En un combat douteux

Le 4 mars, après un festival de coups tordus, Hillary Clinton l’a emporté de justesse sur Barack Obama dans trois États. Pendant que les candidats à l’investiture démocrate s’étripent, le républicain John McCain prépare sereinement ses batteries pour la p

Publié le 10 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

On l’avait enterrée trop vite ! Après les onze victoires consécutives remportées par Barack Obama, son rival démocrate, depuis le Super Tuesday du 5 février, Hillary Clinton paraissait au bord du K.-O. À plus ou moins brève échéance, son retrait de la course à la Maison Blanche paraissait inéluctable. Même si, avant les primaires organisées le 4 mars dans quatre États (Ohio, Texas, Rhode Island et Vermont), son retard n’avait somme toute rien d’insurmontable : une grosse centaine de délégués, alors qu’il en faudra 2 025 pour être désigné par la convention du parti, le 28 août. Mais une dynamique négative semblait irréversiblement enclenchée. C’était compter sans l’extraordinaire pugnacité de l’ex-First Lady, qui, si elle reçoit beaucoup de coups, ne se montre jamais avare lorsqu’il s’agit de les rendre. Avec les intérêts.
Quoi qu’il en soit, sa triple victoire dans l’Ohio, le Rhode Island et le Texas – relative dans ce dernier État où elle aurait obtenu moins de délégués qu’Obama bien qu’ayant remporté 51 % des suffrages populaires – la remet indiscutablement en selle. Mais les chiffres ignorent la psychologie : au total, elle n’a comblé qu’une infime partie de son retard – cinq délégués, semble-t-il. Il reste une douzaine de caucus et de primaires, dont une, très importante, le 28 avril en Pennsylvanie, et 747 délégués à attribuer. Tout se jouera dans la dernière ligne droite. On imagine aisément les marchandages, chantages et manuvres diverses auxquels le vote des superdélégués (les élus et notables du parti), dont le vote lors de la convention nationale est libre, pourrait donner lieu.
Les coups tordus de ces derniers jours en donnent sans doute une idée. Mrs Clinton s’est d’abord employée, le 24 février à Providence, dans le Rhode Island, à railler méchamment le côté messianique, au demeurant bien réel, de son rival. Morceau choisi : « Je pourrais me contenter de dire rassemblons-nous, soyons unis et les cieux s’ouvriront, la lumière descendra et les churs célestes retentiront Et le monde sera parfait. » Une manière, bien sûr, de dénoncer le côté un peu évanescent du programme d’Obama, qui parle beaucoup, et fort bien, quand elle se propose d’apporter « des solutions » – son leitmotiv – très concrètes aux problèmes des Américains en matière d’emploi, de logement ou de santé. Le tribun et la ménagère Rien à dire, c’est de bonne guerre.
Hélas ! les attaques de la dame n’ont pas tardé à s’égarer très en dessous de la ceinture. Ainsi, son staff de campagne n’a pas hésité à diffuser sans commentaire – à son insu, jure-t-elle contre toute vraisemblance – une photo d’Obama en costume traditionnel africain, lors d’un voyage au Kenya, le pays de son père, en 2006 (voir J.A. n° 2460). Message subliminal : êtes-vous sûr que ce type est bien le patriote américain et le fervent chrétien qu’il prétend être ? Quelques jours plus tard, la candidate a violemment accusé son concurrent d’avoir diffusé par e-mail des tracts caricaturant son programme. « Vous devriez avoir honte, Barack Obama, a-t-elle feint de s’indigner, ce sont là méthodes dignes de Karl Rove. » Le spectre malfaisant de l’ancien conseiller politique – et âme damnée – de George W. Bush plane décidément sur ces joutes. Gageons qu’il s’en amuse.
La campagne s’étant récemment recentrée sur la situation économique et, singulièrement, les conséquences de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) conclu en 1994 par Bill Clinton avec le Mexique et le Canada, les deux candidats démocrates se sont trouvés contraints à un périlleux exercice de grand écart : ledit accord a permis de créer beaucoup d’emplois au Texas et sans doute contribué au vent de récession qui balaie actuellement l’Ohio et toute la région des Grands Lacs. D’où d’abyssales différences entre les propositions faites au nord (remise en cause de l’Alena) et au sud du pays.
Consciente que la meilleure défense a toujours été l’attaque, la sénatrice de New York a alors accusé son collègue de l’Illinois d’avoir dépêché à Ottawa l’universitaire Austan Goolsbee, l’un de ses conseillers économiques, afin de rassurer les Canadiens. Le genre : « Pas de panique, notre promesse de renégocier l’Alena n’engage que ceux qui la reçoivent : les chômeurs de Cleveland, Akron ou Toledo. » L’équipe d’Obama a aussitôt réagi : Goolsbee a bien rencontré des responsables canadiens, mais dans un cadre universitaire, sans aucun lien avec l’Alena. Ce que l’ambassade du Canada à Washington a, très diplomatiquement, confirmé. Trop tard, le mal était fait. 61 % des électeurs qui ont fait leur choix à la dernière minute ont voté pour Mrs Clinton et, dans l’Ohio, Obama a perdu des points précieux chez les cols bleus. Or, s’il faut en croire un dicton local, « As goes Ohio, so goes the Nation ». Traduction peu littérale : depuis quarante ans, tous les présidents élus l’ont préalablement emporté dans cet État.
Enfin, clou de ce spectacle nauséeux, la diffusion, le 29 février, d’un clip électoral d’un style une nouvelle fois très « rovien ». Des bambins américains paisiblement endormis, la nuit. La caméra passe de lit en lit. Soudain, une sonnerie retentit. Zoom sur un téléphone rouge. Tout le monde a compris En off, une voix de femme – bien sûr ! – assène : « Le téléphone sonne à la Maison Blanche, quelque chose se passe dans le monde. Par votre vote, il vous revient de décider qui doit décrocher. » Réplique d’Obama : le téléphone rouge a déjà sonné à la Maison Blanche, avant l’invasion de l’Irak. Et ni Clinton ni Bush ni McCain n’ont donné la bonne réponse. Encore trop tard ! L’image d’un candidat peu préparé à affronter une crise planétaire est passée.
Pendant que les démocrates s’étripent avec conviction et dilapident les millions de dollars, John McCain, leur rival républicain, a sans surprise décroché l’investiture de son parti et prépare sereinement ses batteries. Dès le 5 mars, il a été solennellement adoubé par Bush dans le Rose Garden de la Maison Blanche. Ce même Bush qui, en 1999, avait torpillé sa précédente candidature par de très abjects moyens – demandez donc à Rove ! Son seul vrai problème est l’hostilité tenace que lui manifeste la droite religieuse, qui représente entre 30 % et 40 % de l’électorat républicain. Le choix de son colistier devrait y remédier. Les sondages ne le donnent généralement pas favori contre Clinton et, moins encore, Obama, mais ils n’ont pas grand sens aussi loin de l’échéance. « Mac is back ! » proclame son slogan de campagne. À 72 ans, ce type-là revient en effet de si loin que nul ne sait où il s’arrêtera.

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