À l’heure de la révolte

Guinée-Bissau. Réduite à l’esclavage, la population a pris les armes contre l’oppresseur portugais.

Publié le 12 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

De la Casamance au Congo, toute la côte occidentale de l’Afrique est guinéenne, d’abord. Mais elle est indépendante et républicaine autour du Fouta Djalon, espagnole entre le Cameroun et le Gabon, et portugaise, enfin, aux frontières du Sénégal.
Des trois soeurs guinéennes, la portugaise est, de loin, la moins bien lotie. Jusqu’en 1920, les Portugais n’avaient pas poussé beaucoup plus loin que Bissau, sa capitale. Les jésuites y ont construit des églises en baroque flamboyant, mais négligé l’instruction. Les administrateurs n’ont fait que quelques rares incursions à l’intérieur des terres. Cette région est donc affreusement pauvre. Les richesses de son sous-sol restent inexplorées, les plantations sont rares. L’analphabétisme bat tous les records et la mortalité infantile s’élève à 60 %. On n’y voit pas de chemin de fer, les routes sont limitées à quelques pistes de brousse, et les établissements sanitaires presque inexistants.
Mais quelques milliers de Portugais continuent à maintenir 550 000 Africains en état d’esclavage à peine déguisé. Leur méthode favorite est le travail forcé. Pour des sommes dérisoires, les Africains se tuent à la tâche dans les plantations européennes ou sur des chantiers gouvernementaux. On les abandonne à leur sort s’ils sont malades, on les remplace facilement s’ils meurent. Tous les ans, des charretées d’hommes valides quittent les îles du Cap-Vert et la Guinée pour les plantations riches de l’Angola. Avec en poche un contrat de trois ans au bout duquel ils touchent 45 000 anciens francs [environ 70 euros]. Beaucoup d’entre eux ne reviennent jamais.
Ceux qui restent au pays sont enrôlés d’office au tarif mensuel de 3 000 anciens francs, à charge pour eux de se vêtir, de se loger et de se nourrir. Ils sont des milliers à avoir préféré la fuite à la mort lente, la liberté aux coups, et la révolte armée aux joies de l’assimilation. Ils se sont réfugiés dans un pays frère : au Sénégal. Non loin de la frontière, en Casamance, ils occupent des centres d’accueil ou partagent le toit de cousins et d’amis.
Depuis l’insurrection angolaise, ils ont pris conscience de leur force, ils se sont groupés en partis : le Front de libération de la Guinée dite portugaise, que dirige François Mendy, et le Parti africain de l’indépendance de la Guinée dite portugaise et du Cap-Vert (PAIGC), présidé par Amilcar Cabral. Ils se battent depuis deux ans, avec des moyens souvent précaires. Mais ils ont énormément appris : la guérilla, le maniement des mitrailleuses et l’encerclement d’une garnison. Ils sont prêts aujourd’hui à déclencher la dernière phase de la lutte. Une opération d’envergure se développe depuis le début de l’année, comparable à celle qui mit le feu aux poudres en Angola.
Dans la région d’Empada, une patrouille nationaliste du PAIGC surprend, au cours du mois de janvier, un détachement portugais. Bilan de l’opération : une centaine de morts dans les rangs portugais qui abandonnent armes et munitions. À Fulacunda, un commando s’empare du camp militaire ; au cours de l’échauffourée six Portugais sont tués.
La répression portugaise bat son plein : des centaines d’Africains, soupçonnés de rebellion, sont en prison. À Bessao, les médecins refusent de soigner des malades africains, sous prétexte qu’ils font partie de mouvements nationalistes. Des membres de la Pide, la police secrète portugaise, achèvent leurs prisonniers avec piqûres et médicaments empoisonnés. À l’intérieur du pays, les détachements portugais s’en prennent aux villages accusés d’avoir abrité les éléments nationalistes.
Pour la première fois, des informations sur la Guinée filtrent au Portugal même, dans les bulletins d’information de la radio gouvernementale. Le Diario de Manha, porte-parole officieux de Salazar, constate, de son côté, que les troubles y ont pris une tournure extrêmement grave.
Le président Amilcar Cabral a lancé, de son quartier général, une dernière invitation aux pourparlers : « Rien ne nous arrêtera plus, a-t-il déclaré, nous ne faillirons pas à notre devoir, mais nous restons prêts à entamer des négociations avec le gouvernement portugais pour mettre fin aux hostilités ! »

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