« OSS 117 », la Françafrique version grand guignol
« Alerte rouge en Afrique noire », le troisième volet des aventures très attendues du plus idiot des espions français, se moque avec brio des clichés colonialistes tricolores.
1981. Hubert Bonisseur de La Bath, alias OSS 117, est convoqué dans le bureau du patron du SDECE, le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage. « Que savez-vous de l’Afrique ? », lui demande son supérieur. « Les Africains sont joyeux, sympathiques, rigolards, ils dansent bien, mais ils ne sont pas soigneux… », répond l’agent. « Vous savez l’essentiel », conclut son patron. Le ton est posé. Outrageusement caricatural, paternaliste. Et pourtant, dans ce nouveau volet, Alerte rouge en Afrique noire, OSS 117 fait toujours rire. Pourquoi ? Comment ? C’est le résultat d’une alchimie subtile que l’on va tenter de décrypter ici.
Miroir déformant mais honnête
Avant d’être incarné au cinéma par Jean Dujardin, OSS 117 a eu une première vie. C’est au départ une série de romans d’espionnage écrit par le Français Jean Bruce à partir de 1949. Elle conte les aventures d’un agent américain – qui est bien issu d’une vieille famille française, les Bonisseur de La Bath. OSS renvoie à l’Office of Strategic Services, une agence qui exista réellement aux États-Unis et fut créée en 1942 pour conduire des actions clandestines avant d’être remplacée par la CIA.
Hubert est déjà volontiers sexiste, raciste (un Africain s’exprimant dans un français correct est présenté comme un « évolué»), et homophobe… sauf que la collection des OSS (près de 265 volumes !) est écrite au premier degré. « Dans la saga d’origine écrite par Jean Bruce, il y a beaucoup d’extraits que l’on peut aujourd’hui trouver très problématiques », remarque David Honnorat, co-créateur avec Hugo Alexandre de la chaîne YouTube Calmos, où ces deux spécialistes du cinéma dissèquent avec sérieux et érudition les comédies françaises. « OSS 117, comme une autre série à succès, SAS, tombe dans beaucoup de travers réactionnaires de l’époque. Le génie de la reprise au cinéma est d’en avoir fait un pastiche en changeant cet espion américain en espion français, et en nous tendant un miroir déformant, mais honnête de nous-mêmes. »
Les deux premiers volets (Le Caire, nid d’espions et Rio ne répond plus, plus de 2 millions d’entrées chacun) étaient réalisés par Michel Hazanavicius, avec un formalisme vintage, de nombreux clins d’œil à Hitchcock et aux premiers James Bond, tandis que ce troisième épisode a été confié à Nicolas Bedos qui s’inscrit dans la veine des films d’action mettant Belmondo en scène. Ce changement de casting tient au fait que Michel Hazanavicius a tardé à donner son accord pour un troisième film, estimant notamment que la France s’était crispée sur les questions de racisme, et qu’il fallait revoir le concept de la saga.
Pour autant, dans le dernier volet, le ton n’a pas changé. Et pour cause, une grande partie de l’équipe est restée la même, avec bien sûr Jean Dujardin dans le rôle-titre et Jean-François Halin, au scénario ainsi qu’aux dialogues. Ce vieux flibustier de la gaudriole sur Canal+ (il a signé nombre de sketchs pour les Guignols de l’info, Groland…) est la garantie politiquement incorrecte des aventures.
Corrupteurs et corrompus en ligne de mire
« Ce n’est pas vrai que l’on ne peut plus rire de tout, estime le scénariste d’OSS 117 Jean-François Halin. Et si ça arrivait, ça serait plutôt une bonne nouvelle : je suis gêné par certaines comédies et la façon honteuse dont on imite parfois les Noirs. Je trouve personnellement que c’est plutôt excitant de se lancer sur des sujets qui grattent, qui restent sensibles. »
Si ce dernier volet fait rire, c’est qu’il ne se moque pas des Africains, mais tire à vue sur un système, la Françafrique, en gardant ses plus belles cartouches pour les corrupteurs (l’État français) et les corrompus (le dictateur et ses sbires). La mission d’OSS 117 consiste en effet à aider un despote à se débarrasser de ses opposants, soutenus par l’URSS. C’est l’acteur malien Habib Dembélé qui se charge d’endosser le rôle de l’autocrate, en s’inspirant de Mobutu, Bongo et Bokassa, dont il reprend l’obsession pour Napoléon.
OSS s’inscrit dans le sillage bouffon d’autres comédies qui étrillent la Françafrique, mais réalisé par des Noirs ou des métisses : le Crocodile du Botswanga, Bienvenue au Gondwana, Black Snake, la légende du serpent noir… Tandis que les autres fictions se situaient dans des pays africains imaginaires, ici le lieu de l’intrigue n’est jamais nommé, mais semble une agrégation de beaucoup de contrées bien réelles. « Côte d’Ivoire, Gabon, République Centrafricaine, entre autres ! », confirme Jean-François Halin.
OSS 117 est basé sur l’autodérision, et vient brocarder les patriotes à la fierté mal placée.
OSS 117 marque sa différence en ciblant le cynisme étatique français. Lors de l’entretien d’OSS 117 avec son supérieur, au début du film, le chef explique en parlant des Africains : « Ce sont nos amis. Ce sont nos frères quasiment et nous exploitons là-bas les mines de diamants, les puits de pétrole, le gaz, l’uranium. »
« J’ai l’impression qu’on ne réalise pas forcément à quel point la colonisation a fait des dégâts », soupire Jean-François Halin qui a co-écrit la série télévisée d’espionnage Au service de la France, traitant beaucoup des indépendances. « En France, les colonies sont liées au mythe de l’Empire, le général de Gaulle a continué à prospérer sur l’idée que notre pays était une des plus grandes puissances mondiales. Ailleurs aussi, je pense à la Belgique, on a du mal à réaliser à quel point la colonisation était un moment épouvantable de notre histoire… »
Racisme, échapper aux incriminations ?
Malgré ses intentions claires, le film peut-il échapper aux accusations de racisme ? Non, évidemment. Le 9 février dernier, bien avant sa sortie, la militante et réalisatrice Amandine Gay, par exemple, s’alarmait sur Twitter : « Garanti 100 % humour franchouillard, sans additif de décence. On nous expliquera ensuite avec force condescendance que c’est à prendre au 23e degré. Et les fils à papa blancs continueront à capitaliser sur nos dos. Le racisme ça rapporte encore gros, en particulier dans l’industrie cinématographique française. »
Du reste, le réalisateur Nicolas Bedos, volontiers polémique, peut aussi parfois se rendre coupable de vraies maladresses. Dans le dossier de presse, il explique ainsi en parlant de l’actrice Fatou N’Diaye qui incarne Zéphyrine, épouse du dictateur et leader des opposants : « Il a fallu qu’elle bosse à fond l’accent africain, car elle est plus parisienne que moi ! » Un « accent africain » qui rappelle le sketch de Michel Leeb sur « l’Africain »…
Mais le film déjoue, lui, constamment ces accusations racistes. Quand OSS 117 se lance dans une tirade truffée de clichés, c’est évidemment sa bêtise qui est pointée du doigt. Ses certitudes (l’islam n’est pas une religion amenée à durer, les pays africains sont incapables de devenir indépendants…) permettent surtout de moquer son arrogance. Ses coups d’éclat (rappelons qu’il frappe un muezzin trop bruyant dans le premier volet, « il était même censé le tuer dans une ébauche du scénario », précise Jean-François Halin) sont là pour dénoncer son ignorance et sa beaufitude. Bref, OSS 117 est d’abord et avant tout une critique du Français moyen, de ses préjugés et de sa condescendance.
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Loser magnifique
« OSS 117 est basé sur l’autodérision, et vient brocarder les patriotes à la fierté mal placée, commente Hugo Alexandre. Il y a quelque chose de très orgueilleux dans le peuple français, on s’appuie sur nos gloires passées, on se voit plus beaux qu’on est… et la réalité finit toujours par nous rattraper. C’est un peu comme pour l’Euro de foot, on a l’impression qu’on va rouler sur tout le monde et on se fait sortir en 8e de finale. »
Le duo de la chaîne YouTube Calmos voit d’un très bon œil le choix de 1981 pour cet épisode. « OSS 117 est l’incarnation d’une France vieillissante à l’aube de l’élection de Mitterrand qui est une période charnière, y compris pour la Françafrique, note David Honnorat. Alors qu’il y a cette peur d’une invasion de Paris par les chars russes, l’ancien empire colonial peut paraître un décor rassurant. La ringardise du personnage de Jean Dujardin est encore accentuée par la présence d’un jeune mec, incarné par Pierre Niney [OSS 1001, NDLR]. C’est d’ailleurs un ressort classique des films d’action, le héros confronté à un jeune : on le retrouve dans les sagas Die Hard, Rocky, l’Inspecteur Harry ou même la comédie française les Ripoux. »
Confronté à un espion moderne, perdu dans une ancienne colonie dont les règles lui échappent, fan de De Gaulle et de René Coty dans la France mitterrandienne, Hubert Bonisseur de La Bath est encore plus paumé, déphasé, que dans les épisodes précédents. Ce loser magnifique rappelle néanmoins beaucoup des nostalgiques de la grandeur française qui sévissent encore dans l’espace politico-médiatique hexagonal sur fond de déclinisme rampant. Et c’est bien au fond ce qui reste le plus grinçant dans cet OSS 117, entrevoir à travers deux ricanements bovins de l’espion franchouillard la mélancolie bien réelle de nos contemporains.
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