Les prix flambent, l’Afrique souffre

Cameroun, Burkina, Sénégal l’augmentation vertigineuse des produits de première nécessité plonge les consommateurs dans le doute. Les gouvernements sont démunis. La rue gronde.

Publié le 10 mars 2008 Lecture : 7 minutes.

Blé, riz, huile, lait, farine, pain, essence tout augmente sur l’ensemble du continent comme l’indique le relevé des prix effectué par la rédaction de Jeune Afrique dans plusieurs capitales (voir tableau page suivante). Sur les marchés, le panier de la ménagère s’allège au rythme de la valse des étiquettes. Certaines zones rurales sont au bord de la disette, plusieurs villes grondent et, si cette situation devait perdurer, les violentes manifestations au Burkina ainsi que les émeutes au Cameroun, le mois dernier, pourraient ne plus être des cas isolés. La propagation de révoltes populaires contre la vie chère, mêlant frustrations politiques et angoisses sociales, est un scénario crédible.
« L’année dernière, 50 000 F CFA me suffisaient chaque mois pour faire mes courses, maintenant il me faut 75 000 F CFA au minimum », se plaint Célestine, de retour du grand marché de Mont Bouët, à Libreville, la capitale du Gabon, qui importe 80 % de ses besoins alimentaires. Le lait, le manioc, les légumes, l’huile, la viande ont considérablement augmenté ces derniers mois. « Pour la première fois, j’ai vu des gens constituer des stocks de riz », ajoute Ibrahim Tchendjiet-Mboulou, président de l’association de défense des consommateurs. « Il y a des commerçants véreux qui profitent de la situation mais, grâce aux efforts du gouvernement, la situation semble s’être stabilisée depuis décembre dernier », nuance Dieudonné Alerekié, de la Direction de la concurrence. Pour l’essence, en revanche, les Gabonais ont définitivement fait une croix sur leur privilège de pays producteur, en mars 2007, lorsque les autorités ont décidé de réduire de moitié les subventions, provoquant une hausse de 25 % des tarifs à la pompe.
À Dakar, un père de famille avec cinq bouches à nourrir, Djiby Camara, se souvient qu’il y a cinq ans son ravitaillement lui coûtait moins de 30 000 F CFA par mois. « Maintenant, je débourse plus de 40 000 F CFA auxquels s’ajoutent 3 000 F CFA quotidiennement pour assurer les principaux repas », explique-t-il. Au Sénégal, le riz utilisé pour le plat national, le thieboudienne, est au cur des préoccupations. Le pays n’en produit que 100 000 tonnes sur les 800 000 importées, mais l’un des principaux fournisseurs, le Vietnam, a stoppé ses expéditions. Seules la Thaïlande et l’Inde maintiennent leurs livraisons, mais au compte-gouttes. En réaction, le gouvernement a tout d’abord suspendu en septembre la taxe douanière de 10 % afin de contenir l’envolée sur les étals. Cela n’a pas suffi, et la mesure a affecté les finances publiques, déjà mal en point. En moyenne sur le continent, les revenus douaniers représentent le quart des recettes publiques. Les États ne peuvent donc durablement se priver de cette manne, à moins de fiscaliser l’économie, collecter l’impôt et lutter contre l’informel. Mais c’est justement cette volonté affichée par les autorités burkinabè qui a mis le feu aux poudres à Bobo-Dioulasso. Quant à la suppression de la TVA au Cameroun (riz, sel, poisson, blé et farines), de septembre à décembre, elle a montré ses limites.

« Mes factures ont triplé »
Fort de cette expérience et pour « arrêter le massacre », selon le ministre sénégalais de l’Aménagement du territoire, du Commerce et de la Coopération décentralisée, Abdourahim Agne, Dakar cherche à contrôler les prix de vente du riz importé. Un arrêté a été pris le 21 février. Les autorités exigent par ailleurs l’affichage et tentent de réglementer les marges dégagées par les grossistes, distributeurs et commerçants. Ces derniers font grise mine. « Du fait de la hausse de l’essence, le transport des marchandises coûte cher. Par ailleurs, l’électricité a beaucoup augmenté. Il y a quinze ans, mes factures étaient de 70 000 F CFA. Aujourd’hui, je débourse 300 000 F CFA. Je me demande si ça vaut la peine de continuer, d’autant plus que les acheteurs sont moins nombreux », se désole Aïda, la propriétaire d’une boutique aux abords de Kermel, un petit marché situé au cur de Dakar et fréquenté par une clientèle aisée. Mamadou, le gérant d’une boulangerie de Grand-Yoff, a vu ses ventes chuter de 50 % depuis la hausse de 25 F CFA sur la baguette, qui est passée à 175 F CFA.
À Abidjan, on ne parle plus de « panier », mais plutôt de « sachet de la ménagère ». L’inflation sur les produits de première nécessité, depuis la crise de 2002, a habitué les Ivoiriens, résignés, à se serrer la ceinture. L’attiéké (semoule de manioc) ou le poisson frit du matin, l’aloko (bananes frites) durant l’après-midi, et le lait caillé ou les spaghettis le soir agrémentant la journée ne sont plus qu’un lointain souvenir. Pour les plus démunis, la « mort subite » – un seul repas par jour – est devenue la norme, alors qu’une nouvelle augmentation sur le pain est attendue en mars (200 F CFA au lieu de 150 F CFA). La classe moyenne boude les viennoiseries, et les plus riches regardent, effarés, défiler les chiffres à la pompe à essence. « Il y a de la surenchère et de gros abus parmi les opérateurs économiques », dénonce Marius Comoé, vice-président de l’Association des consommateurs de Côte d’Ivoire, qui cite l’exemple d’Unilever et de Cosmivoire (Sifca), qui ont racheté à l’État la société Palmindustrie. « Ils nous font croire à présent que l’huile de palme et le savon doivent augmenter. C’est absurde ! Le monopole est le tombeau du consommateur », conclut-il.

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Commerçants sans scrupules
Au Mali, le gouvernement a débloqué, fin 2007, une subvention de 40 milliards de F CFA pour éviter que les tarifs n’explosent. Peine perdue. Certains commerçants sans scrupule ont semble-t-il encaissé cette aide et oublié de la répercuter. En quelques mois, tout a augmenté (+ 42 % sur le riz, + 29 % sur la farine). Pour Siaka Diakité, secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), les gens sont échaudés par le manque de résultats et la frilosité du gouvernement à « prendre le problème à bras-le-corps ». Afin de prévenir une éventuelle fronde, un Conseil national des prix doit être créé avant le 31 mars, et la Direction nationale du commerce et de l’industrie a décidé de lutter contre les exportations de céréales vers les pays limitrophes.

Retour de l’inflation
Au Niger, où la crise alimentaire de 2005 est encore dans toutes les mémoires, le Premier ministre Seyni Oumarou a rencontré, le 27 février, les importateurs de riz après une hausse vertigineuse du prix, qui varie entre 400 et 450 F CFA le kilo. Au Togo, « une réunion de haut niveau » doit se tenir afin de calmer les esprits après l’annulation in extremis d’un mouvement de protestation prévu le 29 février. « Le gouvernement pense que la marche n’est pas indiquée actuellement », admet Germain Koufoma, le porte-parole de l’Intersyndicale des travailleurs du Togo (ISTT). L’écho des émeutes au Cameroun et au Burkina résonne sur l’ensemble du continent. Et, pour une fois, les organisations internationales et les populations africaines sont en phase.
Le Fonds monétaire international (FMI) confirme un retour de l’inflation avec un taux de 6,2 % en 2007 et 6,9 % en 2008, contre une moyenne de 3,3 % entre 1997 et 2002. Plus inquiétant encore, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que 36 pays en crise – dont 21 en Afrique1 – ont besoin d’une aide extérieure. Le Programme alimentaire mondial (PAM) réclame 500 millions de dollars supplémentaires, sur un budget 2008 initial de 2,9 milliards, afin de mener la plus grande opération humanitaire à travers le monde. Et notamment sur le continent. Faute de contributions, pour prendre en charge l’achat de vivres et du carburant destiné à la flotte de l’agence, la nourriture va manquer à partir du mois de mai. Pour certains pays, cette « chronique d’une pénurie annoncée » a été aggravée par les conflits, l’instabilité, des inondations ou des conditions climatiques extrêmes. Mais fondamentalement, c’est bien la loi de l’offre et de la demande qui a produit ses pires effets.

Vers de nouvelles hausses
La flambée des prix des hydrocarbures engendrant celle des engrais, l’engouement pour les biocarburants, surtout aux États-Unis et en Europe, sans compter la sécheresse en Australie et les besoins alimentaires des nouvelles puissances émergentes ont mis à mal le fragile équilibre du marché des céréales. La production établie en 2007 à 2 102 millions de tonnes (+ 4,6 %) a été insuffisante pour satisfaire des besoins évalués à 2 120 millions de tonnes (+ 2,6 %). Mécaniquement, cette tension a conduit à un amenuisement des stocks à 405 millions de tonnes, soit le plus bas niveau depuis 1982. Résultats, l’indice de la FAO a connu une progression sans précédent de 36 % en 2007, contre 9 % en 2006. En janvier 2008, les cours internationaux du blé étaient en hausse de 83 % par rapport à ceux de janvier 2007. En Afrique, la dépendance vis-à-vis des importations a frappé de plein fouet les populations. Malgré une production céréalière stable estimée à 135 millions de tonnes sur la campagne 2007-2008, les importations vont dépasser les 36 millions de tonnes, soit une facture estimée à 13,4 milliards de dollars (+ 50 %). Immanquablement, les consommateurs paient l’addition. C’est aussi la conséquence d’un abandon, coupable, du secteur agricole. Selon le rapport 2008 de la Banque mondiale, seulement 4 % de l’aide publique au développement (APD) va à l’agriculture dans les pays du Sud, contre 12 % en 1990. En Afrique, les gouvernants ont également délaissé la paysannerie. Les budgets consacrés à l’agriculture ne représentent que 4 % des dépenses publiques, contre 11 % à 14 % en Asie.

1. Pays en situation d’insécurité alimentaire : Lesotho, Somalie, Swaziland, Zimbabwe, Érythrée, Liberia, Mauritanie, Sierre Leone, Burundi, Tchad, Congo, RD Congo, Côte d’Ivoire, Éthiopie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Kenya, Centrafrique, Soudan et Ouganda.

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