Libye : que faire des mercenaires ?
Quelque 20 000 combattants sont invités par la communauté internationale à quitter le pays. Ils devront cependant répondre de leurs crimes devant des juridictions spécialisées.
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Mohamed Chérif Ferjani
Professeur honoraire de l’université Lyon 2, président du haut conseil scientifique du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies
Publié le 23 juillet 2021 Lecture : 3 minutes.
Après une décennie de guerre civile, l’espoir de voir la Libye progresser vers la paix semble enfin permis. En ligne de mire après la signature, en octobre 2020, d’une trêve par les principaux protagonistes, l’organisation d’élections démocratiques avant la fin de l’année 2021. Reste cependant un défi majeur à relever dans ce conflit influencé par le contexte international : mettre fin aux ingérences étrangères.
Pas assez de départs
Cela passe par le retrait de Libye des mercenaires et des troupes étrangères, comme le prévoit le cessez-le-feu négocié sous l’égide des Nations unies, et comme l’exige le Conseil de sécurité.
Outre l’assistance financière et militaire de leurs alliés, les gouvernements rivaux de Fayez al-Sarraj [Gouvernement d’union nationale, GNA] et de Khalifa Haftar (gouvernement de Toubrouk, dit de la Chambre des représentants élus en 2014) s’appuient sur des milices et des groupes de combattants étrangers, dont des mercenaires. Les Nations unies estiment leur nombre à 20 000. Ils viendraient principalement de Russie, de Turquie, de Syrie, du Tchad et du Soudan.
Leur présence n’est pas officielle mais elle est confirmée par plusieurs médias et des experts de divers pays. Si les combattants syriens commencent à partir, selon des sources diplomatiques françaises, l’ONU juge les retraits annoncés d’autant plus insuffisants que la Turquie a envoyé ces dernières semaines 380 mercenaires supplémentaires.
Objectifs et statuts variés
La question du départ des combattants étrangers est complexe. Combien sont-ils exactement ? Sont-ils tous des mercenaires ? Comment et vers quelles destinations les faire repartir ? Que prévoit le droit international à leur sujet ?
Le problème majeur que pose la demande onusienne tient à la multiplicité des statuts des combattants et des implications juridiques qui peuvent en découler. On retrouve ainsi de vrais mercenaires répondant aux critères définis par « la Convention internationale contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires », adoptée en 1989 par l’ONU pour pénaliser le mercenariat. Ils ne sont là que pour accomplir la mission pour laquelle ils sont payés et ne s’intéressent pas aux objectifs de ceux qui achètent leurs services ni à ceux de leurs adversaires.
Il y a aussi ces groupes jihadistes dont l’engagement n’est pas dicté par le seul appât du gain, mais aussi par des motivations idéologiques et par l’adhésion aux visées politiques de la partie pour laquelle ils combattent. Ces groupes ne relèvent pas des législations concernant le mercenariat mais des lois relatives à la lutte contre le terrorisme, dont il n’existe pas une définition juridique admise par tout le monde. En plus, ces lois sont pas appliquées de la même façon par tous les États à tous ceux qui commettent des actes terroristes.
Procès équitables
L’autre grande interrogation concerne le devenir de ces « mercenaires » et « combattants étrangers » appelés à quitter la Libye. S’il revient aux États qui les y ont fait venir de les récupérer, seront-ils poursuivis pour les crimes qu’ils ont commis ? N’est-ce pas une façon de les soustraire à la justice en attendant leur envoi éventuel vers d’autres champs de bataille ?
S’ils sont renvoyés dans leurs pays d’origine, y a-t-il des garanties qu’ils seront jugés pour leurs crimes et comment être sûr qu’ils ne seront pas appelés à accomplir ailleurs le même type de « missions » criminelles ?
S’il est légitime de la part des autorités libyennes de mettre fin à la présence de ces combattants dans le pays, ne serait-il pas plus juste de les remettre à des juridictions internationales ou, à défaut, à la justice du pays où ils ont commis leurs crimes, en exigeant des conditions de procès équitables leur garantissant un traitement humain respectant leurs droits, et de s’assurer qu’ils ne seront pas acheminés vers d’autres fronts ? Là est en définitive tout l’enjeu.
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