Mourenx, ou l’avenir de l’immigration

Publié le 10 mars 2008 Lecture : 3 minutes.

Les problèmes de l’immigration en Europe sont souvent traités de la façon suivante : soit une population autochtone A, qui est là depuis la nuit des temps ; soit une population immigrée I, qui est arrivée hier en quête de refuge ou de travail. Tout revient à savoir comment A et I vont vivre ensemble. Dans le modèle républicain français, I se décompose en milliers de d’individus i et chacun de ceux-ci a vocation, le moment venu, de devenir membre de A. Ça s’appelle l’intégration ou même l’assimilation quand i aura tout oublié de I. Et « tout cela ça fait d’excellents Français », comme le chantait Maurice Chevalier en 1939. En revanche, le modèle communautariste (anglais, néerlandais, etc.) suppose que I formera toujours un tout cohérent, avec sa religion, sa culture, ses traditions et que A et I doivent vivre séparées. De toute façon, c’est A qui continue à tirer les ficelles : les capitaines d’industrie, la classe politique, les galonnés appartiennent tous, surprise surprise, à la communauté A, à part quelques exceptions mises là pour amuser la galerie (un lord noir, une députée somalie, etc.).
– Et alors ? me dites-vous. On sait tout ça.
Et alors, voilà que je débarque dans la petite ville de Mourenx, à quelques jets de pierre de Pau. Mourenx, que peu de gens connaissent, pose un problème insolite : tout le monde y est étranger. La ville va fêter l’an prochain ses cinquante ans, ce qui signifie que personne ne peut prétendre que sa famille occupe l’endroit depuis vingt générations. Au maximum, vous pouvez vous vanter d’être là depuis deux générations, ce qui ne vous donne droit de cuissage sur personne. Cette anomalie vient du fait que Mourenx a été créée à partir de rien, ex nihilo, en rase campagne, après la découverte du gisement de gaz de Lacq. On y a attiré des ouvriers espagnols, portugais et maghrébins. Il y a eu aussi quelques Bretons et des Lorrains, mais ceux-ci y étaient aussi étrangers que les autres, sinon plus (au moins les Espagnols n’avaient qu’à franchir les Pyrénées pour débarquer à Mourenx, c’est à moins d’une demi-heure de route).

Dans cette petite ville que personne ne connaît, les deux modèles esquissés plus haut ne servent évidemment à rien. Que faire ? C’est un professeur du coin, un homme très sympathique du nom de Valentin A., lui-même d’origine espagnole, qui est train de trouver la solution. Cessons de parler d’intégration, ça énerve tout le monde et ça ne veut pas dire grand-chose ; ne vivons pas non plus cloisonnés, chacun chez soi, en se regardant en chiens de faïence : ça ne peut mener qu’à la méfiance et à des heurts. Introduisons, dit-il, la notion de partage de l’espace. Les communautés, les familles, les individus, tous déclarent solennellement qu’ils mettent en commun l’espace de la ville pour leurs activités. Pas de ghetto, pas de quartier hors la loi, pas d’activités d’élite. C’est donc une façon d’être ensemble tout en gardant ce qu’on veut garder de ses caractéristiques propres, de sa culture, de ses traditions.

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Et si cela a l’air un peu théorique, Mourenx l’a illustré en organisant dans la salle des fêtes une soirée musicale (c’est même ça qui m’y a attiré). Sur les planches, on a disposé Maghrébins, Espagnols, Français, Gitans… Débrouillez-vous, les gars. Eh bien, ce fut tout simplement fabuleux. Ce partage de la scène, rebaptisée Al-Andalous l’espace d’un soir, donna lieu à un patchwork musical à tomber à la renverse. Vous saviez, vous, que le flamenco et la dakka marrakchia pouvaient se marier ? Moi pas.
Le seul moment où il y a eu un petit flottement, c’est quand le maire de la ville, David Habib, osa affirmer devant moi que le couscous tunisien – le sien – était le meilleur du monde. Tout le monde sait que le meilleur couscous de la planète, c’est celui qu’on fait du côté d’Azemmour (ma ville, mais ce n’est naturellement qu’une coïncidence). S’est ensuivie une discussion sur les mérites comparés de ce plat qui est d’ailleurs le plat préféré des Français, selon un sondage récent. On s’est séparés, repus et la tête pleine de musique, en se promettant de partager plus souvent l’espace. Et si c’était ça, le vrai modèle d’avenir ?

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