La fin du grand secret

Lors de sa visite au Cap, le chef de l’État français Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir renégocier les accords de défense signés avec les pays africains il y a plus de trente ans. Véritable rupture ou simple effet d’annonce ?

Publié le 10 mars 2008 Lecture : 4 minutes.

« La France n’a pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique. » C’est dit. Au Cap, le 28 février, Nicolas Sarkozy a mis les pieds dans le plat. Pour la première fois, un chef d’État français évoque sans ambiguïté la présence militaire sur le sol africain, et la remet en question. En apparence, en tout cas.
Le discours prononcé devant le Parlement sud-africain se voulait en « rupture ». Avec le marigot de la « Françafrique », mais aussi avec l’allocution – ô combien décriée – du même homme à Dakar, huit mois auparavant. Sans cesse pendant sa tournée au Tchad et en Afrique du Sud, Sarkozy a martelé : « Si un soldat français avait ouvert le feu et tué un Africain pendant la bataille de N’Djamena, nous aurions eu toute l’Afrique contre nous. »

10 000 hommes sur le terrain
Certes, la France n’est pas seulement présente en Afrique à travers ses quelque 10 000 soldats ou ses avions de chasse. Loin de là. Mais Sarkozy l’a bien compris, ces hommes en treillis véhiculent une piètre image de l’Hexagone auprès des jeunes Africains. Souvenirs des interventions à coups de mercenaires ou fantasmes d’une recolonisation rampante ? Peu importe, il est urgent de tourner la page. La France est le seul pays non africain qui compte encore des troupes sur le continent (avec les États-Unis, dont la présence à Djibouti est récente). Le monde a changé et « l’Afrique de 2008 n’est pas l’Afrique de 1960 », a fini par reconnaître Sarkozy. Il faut dépoussiérer les accords de défense globaux (qui assurent un soutien en cas d’attaque extérieure, mais dont la définition demeure plus que floue), les accords de coopération militaire technique (plus spécifiques, mais qui permettent des interprétations diverses), et rouvrir le débat sur les bases fixes (comme à Dakar ou Libreville) et les opérations ponctuelles (comme à N’Djamena ou Bangui).
Les paroles seront-elles, cette fois-ci, traduites en actes ? Ou la lourde histoire qui lie Paris à Libreville, Dakar, Abidjan, N’Djamena, Yaoundé ou Djibouti aura-t-elle le dernier mot, comme ce fut le cas lors de la première révolution qui ébranla la Françafrique, en 1990, à La Baule ? François Mitterrand y avait alors commencé à infléchir la position française : « Notre rôle à nous, pays étranger, fût-il ami, n’est pas d’intervenir dans des conflits intérieurs. La France [] n’entend pas arbitrer les conflits. » S’ensuivit, en 1994, l’assassinat de « l’ami » rwandais Juvénal Habyarimana et l’évacuation de sa veuve, organisée par Paris, selon l’une des clauses secrètes dont la France a le secret (voir encadré).
La visite de Nicolas Sarkozy le 27 février à N’Djamena, en prélude à son séjour sud-africain, n’annonce, pour l’instant, rien de bon. Intervention directe ou soutien indirect, la présence de 1 200 soldats français de l’opération Épervier a aidé Idriss Déby Itno à résister aux rebelles au début de février. Le cas tchadien est d’autant plus intéressant que seul un accord de coopération militaire technique lie les deux pays. Quand la « coopération » consiste à envoyer des officiers français pour aider l’armée tchadienne à se réorganiser, la frontière avec un soutien réel est ténue.
Du côté de l’Élysée, on admet que le dispositif est à revoir. Le ministère de la Défense prépare un Livre blanc pour avril ou mai. La France devrait passer le relais à l’Europe, comme c’est le cas avec le déploiement de l’opération Eufor au Tchad et en Centrafrique. Et se consacrer plus spécifiquement à la formation des armées africaines au maintien de la paix (via le dispositif Recamp).

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« Si vous y tenez, on restera »
Du côté africain, on s’estime plutôt satisfait à l’idée d’un tel « lifting ». Les chefs d’État concernés ont été prévenus à l’avance, selon l’Élysée, du contenu du discours du Cap. S’ils sont plusieurs à s’être étonnés que cette annonce importante soit faite en Afrique du Sud, et pas dans un pays francophone, ils se sont également enquis de l’avenir que Paris leur réservait. Deux présidents, dont le Sénégalais Abdoulaye Wade, ont réclamé que les futures dispositions continuent d’offrir une garantie pour les régimes en place, à condition qu’ils soient « démocratiques ». Certains chefs d’État, qui abritent une base française sur leur territoire, ont demandé avec une pointe d’inquiétude si cette réforme signifiait le départ des militaires français. Nicolas Sarkozy les a rassurés. « Si vous y tenez vraiment, on restera », a-t-il fait savoir. Tout porte à croire que les soldats de Dakar, Libreville et Djibouti ne sont pas près de plier bagage. La base de Bangui, en revanche, a déjà fermé ses portes en 1997 (même si une opération y est toujours en cours) et celle d’Abidjan le fera sans doute une fois l’opération Licorne achevée.
Reste la question du contrôle législatif de cette réforme. Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir y associer étroitement le Parlement français. « On ne va pas bouder notre plaisir », reconnaît le député socialiste François Lamy (opposition), membre de la commission de la Défense de l’Assemblée. « Le plus important, c’est de supprimer les clauses secrètes. Elles peuvent le rester vis-à-vis du public pour des raisons de sécurité, mais les parlementaires doivent avoir leur mot à dire sur l’engagement de troupes à l’extérieur. Il doit répondre à des objectifs que la France s’est fixés et pas au bon vouloir de l’exécutif. »

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