Sénégal : promoteurs et architectes s’affrontent sur la corniche Ouest de Dakar

Des années de frénésie immobilière ont bétonné le front de mer de la capitale. Pour mettre fin au far west, les autorités cherchent une voie entre essor économique et protection du littoral.

La corniche Ouest de Dakar depuis la porte du Millénaire. © Youri Lenquette pour JA

La corniche Ouest de Dakar depuis la porte du Millénaire. © Youri Lenquette pour JA

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Publié le 3 août 2021 Lecture : 4 minutes.

Dakar possède le festival de grafiti le plus ancien d’Afrique. ©María Rodríguez/Efe/MAXPPP
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Sénégal : Dakar, la grande métamorphose

Logement, espace public, zones d’activités, complexes culturels… La capitale sénégalaise semble bien partie pour inventer la métropole africaine de demain. Rencontre avec les promoteurs de cette métamorphose.

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Vestige d’un autre temps, le phare des Mamelles – construit en 1864 sur l’une des deux collines volcaniques qui offrent à la capitale son unique relief – est désormais cerné. À ses pieds, face à l’Atlantique, un monstre de béton a pris ses quartiers à l’orée de la route des Almadies. Telle une verrue protubérante sur le visage de Miss Sénégal, le bâtiment, qui a pour promoteur la Caisse des dépôts et consignations (CDC) doit héberger des bureaux. À quelques centaines de mètres de là, une clinique privée s’est incrustée à flanc de falaise, en surplomb de la mosquée de la Divinité. Et un homme d’affaires influent prévoit de compléter le tableau avec la construction d’un nouvel hôtel. De quoi achever de défigurer ce panorama, autrefois idyllique.

Depuis longtemps, tel un cancer qui métastase, la frénésie immobilière a rongé la corniche Ouest de Dakar : hôtels, villas et bâtiments monumentaux défigurent le littoral, empêchant même les habitants d’accéder à la plage. Pour Moctar Ba, le président de la Plateforme pour l’environnement et la réappropriation du littoral (Perl), le projet d’aménagement de la corniche Ouest – annoncé par le gouvernement en juin 2020 – est une bien maigre consolation au regard des dommages déjà causés.

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Impératifs économiques

Ces dernières années, toutefois, l’ancien expert-comptable a repris espoir. « Lors de la dernière campagne présidentielle, au début de 2019, nous avons adressé aux cinq candidats un Pacte politique pour sauver le littoral du Sénégal. Quelques mois plus tard, j’ai pu évoquer cette question lors du dialogue politique. »

Convié sur les plateaux de télévision à cette occasion, Moctar Ba incite alors les responsables politiques à sortir d’une longue léthargie. Des discussions fructueuses s’engagent avec Abdou Karim Fofana, alors ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique. Celui-ci l’invite à présenter ses propositions devant les cadres de son ministère. Il publiera même une longue tribune dans laquelle il s’efforce de concilier les impératifs économiques et les préoccupations environnementales . « Des centres commerciaux de Copa Cabana aux hôtels de La Rochelle, en passant par les aménagements payants de la corniche d’Abu Dhabi, tous les pays disposant d’un atout littoral l’exploitent selon des ratios hôtels-accès public-plages de pêcheurs-aménagements… L’enjeu réside dans l’optimisation de cette exploitation », écrit-il.

Loi littorale obsolète et intérêts privés

Mais dans le même temps, tandis que les tractopelles continuent de grignoter jour après jour les rares terrains encore vierges de la corniche, les réformes tellement attendues font du sur-place. Maintes fois évoqué, le nouveau projet de loi littorale destiné à dépoussiérer le texte en vigueur (qui date de 1976) végète… depuis 2011. « Ils veulent noyer le poisson, analyse, amer, l’architecte Pierre Goudiaby Atepa, président d’honneur de l’association. Ils n’ont pas pris les mesures radicales qui conviendraient pour se réapproprier le littoral. » Officiellement, pourtant, les textes existants auraient dû suffire à enrayer le processus. « La loi dit qu’on ne peut déclassifier le domaine public maritime que pour cause d’utilité publique. Mais le littoral a été bradé au profit d’intérêts privés », déplore-t-il.

En 2019, à l’occasion de la Journée nationale de promotion de la propreté, une vidéo a été projetée en présence du président Macky Sall. Dans cette simulation en 3D apparaît une corniche verdoyante et ordonnée, d’où les constructions intempestives sont absentes. « Macky Sall partage notre préoccupation, il a sans doute la volonté de faire bouger les choses, mais il ne sait pas forcément comment s’y prendre pour implémenter cette réforme », regrette Moctar Ba.

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La malédiction du béton

Il est vrai que la corniche idéale, rêvée par les deux mentors de la Perl, impliquerait d’exproprier nombre de notables ayant acquis des terrains à vil prix depuis trois décennies, sans parler des intérêts privés – notamment hôteliers – que le Sénégal cherche dans le même temps à attirer afin de booster le tourisme d’affaires.

À mi-chemin entre le laisser-faire des autorités nationales et municipales et l’approche radicale de l’opposant Ousmane Sonko (« Il affirme que s’il arrive au pouvoir, il va tout casser », résume Pierre Goudiaby Atepa, qui le connaît bien), nos deux acolytes multiplient donc les propositions afin de sauver la corniche de la malédiction du béton. « Nous sommes prêts à offrir gracieusement à l’État un plan d’aménagement, indique l’architecte. Notre proposition est de promouvoir une corniche culturelle qui réunirait notamment le Village des arts, actuellement à Yoff, une école des arts et une école d’architecture. »

Faire de Dakar une ville où la vue sur l’océan serait un droit et non un privilège

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Quant à son comparse Moctar Ba, il travaille à l’élaboration d’une « doctrine littorale » qui permettrait de faire de Dakar, dit-il, « une ville attractive tournée vers le tourisme urbain », où la vue sur l’océan serait un droit et non plus un privilège.

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