Bilans américains

Publié le 10 mars 2008 Lecture : 4 minutes.

C’est le 19 mars 2003 que, sur ordre du « commander-in-chief » George W. Bush, les troupes américaines ont envahi l’Irak. Le même, secondé chaque fois par le Premier ministre du Royaume-Uni, Tony Blair, avait déjà ordonné à ses armées, ?dès la fin de 2001, de prendre le contrôle de l’Afghanistan.
Deux guerres d’inégale importance, et qui durent depuis près de sept ans pour l’une, cinq années pleines pour l’autre, ce que ne prévoyaient nullement ceux qui les ont déclenchées
Saisissons l’occasion pour en dresser un rapide bilan : malgré les apparences et ce que la plupart d’entre nous pensent, disent ou écrivent, il n’est, pour les Américains, négatif – et coûteux – qu’à court terme.

On ne connaît pas avec précision le nombre des victimes afghanes et irakiennes. On sait seulement que les morts et les blessés se comptent par centaines de milliers ; les personnes déplacées, par millions.
Les pertes américaines sont, en revanche, décomptées avec précision : 4 000 morts en Irak (3 973 au 1er mars), soit moins de 1 000 par année de guerre ; et 500 (483 au 1er mars) en Afghanistan, soit moins de 100 par an.
Le coût en dollars de ces deux guerres pour les États-Unis fait l’objet, lui, d’évaluations divergentes. Les plus sérieuses le situent entre 1 000 et 1 500 milliards de dollars dépensés à ce jour, et entre 12 et 15 milliards par mois en 2008.

la suite après cette publicité

À cela, il faut ajouter les coûts indirects :
– le baril de pétrole n’aurait pas atteint et dépassé 100 dollars sans la guerre d’Irak (et le conflit larvé des États-Unis avec l’Iran). Or c’est à ce prix que nous le payons – et les Américains avec nous ;
– l’Afghanistan ne serait pas devenu le pays qui fournit au reste du monde 90 % de l’opium (et donc de l’héroïne) qu’il consomme sans l’incapacité des armées qui l’occupent à lutter contre les progrès de la culture du pavot (193 000 hectares en 2007, soit 17 % de plus qu’en 2006) et de la production (8 200 tonnes d’opium, soit 34 % de plus qu’en 2006)1 ;
– le prestige des États-Unis ne serait pas tombé aussi bas si ce pays ne s’était engagé, depuis 2001, dans une politique aussi agressive et unilatérale.

Un bon observateur anglo-saxon, Rory Stewart2, estime que : « Le moment est venu pour les États-Unis de se retirer d’Irak. Nous sommes comme un antibiotique inadapté.
Nous sommes assez forts pour transformer ce qui aurait pu être une guerre civile conventionnelle en un conflit de voisinage tout à fait non conventionnel. Mais nous ne sommes pas assez forts pour l’éliminer complètement.
En même temps, je crains que, sans le vouloir, nous n’ayons discrédité la démocratie aux yeux de nombreux Irakiens. Nous avons créé une situation dans laquelle beaucoup d’entre eux ont le sentiment que la seule manière de ramener la sécurité est de faire revenir un homme fort. »

Qu’il nous paraisse juste ou sévère, le jugement de Rory Stewart se réfère à ce qu’on observe aujourd’hui. Ou, disons, à ce qu’aura fait l’administration de George W. Bush en Afghanistan et en Irak jusqu’à son départ à la fin de cette année.
Mais souvenons-nous du Vietnam, car c’est pour les États-Unis le vrai précédent : les Américains ont envahi ce pays et y ont envoyé jusqu’à 500 000 soldats ; ils ont dû le quitter en avril 1975, dans les conditions les plus humiliantes, après une guerre de dix ans qu’ils ont perdue et au cours de laquelle 50 000 des leurs ont trouvé la mort.
Leur réputation dans le monde était tombée alors à un niveau encore plus bas qu’aujourd’hui La guerre terminée et les troupes américaines rentrées chez elles, la défaite a été bien vite oubliée ; le prestige des États-Unis a été restauré en quelques années et les ennemis d’hier – le Vietnam comme la Chine – sont devenus pour Washington des pays amis

Tournons-nous donc une fois de plus vers l’avenir et considérons le moyen terme : il suffira aux États-Unis d’avoir, à partir de l’an prochain, un président moins subjectif et plus avisé pour tirer un extraordinaire parti d’une aventure coûteuse et qui, ayant mal tourné, s’est transformée provisoirement en mauvaise affaire.
D’un seul coup d’il, le nouveau président des États-Unis verra que l’intérêt de son pays est de se réconcilier avec l’Iran au lieu de s’obstiner à le rejeter et à malmener ses dirigeants. Il n’aura aucun mal à découvrir que ces dirigeants – ceux-là mêmes qui sont actuellement au pouvoir – n’attendent qu’un geste de vraie considération pour s’engager dans la voie de la réconciliation avec les États-Unis, et même avec Israël

la suite après cette publicité

Ayant remplacé en Irak un régime hostile, celui de Saddam, par un autre qu’ils ont choisi et contrôlent, les États-Unis se trouveront, dès qu’ils se seront réconciliés avec l’Iran – l’entreprise prendra bien trois ou quatre ans -, maîtres du Moyen-Orient comme ils ne l’ont jamais été.
Ils auront en effet rassemblé dans leur camp, où ils seront solidement installés :
– les trois grandes puissances non arabes de la région : la Turquie, Israël et l’Iran ;
– mais aussi, cerise sur le gâteau, l’Irak, gouverné désormais comme l’Iran par sa composante majoritaire chiite.
Ce pays arabo-kurde se trouve être un des plus intéressants de la région par le niveau d’évolution de sa population et par ses immenses réserves pétrolières

Le reste du Moyen-Orient en sera comme déclassé : une dizaine de pays arabes, certains minuscules, dont le grand handicap commun aura été de vivre sous le règne de dirigeants incompétents, voire stupides.
Non, le qualificatif n’est pas trop fort car ces dirigeants auront été incapables de profiter des erreurs de leurs adversaires, tout comme de corriger les leurs.
N’ayant rien vu venir et rien su prévoir, ils se réveilleront un jour pour s’apercevoir qu’ils ont perdu toute marge de manuvre et sont, avec leurs pays et leur pétrole, encore plus dépendants des États-Unis qu’ils ne l’ont jamais été.

la suite après cette publicité

1. Chiffres de l’ONU.
2. Rory Stewart est un ancien diplomate britannique. Il a servi en Irak et en Afghanistan et a publié deux livres ainsi que plusieurs articles sur la situation créée par la guerre dans les deux pays.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires