Massacre à Gaza

En représailles à la mort d’un habitant de Sderot, tué par une roquette Qassam tirée par des militants du Hamas, Tel-Aviv déclenche une opération militaire de grande ampleur qui a tourné au carnage.

Publié le 10 mars 2008 Lecture : 6 minutes.

Israël a tué 116 Palestiniens à Gaza dans la dernière semaine de février lors d’une série de frappes aériennes et d’incursions terrestres, transformant en véritable enfer cette bande de terrain assiégée et condamnée à la famine. Des centaines d’autres Palestiniens ont été blessés. Au moins la moitié des morts et des blessés sont des civils, dont beaucoup d’enfants. La catastrophe est telle que l’Égypte, sous la pression d’une opinion exaspérée, a ouvert le poste de contrôle de Rafah, dans le Sinaï, et envoyé vingt-sept ambulances pour transporter des dizaines de Palestiniens gravement blessés vers l’hôpital d’Al-Arish. Côté israélien, on déplore deux morts et huit blessés.
Que faire ? La communauté internationale a manifesté, comme à l’accoutumée, son inquiétude et son indignation devant l’inqualifiable comportement d’Israël, avec des protestations du secrétaire général de l’ONU et du pape, parmi bien d’autres, tandis que l’Arabie saoudite comparait les opérations israéliennes aux crimes de guerre nazis. Mais le Premier ministre Ehoud Olmert n’a rien voulu savoir. Personne, a-t-il affirmé, n’est en droit de donner des leçons de morale à Israël.
Le dilemme face auquel se trouve l’État hébreu est grave. Ses généraux et ses faucons civils jouent les matamores et menacent de détruire définitivement Gaza et le Hamas. Ils savent pourtant que réoccuper la bande de Gaza entraînerait Tsahal dans une guérilla sans fin – comme au Liban en 2006 -, sans même avoir la certitude de mettre fin aux tirs de Qassam. L’autre option, évidente, serait de s’asseoir à une table et de négocier. Mais Israël rejette totalement une telle éventualité. Olmert et ses généraux n’ont manifestement pas assimilé l’adage churchillien selon lequel « la parlote vaut mieux que la guéguerre ».

Riposte disproportionnée
La solution israélienne pour sortir de ce dilemme a été de procéder à des incursions terrestres « limitées », accompagnées de lourdes frappes aériennes – de lancer sur Gaza des chars et des avions, de terroriser la population, de détruire des bâtiments importants, de tuer autant de gens que possible, d’arrêter des suspects, puis de se retirer. L’opération n’a été exceptionnelle que par son ampleur et sa férocité. Les bombardements de Gaza par les F-16 et par les hélicoptères Apache sont quotidiens. Les drones israéliens survolent en permanence la bande. Les Gazaouis continuent d’être tués, des victimes qui viennent s’ajouter aux quelque 900 Palestiniens qu’Israël a massacrés depuis que le Hamas a remporté les législatives de janvier 2006. En face, une douzaine d’Israéliens seulement ont perdu la vie depuis six ans – dont un étudiant en février – lors d’attaques palestiniennes parties de Gaza. Les roquettes Qassam ont certainement rendu la vie insupportable à Sderot, à Ashkelon et dans les autres villes israéliennes à portée de roquettes, et beaucoup d’habitants ont dû faire l’objet d’un suivi psychologique. Mais leurs souffrances, si regrettables qu’elles soient, n’ont rien de commun avec les carnages et les destructions qu’Israël a perpétrés, et continue de perpétrer, à Gaza. Les États-Unis eux-mêmes sont allés jusqu’à « encourager Israël à faire preuve de mesure », bien qu’ils aient, comme d’habitude, fait opposition à un projet de résolution du Conseil de sécurité condamnant les meurtres de civils par les Israéliens.
L’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, aujourd’hui représentant du Quartet (ONU, États-Unis, Union européenne et Russie), a toujours pris soin de ne pas froisser Israël et les États-Unis. Mais le sang versé fin février l’a persuadé de faire une déclaration que l’on pourrait juger presque équilibrée. La mort de l’Israélien de Sderot, a-t-il affirmé, doit être « totalement condamnée », mais il a aussi jugé « absolument tragique » la mort de civils palestiniens. Il ajoutait qu’il faut faire l’impossible pour « éviter la perte de vies palestiniennes innocentes ». Autrement dit, Israël est libre de continuer à « se défendre », mais doit veiller à ne pas infliger de dommages collatéraux excessifs.
Assez naturellement, Blair donne de toute évidence la priorité à ses fonctions de conseiller de JP Morgan, la banque d’investissement américaine – qui lui accorde, dit-on, des émoluments de 5 millions de dollars par an – et à ses conférences à 150 000 dollars la séance, sur les lancinants problèmes de Gaza. En tant qu’envoyé spécial du Quartet, il a été jusqu’ici d’une totale inutilité. Mais Blair peut avoir bientôt une chance de se racheter. De source sûre, on indique que, encouragé par sa déclaration, le Hamas lui a envoyé un message où il lui demande de faire pression sur Israël pour qu’il accepte un cessez-le-feu. Cet important message aurait reçu le feu vert de Khaled Mechaal, le chef politique du Hamas à Damas, avant d’être transmis à Blair par un intermédiaire de haut rang. La particularité de ce message est que, cette fois, le Hamas propose un cessez-le-feu uniquement entre Israël et Gaza, et ne fait pas mention de la Cisjordanie. Jusqu’alors, le Hamas avait toujours indiqué que les attaques contre l’État hébreu cesseraient si ce dernier, de son côté, mettait fin à toutes ses opérations, à ses incursions armées, à ses « assassinats ciblés », à la fois à Gaza et en Cisjordanie.

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Le chantage du shass
Pourquoi l’État hébreu se refuse-t-il aussi obstinément à parler au Hamas ? Les réponses sont nombreuses. Premièrement, parler au Hamas serait reconnaître la légitimité du mouvement de résistance islamique, alors que jusqu’ici Israël a remué ciel et terre pour obtenir des États-Unis et de la très prudente Union européenne qu’ils déclarent le Hamas « organisation terroriste ».
En second lieu, si Israël acceptait un cessez-le-feu, cela reviendrait à créer une situation de dissuasion mutuelle avec le Hamas, ce à quoi Tel-Aviv se refuse totalement. L’État hébreu veut que ses ennemis se rendent, et veut garder la liberté de tuer à volonté.
Troisièmement, Israël sait qu’au-delà du cessez-le-feu le Hamas exigera des conditions de paix beaucoup plus rigoureuses que celles que la très faible Autorité palestinienne et son malheureux président Mahmoud Abbas seraient en mesure de négocier. Abbas a renoncé à toute forme de résistance. Il a assumé le fallacieux « processus de paix » d’Annapolis et s’est remis entièrement entre les mains d’Israël. Mais il n’a pas réussi à persuader Olmert de démanteler un seul avant-poste illégal ou un seul point de contrôle en Cisjordanie, et a fortiori à mettre fin à l’expansion régulière des colonies dans la Jérusalem-Est arabe et dans les vastes parties israéliennes qui vise à couper la ville de son arrière-pays arabe.
Quatrièmement, le parti séfarade Shass a déjà fait savoir à Olmert qu’il se retirera de la coalition et mettra le gouvernement en minorité s’il évoquait seulement avec les Palestiniens des problèmes fondamentaux tels que Jérusalem, les frontières et les réfugiés. Dans le climat d’extrême tension que connaît actuellement Israël, Olmert ne survivrait probablement pas politiquement au moindre accord avec le Hamas.
Enfin, bien que les attaques contre Gaza inquiètent l’opinion mondiale et risquent de provoquer des attentats-suicides et d’autres actes de vengeance – voire de susciter une troisième Intifada -, le sabotage du processus de paix fait l’affaire d’Israël. Loin d’envisager un retour aux frontières de 1967 – ce qui est la principale condition mise par les Arabes à la paix -, l’État hébreu semble, au contraire, déterminé à renforcer sa mainmise sur la totalité de la Palestine historique, en multipliant les colonies et les zones militaires fermées et en tenant sous le joug une population captive. Toute la question est de savoir si une politique aussi brutale est tenable à long terme. Israël n’aurait-il pas plutôt intérêt à avoir à ses frontières une Palestine pacifique et prospère, garante de la paix avec l’ensemble du monde arabe ? Pour l’instant, le Hamas attend toujours une réponse au message envoyé à Tony Blair.

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