Moderniser l’islam, disent-ils

Une équipe de théologiens de l’université d’Ankara a entrepris de dépoussiérer les hadiths du Prophète.

Publié le 10 mars 2008 Lecture : 3 minutes.

Moderniser la législation islamique afin de la rendre compatible avec les exigences de la vie moderne : telle est la vaste entreprise à laquelle se consacre actuellement une équipe de théologiens de l’université d’Ankara, avec le soutien de la Diyanet, le département étatique des affaires religieuses.
Entamé en 2006 et censé aboutir dans les mois qui viennent, leur travail consiste à passer au crible les hadiths, les « traditions ». Cet ensemble associant sentences et maximes attribuées au Prophète Mohammed à des récits rapportant ses faits et gestes est, avec le Coran, à la base du droit musulman.
On sait que nombre de prescriptions tirant leur légitimité de ces « traditions », par exemple la condamnation à mort des apostats et la lapidation des femmes adultères, sont étrangères à la révélation coranique. C’est que les fameux hadiths ont été recueillis après la mort de Mohammed (en 632 de l’ère chrétienne) et consignés sous leur forme définitive deux siècles plus tard. Alors que l’authenticité de certains d’entre eux est plus que douteuse, d’autres ont été inspirés par des préoccupations politiciennes de l’époque. De toute façon, beaucoup ont été formulés dans un contexte qui les rend obsolètes.
Mehmet Gormez, l’un des experts turcs qui travaillent à une version « light » des textes sacrés, a donné à la BBC l’exemple de l’interdiction faite aux femmes de voyager sans l’autorisation de leur époux. Cette interdiction n’a rien de religieux, assure-t-il. Elle a été énoncée simplement parce qu’une femme courait les plus grands risques en se déplaçant seule dans le désert d’Arabie il y a quatorze siècles
Cité par le quotidien britannique The Guardian, Fadi Hakura, un expert de l’Institut d’études stratégiques, parle de « retour à l’islam originel, loin du conservatisme excessif qui a bloqué toute réforme pendant des siècles ». L’ambition de l’« école d’Ankara » est donc de soumettre l’ensemble du corpus des hadiths à l’herméneutique et aux méthodes des sciences humaines contemporaines, dans l’objectif de revenir au vrai message de l’islam.
Ce n’est pas la première fois que les Turcs sont pris d’une telle fièvre rénovatrice. La première révision des fondamentaux de l’islam a eu lieu en 1924, peu après la création de la République suivie de l’abolition du califat. Tribunaux religieux, écoles coraniques et médersas, notamment, avaient été supprimés.
On peut trouver paradoxal que la réforme actuelle soit inspirée par un pouvoir considéré comme islamiste. D’autant que l’adoption, en février, d’une loi abrogeant l’interdiction du port du voile à l’université a semé le doute. Pourtant, l’AKP (Parti de la justice et du développement) se défend de vouloir revenir sur les acquis kémalistes. Bien qu’affichant des idées conservatrices et fondant son action sur des valeurs religieuses, il uvre, affirme-t-il, dans la tolérance et le respect des principes démocratiques. Quelles que soient ses intentions profondes, les faits parlent en faveur de sa volonté réformatrice. En luttant activement contre les crimes d’honneur et en recrutant des centaines de femmes comme imams, l’actuel gouvernement a probablement fait plus que ses prédécesseurs laïcs en faveur des femmes.
Mais là où Mustapha Kemal abolissait la polygamie au nom de la laïcité, Recep Tayyip Erdogan promeut la condition féminine au nom d’un islam rénové. Une démarche qui rappelle celle du Tunisien Habib Bourguiba lorsqu’il fit adopter un code du statut personnel prohibant, lui aussi, la polygamie.
Il est clair que le projet de révision des hadiths heurtera la frange la plus fondamentaliste de l’islam. Mais les vrais réformateurs n’applaudiront pas forcément des deux mains. Pour les plus exigeants d’entre eux, le projet s’apparente à un emplâtre sur une jambe de bois. Selon eux, c’est toute l’exégèse coranique et le pouvoir même des docteurs de la loi qui doivent être remis en question.

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