses concurrents étant peu connus du grand public et à la tête de partis faiblement implantés, les conditions de l’alternance n’étaient pas encore réunies. Mais, symboliquement, ces candidatures ont contribué à l’instauration progressive du pluralisme.
Ce processus va-t-il se poursuivre lors de la présidentielle de 2009 ? À ce jour, le gouvernement ne s’est pas prononcé sur ses intentions quant aux conditions requises pour se porter candidat. Les procédures visant un amendement de la loi électorale nécessitant trois à quatre mois, il a encore plus d’une année devant lui. Trois choix s’offrent à lui : reconduire les dispositions dérogatoires de 2004, introduire des conditions inédites, ou maintenir les dispositions en vigueur, lesquelles stipulent que pour être validée une candidature doit être soutenue par trente députés ou présidents de conseils municipaux. Théoriquement, cela est possible depuis la législature de 2004. Certes, le parti au pouvoir dispose de la totalité des 182 sièges pourvus au niveau des circonscriptions et de la présidence de tous les conseils municipaux. Mais les six partis d’opposition totalisent 37 sièges de députés qui leur sont réservés par la loi et repartis à la proportionnelle au niveau national. C’est auprès d’eux qu’un éventuel candidat indépendant pourrait obtenir les signatures nécessaires. Le pourrait-il dans les faits ? Difficilement. En Tunisie, la pratique du parrainage n’est pas établie et l’émiettement de l’opposition rend quasiment impossible une candidature d’union entre les partis de la mouvance présidentielle et les autres. À cela s’ajoutent les barrières psychologiques et politiques
Quelles que soient les conditions requises, la candidature de Chebbi est en tout cas bien mal partie, et ce pour au moins quatre raisons. La première est que, n’ayant aucun élu à la Chambre des députés, il ne peut bénéficier des mesures dérogatoires et, partant, n’est pas à même de se présenter. La deuxième est qu’après avoir cherché à prendre de vitesse les autres partis d’opposition, qualifiant même certains d’entre eux de partis de « décor » ou de « l’allégeance » (au pouvoir), il ne peut plus solliciter leur soutien pour obtenir les parrainages requis. La troisième raison est qu’il demande au pouvoir d’amender le code électoral afin de permettre à « tout Tunisien qui s’estime à la hauteur d’être candidat à la présidence », peut-on lire dans le manifeste de son comité de soutien, proposition aussi séduisante que démagogique, car elle ouvrirait la voie aux candidatures fantaisistes ou non représentatives. « Comment s’y prendra-t-il pour obtenir une telle révision du code électoral, se demande un enseignant en sciences politiques. Va-t-il faire pression, et comment ? » C’est là qu’intervient la quatrième raison, qui a soulevé un tollé au sein de la classe politique. Les conditions dans lesquelles s’est déroulée la conférence de presse de Chebbi pour annoncer sa candidature ont en effet choqué ceux des Tunisiens soucieux de préserver la souveraineté nationale et permis à ses détracteurs de parler d’« agenda étranger ». Al-Mawkif, l’hebdomadaire dont Chebbi est le directeur de la publication, a rapporté la présence à cette conférence de « hauts représentants » des ambassades allemande, française, norvégienne, britannique, américaine, portugaise, belge, et de la délégation de l’Union européenne à Tunis. Relevait-elle d’une simple « activité de routine » pour information, comme nous l’a précisé l’une des ambassades citées ? Ou pouvait-elle être interprétée comme un appel à l’étranger, comme le pensent les responsables de plusieurs partis de l’opposition modérée ? « Nous rejetons la stratégie qui vise à mettre sous tutelle étrangère le processus démocratique », a déclaré Mondher Thabet, secrétaire général du Parti social libéral (PSL). Idem pour le Parti de l’unité populaire (PUP), dont le secrétaire général, Mohamed Bouchiha, « rejette la surenchère et l’appel à l’étranger », ou encore pour l’Union démocratique unioniste (UDU).

la suite après cette publicité

Nejib Chebbi isolé
Ce n’est pas tout. Même parmi ses amis politiques, Chebbi ne fait pas l’unanimité. Le mouvement Ettajdid et le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), qui peuvent eux aussi nourrir des ambitions présidentielles, lui reprochent de faire cavalier seul. Au sein de l’élite de gauche, il n’a pas rallié grand monde. Une quinzaine de personnes, pour la plupart peu connues, ont rejoint son comité de soutien, dont le porte-parole, Khemais Chammari, ex-député et dissident du Mouvement des démocrates socialistes (MDS), joue auprès de Chebbi le rôle d’un directeur de campagne. Selon nos informations, plusieurs personnalités sollicitées se sont poliment excusées. Quant au Parti ouvrier communiste tunisien (POCT) et au Congrès pour la République, mouvements d’extrême gauche non autorisés, membres de la coalition dite du 18 octobre, dont le tandem Chebbi-Chammari a été l’un des artisans en 2005, ils ont eux aussi pris leurs distances. À l’intérieur de son propre parti, Chebbi fait face à une contestation grandissante. Quatre de ses dirigeants, Mohamed Goumani, Fethi Touzri, Jilani Abdelli et Habib Bouajila, qui représentent près du tiers de la direction, s’opposent depuis l’été à la radicalisation du PDP et préconisent une approche plus « réaliste et modérée ». Jugeant sa candidature à la candidature prématurée, ils se sont prononcés contre son annonce.
Chebbi a donc suscité des remous que beaucoup assimilent à de la provocation gratuite. « Il fait de l’agitation », estime un défenseur des droits de l’homme non engagé dans les disputes politiques. Coutumier du fait, l’ex-leader du PDP a mené, en 2005 et en 2007, deux grèves de la faim qui avaient été largement médiatisées à l’étranger. Une gesticulation contre-productive qui n’aura fait que détourner l’opinion du véritable enjeu : renforcer les partis d’opposition et les rendre plus populaires pour qu’ils puissent faire avancer les réformes politiques et gagner les élections, et non pas attendre que le pouvoir leur offre sur un plateau des sièges de député ou un fauteuil présidentiel !

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires