Mines : pourquoi le géant africain AngloGold devrait investir… en Colombie
Pour les experts du secteur, Alberto Calderon, le nouveau patron colombien d’AngloGold Ashanti, doit développer le groupe panafricain dans son pays natal. Explications.
Il n’est pas encore arrivé qu’un énorme dossier l’attend déjà. Alberto Calderon (61 ans) prendra en septembre la place jadis occupée par Kelvin Dushnisky, qui avait démissionné en juillet 2020 de la direction d’AngloGold pour rejoindre le conseil d’administration du canadien Lithium Americas.
Relancer une entreprise « à la dérive »
Christine Ramone avait été entre-temps nommée DG par intérim. Elle est aujourd’hui à la tête d’une entreprise « à la dérive », selon Simon Hudson-Peacock, analyste des investissements miniers chez S2Research, basé au Cap.
L’an dernier, AngloGold a en effet dû cesser son exploitation aurifère en Afrique du Sud, pays où elle a encore son siège social. Si Simon Hudson-Peacock reconnaît volontiers que Christine Ramone est une « directrice financière compétente », il estime qu’elle n’est pas « une DG faite pour le secteur minier ».
En 2020, le chiffre d’affaires d’AngloGold Ashanti était de 4,43 milliards de dollars
En 2019, avant que les prix de l’or ne commencent à augmenter, AngloGold avait décidé – pour éviter d’être la cible d’un rachat – de prendre moins de risques en « améliorant les flux de trésorerie et en réduisant ses investissements ».
Résultat : en 2020, au moment de la montée des cours de l’or, les actions d’AngloGold ont sous-performé, l’entreprise ayant des stocks d’or trop bas. À 289 rands l’action (environ 20 dollars et 17 euros), le cours d’AngloGold Ashanti à Johannesburg est en recul de 48 % sur un an et reste loin du pic de 637 rands atteint – brièvement – le 1er juillet 2020. Alberto Calderon a déjà annoncé vouloir diminuer l’écart entre la valeur actuelle des cours et leur niveau potentiel. La décote du titre est estimée à 80 %.
La remontée des cours a cependant permis de renforcer les comptes du groupe minier. Ses revenus ont atteint 4,43 milliards de dollars en 2020 (+25,4% sur un an), pour un résultat net de 953 millions de dollars contre une perte de -12 millions en 2019.
La Colombie, une « juridiction risquée » mais au fort potentiel
Pour parvenir à regagner la confiance du marché, les actifs colombiens d’AngloGold pourraient jouer un rôle essentiel.
Ils sont les « plus avancés » du portefeuille d’exploration à court terme de la société selon le cabinet S2 Research. La Colombie est certes une « juridiction risquée » mais ces actifs sont « probablement les seuls qui ont le potentiel de faire une différence dans le flux de revenus d’AngloGold dans un délai raisonnable. L’alternative serait des acquisitions qui, en l’état actuel du marché, ne sont plus particulièrement intéressantes financièrement ».
La société table sur une production annuelle en équivalent or de 600 000 onces pour les cinq premières années d’exploitation des mines colombiennes. Ces projets pourraient augmenter les marges et les liquidités disponibles de l’entreprise, tout en prolongeant la durée d’exploitation des mines.
Des décisions difficiles doivent ainsi être prises en « matière de réinvestissement, de fermeture ou de cession » et investir en Colombie en fait partie. AngloGold possède aujourd’hui des mines dans plusieurs pays africains, au Ghana, en Guinée, en Tanzanie et en RDC, ainsi qu’en Australie et Amérique latine (pour le moment au Brésil, en Colombie et en Argentine).
L’entreprise « a besoin d’une direction ferme » et d’un « directeur général courageux pour oser allouer des capitaux importants dans ce pays latino-américain », reconnaît Simon Hudson-Peacock.
Et Alberto Calderon aurait, à en croire Raj Ray, directeur de la recherche sur les métaux et les mines de BMO Capital Markets, « toute l’expérience nécessaire pour diriger l’entreprise ». Outre son passage chez le fabricant australien d’explosifs Orica en tant que DG, Alberto Calderon a été le directeur général de Carbones del Cerrejón, détenue par BHP, une des plus grandes entreprises minières mondiales, et de la compagnie pétrolière publique Ecopetrol, deux entreprises colombiennes.
Le manager colombien reste cependant « relativement inconnu dans le secteur de de l’or », ce qui n’est « pas nécessairement une mauvaise chose, le secteur ayant besoin d’un regard neuf » affirme Raj Ray.
Un manque de consensus politique
Calderon va cependant avoir besoin de temps pour mener à bien ces projets. Comme le souligne le rapport annuel de l’entreprise il faudra d’abord obtenir les permis locaux, le projet Gramalote, au sud du pays, co-porté par AngloGold et B2Gold (qu’AngloGold détient à hauteur de 50%) étant par exemple encore au stade de l’étude de faisabilité.
Le début de la production de la mine de cuivre de Quebrada, au centre de la Colombie, est quant à lui attendu pour le second semestre 2025, une éternité pour certains investisseurs déçus par les performances d’AngloGold depuis la démission de Kelvin Dushnisky.
Raj Ray note également qu’Alberto Calderon dirigera l’entreprise depuis Melbourne, alors même que « la présence d’AngloGold en Australie est faible par rapport au continent africain et à l’Amérique latine ». Cela pourrait retarder certains projets, notamment avec la prolongation des restrictions de voyages liées à la pandémie.
Enfin selon le cabinet de conseil Colombia Risk Analysis, le pays en lui-même n’a pas encore pleinement développé son potentiel minier en raison d’abord d’un manque de consensus politique sur l’importance à accorder à cette industrie. Certaines incohérences juridiques pourraient aussi présenter des risques pour l’entreprise, tout comme l’insécurité présente dans les zones rurales.
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