Leçon de choses au Niger

Publié le 12 mars 2003 Lecture : 2 minutes.

Voilà plus de trente ans que je l’observe, que je la fréquente, que je l’aime. Trente ans que je me réchauffe auprès de cette Afrique à la fois si chaude et si chaleureuse. Trente ans que je cohabite avec cette maîtresse abusive, qui prend et qui donne avec autant d’exagération. Vivre l’Afrique, c’est vivre dans l’excès. Excès des sensations. Excès de couleurs, de senteurs, de sueur. Excès de sentiments, de rires, de larmes. Excès d’humanité. Voilà trente ans que je la subis sans pouvoir me passer d’elle. Trente ans qu’elle me nourrit et, en même temps, me pourrit la vie. Longue histoire d’amour, avec ses hauts et ses bas, ses brouilles et ses réconciliations, sa douceur et sa violence.
Le responsable de tout s’appelle Béchir Ben Yahmed. C’est lui qui un beau jour de 1967 m’a tiré de mes petites préoccupations germano- pratines pour me jeter dans la grande marmite africaine. Je ne connaissais rien à l’Afrique. « Tant mieux ! » me rétorqua- t-il lorsqu’au lendemain des chahuts de Mai 1968, il décida, avec l’incroyable culot qui le caractérise, de me bombarder « directeur de la rédaction » de Jeune Afrique, l’hebdo qu’il avait fondé à Tunis huit ans auparavant. « Vous apporterez un regard neuf », affirma-t-il au gamin (j’avais 25 ans) éberlué que j’étais.
Un regard neuf, peut-être. Un regard naïf, certainement. C’est ce même regard que j’aimerais avoir encore, trente ans plus tard, pour contempler cette Afrique qui continue à m’étonner, à me surprendre, à me faire sourire, à me faire pleurer. Ce même regard neuf et naïf, naïf et tendre, tendre mais lucide que je voudrais porter encore, ici même, dans ce petit livre, sur une Afrique certes éternelle, mais éternellement changeante.

Ma première leçon, je l’ai reçue lors de mon premier voyage « sur le terrain ». C’était au Niger. Au cours de ma visite, je fus frappé de constater que les deux rives du fleuve immense qui coule au sud du pays étaient si peu cultivées alors que, me disait-on, la population souffrait de famine. « Pourquoi diable n’irriguez-vous pas les terres au long du fleuve ? Vous avez de l’eau, vous avez du soleil : ça devrait pousser !
– Vous pensez bien qu’on y a pensé, me répondit le président de l’époque, le bon, le brave Hamani Diori. Des équipes canadiennes, françaises, belges, américaines sont même venues spécialement montrer aux riverains comment faire. Nos populations les ont écoutées avec politesse, les ont regardées faire avec curiosité. Mais quand les étrangers sont repartis, ils ont repris leur activité ancestrale, qui est la pêche dans le fleuve. »

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Cette expérience m’a été très utile ; elle m’a aidé à comprendre beaucoup de choses. En particulier qu’on ne peut changer des mentalités, des coutumes, des habitudes simplement avec des plans, avec des chiffres, ni même avec des coups de pied dans le derrière. Que les meilleures recettes de développement, conçues en Occident, ne peuvent marcher qu’en Occident. Que les meilleurs systèmes politiques, inventés en Occident, ne sont applicables qu’en Occident. Qu’il faut laisser les Africains trouver des solutions à l’africaine – sous peine de désastre. Comme celui auquel on assiste, depuis une dizaine d’années – les pires sans doute qu’ait connues l’Afrique depuis les indépendances, les plus meurtrières de sa brève histoire.

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