Le Sahara est-il soluble dans la Démocratie ?

Composé exclusivement de représentants de la société civile, un collectif maghrébin s’est fixé pour objectif de trouver une issue au problème sahraoui. Et de réussir là où les politiques ont échoué.

Publié le 12 mars 2003 Lecture : 5 minutes.

Tous les colloques ne sont pas forcément inutiles, et celui-ci pourrait bien, si le fracas de la guerre annoncée en Irak ne vient pas l’occulter, avoir quelque chose d’historique. Du 18 au 20 avril devrait se tenir à Casablanca une réunion de représentants de la société civile – écrivains, avocats, universitaires, journalistes, hommes d’affaires… – en provenance des cinq pays du Maghreb, dans le but explicite (et ambitieux) de contribuer à dégager enfin une solution au problème du Sahara occidental. Là, en somme, où les diplomates, les chefs d’État et l’ONU échouent avec une remarquable constance depuis près de trente ans, les bonnes volontés de la société civile maghrébine relèvent le défi. Utopique peut-être, méritoire sûrement.

À l’origine de cette initiative, suivie avec bienveillance (il n’est pas inutile de le préciser) par le Palais royal, se trouvent les treize membres, tous marocains, d’un collectif créé début 2002 et présidé par le très médiatique communicateur Noureddine Ayouche, animateur de la Fondation Zagoura et grand apôtre du microcrédit. À ses côtés figurent quelques personnalités connues du petit monde très actif des associations et des ONG marocaines tels Abraham Serfaty, Anis Balafrej, Driss Ben Ali, Khalid Naciri, Abdelali Benamor ou Amina Lamrani. Ce think-tank, qui se veut résolument en marge des partis politiques, a d’ores et déjà pris contact avec nombre d’intellectuels algériens, tunisiens (Mohamed Talbi), mauritaniens, libyens, mais aussi – audace qui en hérissera plus d’un – avec « la composante proche du Polisario ouverte au dialogue ». Des Sahraouis venus de Tindouf pourraient donc, pour la première fois, participer à ce colloque que le collectif envisageait à l’origine de tenir à Tanger à l’occasion du 35e anniversaire de la réunion des mouvements maghrébins de libération, mais qu’il a fallu, « pour des raisons logistiques », nous a confié Noureddine Ayouche, déplacer à Casablanca.
L’un des intérêts, et non le moindre, de ce projet est que ce « Collectif Sahara-Maghreb » a d’ores et déjà mis au point un document de travail – pour l’instant non public, mais dont J.A.I. a pu se procurer une première mouture – définissant ce qu’il appelle « l’émergence d’une nouvelle approche concernant la question du Sahara et la construction maghrébine ». Ayouche et ses amis se livrent à trois rappels, qui ne sont pas inutiles. Le premier est historique : à l’origine, à la fin de l’occupation espagnole, le mouvement anticolonialiste sahraoui, qui allait donner naissance au Front Polisario, était favorable, d’une part, au rattachement de ce qui s’appelait alors le Rio de Oro au Maroc et, de l’autre, à l’instauration de la démocratie dans le cadre du royaume. Ce sont les multiples tergiversations du pouvoir et de la classe politique marocaine face à ces revendications, jointes à l’activisme des Algériens et au double jeu de Madrid, qui ont fini par provoquer une césure puis un divorce entre Rabat et les nationalistes sahraouis. Ce « malentendu » originel est-il encore rattrapable ? Les initiateurs du collectif le pensent, d’autant que le paysage politique marocain est désormais ouvert.
Le deuxième rappel est un diagnostic : partie prenante du dossier, l’Algérie, qui héberge le Polisario, vit une situation de dichotomie entre une population très désireuse d’une normalisation des rapports avec le Maroc et largement indifférente au sort des réfugiés sahraouis, et une hiérarchie militaire, relayée par une partie des médias, qui « privilégie la mise en évidence du conflit » en fonction d’intérêts nationaux et matériels. Troisième rappel enfin, de l’ordre de l’évidence : le Maroc ne renoncera jamais à exercer sa souveraineté sur un territoire qu’il considère comme son prolongement naturel et où il a considérablement investi.

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Ces préalables posés, le collectif estime que « tout est négociable dans le cadre de la construction du Maghreb des régions », le but étant d’« arriver à une situation où il n’y aura ni vainqueurs ni vaincus ». Afin d’atténuer « l’impact de la dimension nationale étroite » qui a fait tant de mal à la construction maghrébine, les membres du collectif proposent de refonder l’Union du Maghreb arabe (UMA) sur la base de « régions largement autonomes » et de projets économiques communs, tels « le développement de l’Ouest saharien » et la mise en place d’un « accès naturel » de l’Algérie à l’Atlantique, « via les territoires sous souveraineté marocaine ». Ayouche, Serfaty et les autres comptent beaucoup sur une société civile « structurée aux dimensions du Maghreb » pour servir de vecteur à ces propositions. Ils estiment surtout que rien ne sera à terme définitif tant que les cinq pays de l’UMA n’auront pas atteint le même niveau de démocratie – une exigence qu’il serait indispensable d’appliquer également au fonctionnement interne du Polisario. « Faisons le Maghreb démocratique des régions », concluent-ils. Voeu pieux ?

Si la démarche des membres du collectif doit être saluée à l’exacte mesure de la carence des hommes d’État, force est de reconnaître pourtant que les dangers qui guettent ce dernier sont multiples. Ceux qui font la politique saharienne de l’Algérie estimeront ainsi qu’il ne s’agit là que d’un paravent, séduisant et médiatique, des thèses marocaines. Dans le royaume, les vieux routiers du dossier jugeront sans doute que ce type de « collectif agneau » risque fort d’être dévoré tout cru par le « loup Polisario » et exploité par les activistes pro-Sahraouis à l’intérieur même du pays – cette sensibilité, on l’ignore souvent, a désormais quasiment pignon sur rue au Sahara occidental, via des ONG tolérées.

Enfin, même s’il avance le principe d’autodétermination des habitants du territoire « sur la base du concept universel du droit du sol et du droit du sang » (ce qui paraît effectivement raisonnable et démocratique), le collectif n’évoque ni la thèse algéro-polisarienne sur le sujet il n’y aura de consultation que sur la base des listes restrictives de votants élaborées par l’ONU -, ni celle du roi Mohammed VI énoncée dans son discours du 6 novembre 2002, pour qui le référendum est tout simplement dépassé. Reste que Noureddine Ayouche, Abraham Serfaty et les autres entendent bien transformer le colloque « historique » de Casablanca en une force de propositions novatrices et originales dont les gouvernements maghrébins et les instances internationales devront tenir compte. Après tout, ils ont deux vertus que les familiers du casse-tête saharien ont oubliées depuis longtemps : l’enthousiasme et ce que l’on pourrait appeler le « maghreboptimisme ».

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