Foire d’empoigne à lka ligue arabe

Publié le 12 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

Consacré à la crise irakienne, le XVe sommet de la Ligue arabe, qui s’est tenu à Charm el-Cheikh, en Égypte, le 1er mars, aurait pu être historique. Au lieu de quoi, il a viré, comme bien souvent, à la farce, s’achevant sur une violente altercation verbale entre le Guide libyen, Mouammar Kadhafi, et le prince héritier saoudien, Abdallah Ibn Abdelaziz. Le tout devant des dizaines de millions de téléspectateurs, plusieurs chaînes arabes retransmettant l’événement en direct. Motif de cette prise de bec mémorable, l’apostrophe insolente du colonel à l’endroit de ses « frères » du Golfe. « Nous ne faisons pas face à une crise irako-américaine, mais à un problème irako-arabe, lance-t-il au début de son intervention. Il est de notoriété que certains pays du Golfe, comme le Koweït, ont fait appel à la protection américaine. » Puis, il se hasarde à un jeu de mots des plus déplaisant : établissant un parallèle entre la crise actuelle et celle qui opposa, en 1960, Washington et Moscou à propos des missiles soviétiques livrés à La Havane, il rappelle l’intervention américaine dans la baie des Cochons. En arabe, la « baie » se dit djoun, mais Kadhafi utilise – malencontreusement ? – le terme khalij, qui signifie « golfe ». C’est ainsi que dans sa bouche, « baie des Cochons » devient « golfe des Cochons ». Et le colonel de poursuivre son raisonnement, évoquant une conversation téléphonique qu’il a eue avec le roi saoudien Fahd, en août 1990, au lendemain de l’invasion du Koweït par les troupes irakiennes. « Le protecteur… euh… le serviteur des Lieux saints [titre officiel du roi Fahd, NDLR] m’avait alors affirmé qu’il était prêt à s’allier avec le diable pour protéger le royaume et… », Kadhafi est interrompu par un brouhaha. Les caméras zooment sur un Abdallah Ibn Abdelaziz fulminant de rage : « Sache, lâche-t-il, que l’Arabie saoudite est un pays musulman et qu’il n’est pas un suppôt, comme toi et d’autres, du colonialisme. » Saoud el-Fayçal, chef de la diplomatie saoudienne, se lève de son siège et tente de calmer le régent, « Sayyidi, Sayyidi… » (« Monseigneur, Monseigneur… »). Mais Abdallah perd totalement son sang-froid et poursuit sur sa lancée : « Qui t’a installé au pouvoir ? Tu n’as pas le droit de parler de choses qui ne te concernent en rien. » Kadhafi est interloqué : « Mais que dit-il ? Je n’entends rien. » Et Abdallah d’asséner au Guide : « Le mensonge t’accompagne et le tombeau t’attend. » La promesse de l’enfer éternel est, dans la culture arabe, le comble de l’insulte. La retransmission est interrompue et Kadhafi comprend enfin la gravité de ses propos. Il se tourne vers son voisin de droite, Hosni Moubarak : « Mon frère, pourquoi ne réponds-tu pas à ma place ? » Mais Moubarak a d’autres chats à fouetter : comment sauver « son » sommet ? D’autant plus qu’Abdallah quitte bruyamment la salle, imité par les délégations du Golfe et d’autres qui tentent de proposer leurs bons offices. Kadhafi discute avec ses collaborateurs. Voyant la salle se vider, Moubarak se lève à son tour, rattrape le régent saoudien et le supplie de revenir : « Ne nous donnons pas en spectacle, le monde nous regarde. » Réplique d’Abdallah : « Ce monsieur nous a toujours posé des problèmes, il était temps de le remettre à sa place. » Moubarak insiste : « Nos ministres ont fait tout le travail, la résolution est prête, revenez ! – Te rends-tu compte ? tempête le régent, c’est grâce à nous qu’il s’est sorti de l’impasse de Lockerbie ? Et c’est ainsi qu’il nous remercie ? – S’il vous plaît, Soumouw el-amir [Votre Altesse royale, NDLR], nous devons reprendre nos travaux. – Je ne reviendrais qu’à deux conditions : qu’il arrête son discours et qu’il ne m’adresse pas la parole. » Les deux hommes reviennent dans la salle et le roi de Bahreïn prend la parole pour demander aux intervenants de s’abstenir de toute déclaration touchant l’honneur et la dignité des personnes présentes. Kadhafi se tourne vers Moubarak et lui confie : « Je voulais juste dire que la solution ne pourrait être qu’arabe », mais l’Égyptien est furieux. Les travaux se poursuivent à huis clos. La résolution, dont le texte est prêt depuis vingt-quatre heures, et qui se borne à une déclaration de principe, est adoptée en dix minutes, et le sommet prend fin dans une cohue indescriptible. Le lendemain, des milliers de Libyens manifestent devant l’ambassade d’Arabie saoudite à Tripoli et le Guide rappelle son ambassadeur à Riyad. La presse saoudienne, elle, riposte par une violente campagne anti-Kadhafi. Les Arabes n’ont jamais été aussi pathétiques. En quittant Charm el-Cheikh, un diplomate libyen, ébranlé par la volée de bois vert essuyée par le colonel, lâche, dans un soupir, sans doute pour se rassurer : « Heureusement qu’il y a l’Afrique. »

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