La facture des émeutes

Mise à sac d’édifices publics et d’entreprises privées, paralysie de l’activité économique, dégradation de l’image du pays chez les investisseurs… Les dommages provoqués par la récente flambée de violences sont encore difficiles à évaluer. Seule certitu

Publié le 10 mars 2008 Lecture : 3 minutes.

La plantureuse Françoise Foning, 59 ans, n’a plus de bureau. Bien connue pour son activisme en faveur du parti présidentiel, la maire du 5e arrondissement de Douala a tout naturellement été l’une des premières cibles des manifestants indignés par la vie chère et le projet du président de la République de modifier la Constitution pour pouvoir briguer un nouveau mandat. Les jeunes ont donc incendié cette mairie d’arrondissement de la capitale économique du Cameroun, mais aussi, dans cette même ville, consciencieusement mis à sac les services préfectoraux. À l’instar de Douala V, plusieurs édifices publics ou symbolisant le parti au pouvoir ont été dégradés, pillés ou incendiés lors des quatre jours d’émeutes qui ont secoué une dizaine de villes du pays du 25 au 29 février.
Le coût global de la casse n’a pas encore été évalué par les autorités. Quant aux pertes en vies humaines, elles font l’objet d’estimations contradictoires. Selon Jean-Pierre Biyiti Bi Essam, le ministre de la Communication, 24 personnes auraient péri. Mais ce bilan officiel est contesté par la Maison des droits de l’homme, une organisation affiliée à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), qui recense pour sa part « plus de 100 morts ». Par ailleurs, de source officielle, 1 500 personnes auraient été arrêtées, dont une centaine, jugées dans le cadre d’une procédure de flagrant délit, ont déjà été condamnées à des peines de prison ferme.

Paralysie totale
On sait également, d’après une première estimation du ministère des Finances, que les pertes subies par l’État du Cameroun pour quatre jours de paralysie de l’activité économique avoisineraient 16 milliards de F CFA (24,4 millions d’euros). Mais l’addition pourrait être beaucoup plus lourde. Les responsables du Port autonome de Douala (PAD), principale porte d’entrée des marchandises dans le pays, estiment leurs pertes à plus de 25 milliards de F CFA. Au grand dam des armateurs, plusieurs navires ont par exemple été immobilisés à quai pendant quatre à cinq jours. Quant à l’administration des douanes du PAD, elle déplore un manque à gagner de plus de 6 milliards de F CFA.
Mais c’est le secteur privé qui a le plus souffert des débrayages et de la vague de violences qui a balayé les principaux centres urbains. Trente-sept entreprises ont été incendiées ou pillées dans la seule ville de Douala. Et l’on attend encore le bilan des dégâts enregistrés ailleurs. Les principales cibles ont été les concessionnaires automobiles – l’un d’eux a perdu une quinzaine de véhicules neufs dans l’incendie de sa salle d’exposition -, les boulangeries, les centres commerciaux, les épiceries, les kiosques du Pari mutuel urbain du Cameroun – souvent abattus et disposés sur les chaussées pour servir de barricades -, les magasins de biens d’équipement, de matériels électroniques et de pièces détachées automobiles
Symboles de la hausse des prix du carburant, les stations-service ont naturellement payé le prix fort. Les boutiques, les stocks de bouteilles de gaz butane ont été systématiquement pillés. Les équipements, dévastés et/ou incendiés. Cette fureur contre tout ce qui touche de près ou de loin au pétrole a conduit les responsables de la compagnie américaine ExxonMobil à regrouper leur personnel expatrié dans un hôtel de Limbe, une station balnéaire à 70 km à l’ouest de Douala. En cas de nécessité, il était prévu que les ressortissants américains et étrangers soient évacués par le USS Fort McHenry, un navire de guerre mouillé au large de la côte camerounaise dans le cadre d’une tournée de formation à la sécurité des frontières dans les pays du golfe de Guinée. Pourtant, aucune information ne fait état d’un arrêt de l’activité du pipeline exploité par un consortium regroupant Exxon, Chevron et la malaisienne Petronas. Celui-ci achemine journellement 170 000 barils de brut tchadien jusqu’au terminal de Kribi, dans le sud du pays.

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50 milliards de F CFA
Au bout du compte, Christophe Eken, le président de la Chambre de commerce, d’industries, des mines et de l’artisanat du Cameroun (CCIMA), estime les dommages subis par la ville de Douala, la plus touchée par les violences, à 50 milliards de F CFA (76,2 millions d’euros). « Cette situation, qui a touché 80 % des membres de la CCIMA, est forcément très préjudiciable à une économie qui, comme celle du Cameroun, se cherche encore », déplore-t-il.
En attendant le recensement des pertes subies par les autres villes, le préjudice le plus grave, quoique le moins visible, reste l’accroissement du risque représenté par le fait d’investir au Cameroun. Les efforts des autorités pour assainir le climat des affaires et lutter contre la corruption sont réduits à néant. Même si tel n’était évidemment pas leur objectif, les manifestants ont conforté la place du Cameroun sur la liste des pays à la stabilité politique incertaine. Et contrecarré ce qui était jusqu’ici le principal argument du régime de Yaoundé face aux investisseurs.

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