Sombres presages

Crises politiques, baisse des cours des matières premières. L’édition 2002-2003 des Perspectives économiques en Afrique tire la sonnette d’alarme.

Publié le 12 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

Vingt-deux pays passés au crible par les experts de la Banque africaine de développement (BAD) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et, d’emblée, un constat : « Tout peut vite être remis en cause en Afrique, et presque toujours pour des raisons politiques. » Quelques mots, destinés à introduire les dernières Perspectives économiques en Afrique(*) publiées le 3 mars et élaborées conjointement par les deux organismes, qui sonnent comme une mise en garde. En témoigne l’implosion de la Côte d’Ivoire. « Au début de l’année 2002, on pensait que le pays pouvait repartir parce que la paix était de retour, explique Jean-Claude Berthélemy, coordinateur de cette deuxième édition des Perspectives. Aujourd’hui, tout est remis en question. Les – 4 % ou – 5 % de croissance escomptés pour 2003 sont même des prévisions relativement optimistes. » Un effondrement somme toute aussi brutal que l’a été le redressement de l’économie malgache. Tombé à – 10 % l’année dernière du fait de la crise politique qui a secoué Madagascar en décembre 2001, le taux de croissance de l’île devrait flirter avec les 10 % en 2003, selon les estimations les plus récentes du Fonds monétaire international (FMI). Preuve qu’en Afrique rien ne dure jamais.
Harare l’a appris à ses dépens. « Le Zimbabwe connaît une croissance négative depuis 1997, rappelle Jean-Claude Berthélemy. Et pourtant, au début des années quatre-vingt-dix, le pays était montré en exemple pour sa politique de lutte contre la pauvreté. » Cette année, son Produit intérieur brut (PIB) devrait encore diminuer de 5,6 % (après une baisse de 11,4 % en 2002), notent les auteurs du rapport, « sous l’effet conjugué de déséquilibres macroéconomiques croissants, de la sécheresse généralisée au cours du premier trimestre 2002 et de l’accélération des réformes agraires qui a suivi la réélection contestée du président Robert Mugabe ».
Même tendance à la détérioration en Afrique de l’Ouest, gravement touchée par la crise ivoirienne. « Encore que le Mali soit plus atteint que le Burkina, précise Jean-Claude Berthélemy. Notamment parce qu’il est plus pénalisé que son voisin en matière de transports, et donc d’échanges avec le reste de la sous-région. La ligne de chemin de fer Dakar-Bamako est dans un état déplorable, et passer par la Guinée n’est pas, compte tenu du contexte politique, une solution. » Du coup, le Mali (par ailleurs handicapé par une mauvaise campagne cotonnière), qui présentait, depuis la dévaluation de 1994, des taux de croissance avoisinant les 6 % de moyenne annuelle, ne pourra se targuer en 2003 que d’un médiocre 2,1 %, contre 9,9 % en 2002. Preuve, ici aussi, que si « l’année 2002 n’a pas été favorable à l’Afrique, [c’est] moins à cause de l’environnement international que pour des raisons intérieures ».
Le continent est certes tributaire de la conjoncture de la zone euro, où la croissance ne devrait pas dépasser les 1,9 % cette année. Mais seuls sont directement concernés les pays touristiques – d’Afrique du Nord principalement – ou ceux qui produisent et exportent des biens manufacturés. Les autres subissent bien davantage le contrecoup des crises politiques et « l’influence des tendances et des cycles des marchés des produits primaires ». Produits dont les cours sont, à l’heure actuelle, plutôt défavorables à l’Afrique. Parmi eux, le thé ou le coton. Le prix de ce dernier est aujourd’hui inférieur de plus de moitié à son niveau de 1995 du fait, notamment, de l’importance des subventions accordées aux producteurs chinois et américains. Les recettes du Mali, du Burkina, de la Côte d’Ivoire, du Soudan et de l’Égypte s’en sont évidemment ressenties. Seule exception notable, le cacao, dont le prix a plus que doublé depuis le mois de juillet 2001. Une hausse étroitement liée à la situation qui prévaut en Côte d’Ivoire, le premier producteur et exportateur mondial, et dont le Ghana et le Cameroun pourraient bien tirer avantage.
La remontée des prix du pétrole devrait, en revanche, profiter aux pays africains producteurs. Même si, comme dans le cas du Gabon, où la production décline, elle ne fait parfois que retarder les conséquences inévitables d’une trop grande dépendance vis-à-vis du brut. À Libreville, capitale de l’un des plus riches pays du continent, le taux de croissance est estimé à 1 % en 2002 et pourrait chuter à – 2,1 % en 2003. « L’arrêt de la manne pétrolière est d’autant plus problématique, notent les auteurs des Perspectives, que le Gabon présente des indicateurs sociaux faibles au regard de son revenu par habitant et une dette extérieure importante. » Certains, toutefois, s’en tirent mieux. C’est le cas du Mozambique, où la réalisation de grands projets d’investissement a tiré la croissance au-delà de la barre des 10 % en 2002, et également de l’Algérie. L’économie y a, en effet, connu une légère embellie avec une croissance de 2,6 % l’année passée. Croissance qui pourrait atteindre les 3,7 % en 2003. De quoi redonner confiance aux investisseurs.
Autant d’éléments dont les Perspectives tirent les conséquences : « Le continent africain ne va pas remplir les objectifs de développement du millénaire. » Autrement dit, il n’atteindra pas les 7,4 % de croissance annuelle nécessaires pour réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2015. Le taux de croissance moyen y est en effet tombé en dessous de la barre des 3 % pour la première fois depuis 1995 et ne devrait pas dépasser, cette année, les 3,3 %. Les – quelques – privatisations engagées n’y ont rien fait. Deux mille sept cents entreprises publiques ont bien été cédées et, sur cinquante-trois pays africains, seuls neuf n’ont pas privatisé, soit pour des raisons politiques, comme au Liberia ou en Libye, soit parce qu’ils disposent d’entreprises publiques globalement saines, comme au Botswana, en Namibie ou à Maurice. Mais avec des résultats mitigés : les privatisations menées n’ont, à ce jour, rapporté que 8 milliards de dollars, soit à peine 1,5 % du PIB africain. « Si l’on opte pour la libéralisation, conclut Jean-Claude Berthélemy, il faut mener les opérations à leur terme, dans un cadre juridique adapté. »

* Perspectives économiques en Afrique, BAD et OCDE, 455 pp., 60 euros.

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