Kufuor, an III

Pendant que le président tente de redresser un pays économiquement à terre, l’opposition ne cesse de dénoncer la lenteur des réformes. Il reste deux ans au chef de l’État pour faire ses preuves.

Publié le 12 mars 2003 Lecture : 6 minutes.

Il est 5 heures. Les rues principales d’Accra sont bouchées. À chaque feu de Liberation Avenue et de Ring Road, des vendeurs à la sauvette proposent aux chauffeurs accablés de chaleur des chips de plantain, des sachets d’eau glacée, des journaux, du cirage… ou tout autre objet vendable. Des centaines de Ghanéens errent ainsi toute la journée dans les rues pour grappiller quelques milliers de cédis. Il y a vingt ans, 1 dollar valait 2,75 cédis. Aujourd’hui, un peu plus de 8 000… Certes, depuis l’arrivée au pouvoir de John Agyekum Kufuor, en janvier 2001, la dépréciation de la monnaie s’est ralentie et l’inflation s’est stabilisée, fruit d’une politique de réformes et de modernisation de l’économie lancée par le gouvernement.
Malgré des conditions de vie difficiles, la population semble garder son calme et accepter tant bien que mal les mesures impopulaires. L’eau et l’électricité ont déjà vu leurs tarifs doubler en mai 2001, puis augmenter de 60 % en août 2002. Après une première hausse conséquente en mars 2001, le prix de l’essence a encore été augmenté de 95 % le 14 janvier 2003, passant de 10 500 cédis le gallon (3,785 litres) à 20 500 cédis… « C’est énorme pour nous, explique Selli Adoly, fonctionnaire et chauffeur. Mais on ne peut pas faire grève comme en Europe. Si je m’arrête, un autre prendra mon boulot avec plaisir. »
Et pour cause : le pays figure parmi les plus pauvres de la planète, avec, selon la Banque mondiale, un revenu annuel par habitant de 290 dollars (contre une moyenne de 470 dollars pour l’Afrique subsaharienne) et plus de 35 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. En 2002, John Kufuor a demandé que le Ghana puisse bénéficier de l’initiative de réduction de la dette en faveur des Pays pauvres très endettés (PPTE), à laquelle il était éligible depuis longtemps (en 2000, sa dette extérieure atteignait déjà plus de 6 milliards de dollars). Peu reluisante en termes d’image auprès des investisseurs, cette initiative permet néanmoins au pays d’alléger le paiement du service de sa dette extérieure de 200 millions de dollars par an. « Elle est fondamentale pour assainir les finances publiques, explique Yaw Osafo-Maafo, le ministre des Finances. Plutôt que de devoir rembourser cette somme, je peux l’utiliser pour attirer un argent productif. »
Faire venir les investisseurs étrangers au Ghana, voilà bien le cheval de bataille de l’administration Kufuor. Le chef de l’État, d’obédience libérale – il a fait ses études de droit et d’économie à Oxford, en Grande-Bretagne -, pense que le développement de son pays passe par le secteur privé. C’est pourquoi il a créé les Initiatives spéciales du président (PSI) en 2001, dont le but est d’inciter les entreprises à la diversification. Pour l’instant, la balance commerciale ghanéenne (déficitaire) dépend des cours des matières premières sur les marchés internationaux : pétrole pour les importations ; or, cacao et bois pour les exportations. En lançant ces PSI – dont les bureaux se trouvent dans l’enceinte même du palais présidentiel, pour mieux montrer l’engagement personnel du chef de l’État -, Kufuor veut développer certains secteurs agricoles ou industriels qui pourraient devenir des postes importants dans les exportations. Une usine de production de manioc va ainsi ouvrir au mois d’avril à Bawjiase, à l’ouest d’Accra, et cinquante entreprises de fabrication de textiles devraient être créées d’ici à la fin de l’année, pour faire profiter au maximum le Ghana de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), cette loi américaine qui favorise les importations de certains produits africains aux États-Unis. Et ce sont des privés qui géreront le tout.
Mais pour le moment, l’économie ghanéenne repose encore largement sur des subventions publiques. Des privatisations ont été annoncées dès le début du mandat de Kufuor, mais elles tardent à se concrétiser. Celle du Cocobod, l’organisme qui régule les exportations de cacao, aurait par exemple déjà dû être réalisée. La tâche n’est pas aisée. Le Ghana est le troisième pays producteur de cacao après la Côte d’Ivoire et l’Indonésie – la récolte devrait atteindre 400 000 tonnes en 2003. La taille des exploitations ne dépasse généralement pas 2 ha ou 3 ha, et la filière fait vivre environ six millions de personnes. Ces fermiers seraient les premières victimes d’une libéralisation du secteur. Alors le gouvernement avance avec prudence. Et fait ainsi les choux gras d’une opposition prompte à se délecter des échecs de Kufuor. « On nous a annoncé beaucoup de réformes, qui ne sont toujours pas réalisées », s’insurge régulièrement John Atta Mills, chef du National Democratic Congress (NDC) et grand perdant de l’élection présidentielle de décembre 2000.
Kufuor, le leader du New Patriotic Party (NPP), l’avait emporté à la surprise générale devant le poulain de Jerry Rawlings, le président sortant. Celui-ci ne s’était pas représenté, respectant à la lettre la Constitution qu’il avait lui-même fait adopter en 1993. Au pouvoir pendant dix-neuf ans, Rawlings a laissé à son successeur un pays calmé sur le plan politique. Après avoir imposé un régime militaire, ses huit années de gouvernement civil ont lentement installé la démocratie dans un pays troublé depuis le milieu des années soixante. L’élection de Kufuor a constitué la véritable alternance politique, inscrivant le Ghana dans le club des démocraties africaines. L’opposition ne manque d’ailleurs pas une occasion de se faire entendre. Et ce d’autant que le NPP de Kufuor n’a remporté la majorité au Parlement que de justesse. Il compte 101 députés, contre 99 pour l’opposition (90 NDC plus 9 députés de petits partis).
Sans compter que Jerry Rawlings n’a pas réellement quitté la scène politique. Nommé envoyé spécial des Nations unies pour la lutte contre le sida en février 2001, il n’a exercé sa fonction qu’un an avant de revenir au pays. Malgré les dérives dictatoriales de son régime (au début, notamment), il suscite toujours la sympathie et l’admiration de nombreux Ghanéens. « On peut dire ce qu’on veut sur Rawlings, mais c’est lui qui a ramené la confiance au Ghana », argumente Mawuli Tse, un jeune homme d’affaires local. D’accord, il n’a pas fini le travail, mais avant lui, le Ghana, c’était le Zimbabwe… » Les échanges (verbaux) avec Kufuor ont récemment pris un tour plus violent. Par presse interposée, les deux rivaux n’en finissent pas de se reprocher l’un, les erreurs du passé, l’autre, l’échec des nouvelles politiques. Il ne reste que deux ans avant la prochaine présidentielle, et rares aujourd’hui sont ceux qui parient sur les chances de Kufuor.
Le président, lui, se donne encore une petite année pour mettre en oeuvre les réformes annoncées. Ensuite, seulement, viendra le temps de la campagne. Il espère, à ce moment-là, commencer à récolter les fruits de sa politique de rigueur. Pour l’instant, les fonctionnaires n’ont qu’à se serrer la ceinture. Pour rééquilibrer le budget, Kufuor a annoncé le 13 février, dans son discours sur « l’état de la nation », que les salaires du secteur public n’augmenteront pas tant que les recettes de l’État resteront au même niveau. Il faudra également que soit résolue la crise sociale et politique qui secoue le Nord depuis mars 2002, à la suite d’un sanglant règlement de comptes au sein d’une même ethnie. Depuis, le pays dagbon est en état d’urgence, et le couvre-feu toujours en vigueur. Kufuor a d’autant plus de mal à imposer son autorité lors des querelles entre clans qu’il est membre de l’ethnie des Ashantis, la communauté la plus riche et la plus influente du Ghana. Et certains voient d’un mauvais oeil qu’elle cumule les pouvoirs économique et politique…
Plutôt que de s’acharner dans le Nord, John Kufuor se concentre pour l’heure sur l’économie du pays. Les grands travaux ont repris, comme les réparations de la route entre Accra et Kumasi, à 270 km de la capitale. L’aéroport international Kotoka est en chantier et ambitionne de devenir le « portail de l’Afrique de l’Ouest ». On saura à la présidentielle de 2004 si Kufuor, en prônant la rigueur, a joué la bonne carte.

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