Vol RN 152 pour Abidjan

Trente Ivoiriens et vingt-trois Sénégalais en situation irrégulière ont été expulsés de France le 3 mars. Voici comment ils ont vécu l’épreuve.

Publié le 12 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

«Dans la nuit du 2 au 3 mars, j’ai été réveillé par des hurlements. Il devait être 5 heures du matin. Je me suis précipité hors de ma chambre, et j’ai vu des policiers, un brassard rouge au bras, emmener manu militari une trentaine d’Africains », se souvient Niany Ganiado, Sénégalais placé depuis le 27 janvier dernier en Zone d’attente pour personnes en instance (Zapi), à l’aéroport de Roissy. « Les plus agités ont été menottés et bâillonnés à l’aide d’un large ruban adhésif. Deux ou trois camarades, récalcitrants, ont été ficelés dans leur matelas. À 6 heures, tout était fini. »
Ainsi, 23 Sénégalais et 30 Ivoiriens « non admis ou déboutés de leur demande d’asile politique en France » ont été expulsés, le 3 mars, par le vol RN 152 de la compagnie Euralair Horizons, à destination d’Abidjan puis de Dakar. Un Boeing 737 spécialement affrété par la France et l’Allemagne, cette dernière refoulant un ressortissant sénégalais. L’embarquement a été mené dans la plus grande discrétion par le ministère français de l’Intérieur, sur une aire éloignée des aérogares et des regards indiscrets. L’avantage des vols charter ? Un coût moindre, « de l’ordre de 70 000 euros », selon un spécialiste. « Et pas de témoins directs », souligne l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International.
À bord de l’avion, 89 policiers, dont 6 de nationalité allemande, et un médecin attendent les expulsés. Certains d’entre eux, les jambes ligotées avec du ruban adhésif marron, sont portés jusqu’à leur siège par les fonctionnaires de police. Selon un Sénégalais qui préfère se faire appeler Dame, « vingt minutes après le décollage, les hommes en tenue bleue [les policiers, NDLR] nous ont enlevé les menottes en plastique pour les remplacer par celles en métal. » Les poignets meurtris, le jeune Dakarois tremble encore en racontant son calvaire : « Ceux qui criaient trop fort ont été bâillonnés. Les femmes suffoquaient, c’était l’angoisse. » Pourtant, à en croire un responsable de la Direction générale de la police nationale française (DGPN), « l’ensemble de l’opération s’est déroulé sans incident, toutes les précautions ayant été prises pour assurer la sécurité des passagers ». Il affirme également que chaque rapatrié a reçu un plateau-repas. Les expulsés, eux, soutiennent n’avoir rien eu à manger ou à boire durant les six heures de vol. « Un policier nous accompagnait aux toilettes, ajoute Dame. Il restait debout, face à nous, la porte grande ouverte. Faire vos besoins sous le regard d’un homme, c’est vraiment la pire des humiliations. »
Une trentaine de minutes avant la première escale à l’aéroport d’Abidjan, alors que l’appareil amorce sa descente, les policiers commencent à enlever les menottes aux ressortissants ivoiriens. À bord, les esprits s’échauffent. Les clandestins se débattent cependant que leurs cerbères s’efforcent de les retenir. « Renvoyer des Ivoiriens, alors que leur pays est plongé dans une crise totale, que des exactions sont commises, c’est mettre en danger leur vie », estime Pierre Henry, directeur de l’ONG France Terre d’Asile. Et d’ajouter que « la France prend là des risques insensés ». De fait, on peut s’interroger sur l’opportunité d’une telle opération au moment où les ressortissants français encore en Côte d’Ivoire ont le sentiment d’y être devenus indésirables. La centaine de personnes présentes sur le tarmac lors de l’atterrissage de l’appareil n’ont pas davantage compris les motivations de Paris (et n’ont pas hésité à le faire savoir).
Le vol RN 152 ne reprend sa route que deux heures plus tard, direction Dakar. Là, les policiers français ne s’aventurent pas hors de l’appareil. Ils conduisent les expulsés un à un jusqu’à la passerelle, où attendent des éléments de la police locale. Entre les mains de ces derniers, les passeports que leurs titulaires n’avaient plus vus depuis Paris, avec un cachet de la police française aux frontières. Les documents sont barrés d’une grande croix signifiant que l’entrée sur le territoire français a été refusée.

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