Ahmed Chami : un patron à l’épreuve de la politique

Ministre marocain de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies, il fait partie de ceux qui doivent faire entrer le royaume dans le XXIe siècle. Mais il doit avant tout trouver ses marques.

Publié le 10 mars 2008 Lecture : 6 minutes.

Pas question de réinventer la roue. La stratégie de développement du Maroc a été tracée avant lui, Ahmed Chami, ministre de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies, n’en est que le chef d’orchestre. Sa partition porte un nom : Émergence. Ce plan, élaboré en 2004, fixe les principaux leviers de développement du pays et les moyens à mettre en uvre pour attirer les investissements dans des secteurs aussi variés que l’offshoring, l’aéronautique, l’automobile, le textile ou encore l’électronique.
C’est le prédécesseur de Chami à l’Industrie, au Commerce et à la Mise à niveau de l’économie, Salaheddine Mezouar, aujourd’hui ministre de l’Économie et des Finances, qui en a fixé les grandes lignes, passant quatre ans à ce poste. Mais c’est à ce jeune patron fraîchement débarqué en politique de le mettre en musique. « Émergence est un superbe concept, martèle-t-il. Il faut à présent le décliner en plans d’action concrets, comme mon prédécesseur a commencé à le faire. Réussir ce challenge me suffirait. » Pour mener à bien sa mission, Ahmed Chami a hérité d’un portefeuille ministériel sur mesure. Il couvre, à lui seul, plus du quart du PIB national Le Palais a, en effet, attaché au wagon de l’Industrie et du Commerce celui des Nouvelles Technologies. Une nouveauté, mais pas une révolution. Mezouar avait lui aussi beaucoup uvré pour mettre ce secteur sur les rails. Il faisait donc déjà partie, de facto, du champ d’action de ce ministère.

Marqué par le culte de l’entreprise
Pour beaucoup d’entrepreneurs marocains, Ahmed Chami est la bonne personne à la bonne place. Centralien, titulaire d’un MBA décroché à Los Angeles, il justifie d’une longue expérience dans le domaine des nouvelles technologies. Fondateur de Distrisoft en 1991, une société de distribution des produits Microsoft au Maroc, il a très vite intégré les rangs du géant de Seattle, où il fera une brillante carrière entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est. « Il a toujours su impliquer ses équipes et les pousser à aller de l’avant », se souvient l’un de ses collaborateurs. Ce père de quatre enfants est aussi un fin redresseur d’entreprises. Propulsé directeur général du groupe Saham en 2005, il a eu fort à faire lorsque celui-ci a récupéré la compagnie d’assurances Es-Saada, alors minée par un déséquilibre financier. Les remèdes de Chami ont très vite porté leurs fruits. Il garde de cette expérience une relation toute privilégiée avec Moulay Hafid Elalamy, ami de longue date, président de Saham et, surtout, patron des patrons marocains.
Un seul reproche lui est fait, mais il revient régulièrement : celui de n’avoir aucune expérience en politique. Rappelant son attachement aux valeurs socialistes, il s’en défend et revendique l’héritage de son père, Hassan Chami, figure de la gauche socialiste marocaine, qui fut aussi président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), le patronat marocain. Quand, au lendemain des législatives de septembre 2007, le gouvernement est constitué avec la volonté de placer des hommes du privé aux portefeuilles clés, le CV d’Ahmed Chami s’est imposé assez naturellement. « Il a beaucoup de charisme et se dépense sans compter, confie un consultant en implantations internationales qui a travaillé avec lui. Quand il se bat pour une activité, on sent qu’il se bat aussi pour le Maroc. » Le profil idéal pour un ministre qui va devoir jouer les « super VRP » du royaume De plus en plus d’investisseurs étrangers commencent, en effet, à s’interroger sur l’attractivité du pays à long terme. Leurs investissements se concentrent essentiellement dans l’immobilier et le tourisme, alors que la part de l’industrie stagne à 15 % du PIB depuis 2002.
Pour l’assister dans cette mission, Chami s’est vu doter d’un nouvel outil. Deux mois après sa nomination, la Direction des investissements, autrefois rattachée à la primature, est passée sous sa tutelle. Il a bénéficié, en outre, d’une hausse importante en moyens humains et financiers. « Il faut aller chercher les investisseurs là où ils se trouvent », explique-t-il. Pour parvenir à ses fins, le jeune ministre compte revoir enfin les critères d’éligibilité et les conditions incitatives prévues dans le cadre des conventions signées avec l’État en fonction des secteurs que le Maroc souhaite développer.
Afin de donner naissance à des entreprises marocaines performantes, Chami a également hérité d’un serpent de mer baptisé « modernisation compétitive ». « Depuis trente ans, la croissance du PIB s’est faite par l’accumulation d’investissements physiques et humains, analyse-t-il. On met plus de personnes, plus de machines et on produit plus. Mais désormais, c’est la productivité qu’il faut améliorer. » Les PME seront priées de s’en charger. Dans cette perspective, le ministre leur concocte un contrat-cadre et rêve déjà de faire de certaines d’entre elles des champions nationaux. Marqué par l’American way of life et le culte de l’entreprise, Chami ne cache pas que les méthodes américaines ont sa préférence. Il envisage par exemple de pousser les petits patrons à adopter le « total productivity management », une stratégie qui vise à augmenter les rendements au maximum en impliquant toutes les divisions et tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise. L’ancien de chez Microsoft envisage également de les former aux systèmes d’informations pour gérer leurs ressources humaines et les aider à trouver de nouveaux débouchés commerciaux.
Toutefois, et Chami le sait bien, la productivité n’est rien sans l’innovation. À son retour de Singapour, il avait d’ailleurs lancé un incubateur privé pour la recherche. « Je voulais trouver des chercheurs marocains qui avaient des idées, mais qui n’avaient pas les moyens de finir leurs expériences et de concrétiser leur travail, se souvient-il. En même temps, je me suis rendu compte qu’ils étaient nombreux à l’étranger à travailler dans des secteurs de pointe. » De là est née l’idée de préparer une extension au plan Émergence. Baptisée « Envol », ce nouveau programme vise à impliquer d’autres secteurs à fort potentiel compétitif, comme les nanotechnologies, la micro-?électronique et la biotechnologie, en développant des pôles d’excellence réunissant entreprises, universités et laboratoires. Le premier est prévu au Technopolis de Rabat, la future plate-forme dédiée aux métiers à haute valeur ajoutée du royaume.

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Il doit encore imposer son style
Le ministre a déjà trouvé ses partenaires : CDG Développement, une filiale de la Caisse de dépôt et de gestion, qui s’investit dans tous les projets de développement territorial du pays, ainsi que l’université Al-Akhawayn, la plus américaine des universités marocaines. Reste à attirer les privés Une première entreprise américaine, Tessera, va s’installer cette année au Technopolis. La fabrication de caméras miniatures pour les téléphones portables devrait commencer avant la fin de l’année. À présent, Ahmed Chami doit multiplier les voyages à l’étranger pour démarcher d’autres investisseurs, de nouvelles universités et des moyens de financement supplémentaires. Notamment des fonds de capital-risque. « En amenant des sociétés, en créant un centre de développement technologique, nous allons encourager le savoir et l’innovation. Plus on aura de sociétés étrangères, plus elles s’appuieront sur des cadres marocains qui vont être confrontés aux meilleures techniques » Effet d’annonce ou stratégie audacieuse ? Une chose est sûre, il n’existe encore aucun détail chiffré sur ce projet ambitieux.
Quant au ministre, il a encore pas mal de chemin à parcourir avant d’imposer son style. Quatre mois après son arrivée, certaines mauvaises langues vont même jusqu’à dire qu’il n’aurait même pas encore fini de trouver ses marques À sa décharge, l’attribution de certains dossiers économiques dans le gouvernement reste obscure. Ainsi, Chami doit partager la gestion de l’industrie des produits de la mer et celle de la filière agroalimentaire – deux secteurs retenus par le plan Émergence – avec l’hyperactif Aziz Akhannouch, son collègue en charge de l’Agriculture et de la Pêche. Habitué à l’efficacité et à la réactivité du privé, arrivera-t-il à surmonter les lenteurs et les obstacles de l’administration ?

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