En attendant le renouveau
Bilan en demi-teinte pour le XVIII e Fespaco, qui s’est achevé le 2 mars à Ouagadougou. Une édition marquée par l’essor des documentaires.
C’est entouré de sa famille et de toute son équipe que le Mauritanien Abderrahmane Sissako a présenté Heremakono (« En attendant le bonheur ») au Fespaco. Ce long-métrage a déjà été diffusé et primé dans d’autres festivals, dont celui de Cannes où il a reçu le Prix de la critique internationale. Il a obtenu un véritable succès public dans les salles françaises. Mais, à Ouagadougou, il s’agissait de la première africaine : le moment le plus fort pour son réalisateur. Du moins avant sa prochaine présentation avant la mi-mars à Nouadhibou, qui lui sert de décor, puis à Nouakchott.
C’est à l’encontre de la plupart des pronostics que Sissako s’est vu remettre l’Étalon de Yennenga, récompense suprême du Fespaco. Sur l’estrade, la voix brisée par l’émotion, il pouvait savourer une « victoire » qui n’était pas acquise d’avance. Les jours précédents, les mauvaises langues laissaient entendre que le président du jury, le Burkinabè Idrissa Ouédraogo, auteur de Tilaï et Yaaba, ne prendrait jamais le risque de consacrer un cinéaste de la jeune génération qui pourrait lui faire de l’ombre. Nombre de réalisateurs africains affirmaient par ailleurs qu’on ne saurait commettre « l’erreur » de distinguer une oeuvre difficile qui n’a aucune chance de séduire un large public dans les salles du continent. Sissako, lucide, a tenu à souligner à quel point ce choix courageux l’avait touché.
Le jury a marqué tout simplement sa préférence pour le meilleur film présenté à Ouagadougou. Certes, cette chronique évoquant les faits et gestes d’une série de personnages « attendant le bonheur » à Nouadhibou et songeant à un départ vers l’Occident ne séduira pas les amateurs de films d’action ou de comédies. Mais la beauté des images, la force poétique des personnages, l’humour, les situations inattendues permettent à ce film exigeant de se dégager du lot. « Pour moi, le cinéma, c’est le hasard », affirmait à juste titre le réalisateur lors d’un débat sur la genèse de son oeuvre.
Une formule qui ne saurait s’appliquer à l’autre vainqueur du Fespaco, Kabala, du Malien Assane Kouyaté. Peut-être pour faire accepter la consécration d’Heremakono, le jury a accordé son Prix spécial et son Prix du scénario à ce film sympathique, mais peu original. Kabala conte l’histoire d’une communauté villageoise confrontée à l’éternel dilemme entre tradition et modernité : faut-il faire confiance aux anciens qui refusent toute intervention « humaine » pour réparer le puits des ancêtres hors d’usage ou accorder sa confiance à des techniciens ?
Les autres prix n’ont guère surpris. Comme celui de la meilleure image, assorti d’une mention spéciale aux jeunes acteurs, accordé à Abouna, superbe voyage initiatique de deux enfants à la recherche de leur père, du réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun. Ou le Prix d’interprétation féminine accordé à la Tunisienne Awatef Jendoubi qui incarne dans Fatma une jeune fille qui, après un viol, mène un difficile combat pour s’émanciper. Ou encore le Prix d’interprétation masculine venu récompenser Cheikh Doukouré, très convaincant comme acteur, mais moins comme metteur en scène dans Paris selon Moussa. Ou, enfin, le Prix de la première oeuvre décerné au Franco-Sénégalais Alain Gomis pour L’Afrance, dans lequel un étudiant s’interroge sur les mérites respectifs de l’expatriation définitive et du retour au pays.
Les films les plus ambitieux de cette XVIIIe édition du Fespaco n’ont pas récolté de récompenses significatives. Sans que l’on puisse s’en offusquer : leurs qualités ne suffisaient pas à masquer leurs « défauts de fabrication ». On pouvait être séduit par l’inventivité de Nadia el-Fani, qui raconte dans Bedwin Hacker – cherchez le jeu de mots – les aventures d’une pirate des ondes tunisiennes qui réussit à mettre en émoi la DST française en faisant passer sur les écrans de télévision hexagonaux des messages pour ses compatriotes. Un propos moderniste et une bonne intrigue policière gâchés par un récit confus et une réalisation approximative. De même, comment ne pas être impressionné par le courage et l’optimisme d’un Flora Gomes qui n’hésite pas, sans grands moyens, à nous proposer une comédie musicale, Nha Fala ? Mais n’est pas Vincente Minelli ou Jacques Demy qui veut, et cette réjouissante bluette, où la musique de Manu Dibango déçoit un peu, a du mal à tenir la distance.
Quant aux films qui ont suscité l’engouement du public burkinabè pendant le festival, comme Moi et mon Blanc, du réalisateur local Pierre Yaméogo, ou Madame Brouette, du Sénégalais Moussa Sène Absa, ils avaient surtout le mérite de faire rire le spectateur. Mais leurs qualités artistiques laissaient pour le moins à désirer. Qu’on ait pu se demander si deux bobines de Madame Brouette, portrait d’une débrouillarde qui choisit mal ses fréquentations interprétée par Rokhaya Niang, n’avaient pas été inversées lors de la projection avait quelque chose de gênant. Et le propos un peu racoleur de Moi et mon Blanc, histoire d’une amitié improbable entre un gardien de nuit parisien et un étudiant noir, empêchait d’apprécier tout à fait l’efficacité de la réalisation d’un Pierre Yaméogo incapable de résister à l’attrait de la caricature.
Doit-on en conclure que le cru 2003 du Fespaco était globalement décevant ? La plupart des longs-métrages de fiction avaient déjà été montrés dans d’autres festivals. Le Maghreb, qui avait remporté l’Étalon de Yennenga il y a deux ans avec Ali Zaoua du Marocain Nabil Ayouch, était faiblement représenté à Ouagadougou. L’Afrique du Sud, qui devrait jouer un rôle moteur sur le continent, n’a rien proposé de très stimulant. Néanmoins, ce cru très moyen recelait de réelles promesses d’avenir. D’abord parce que nombre des réalisateurs sélectionnés étaient jeunes et bourrés d’énergie. Ensuite parce que les sujets abordés et les façons de filmer, où le numérique a désormais droit de cité, sont très variés.
Mais le principal acquis de cette édition du Fespaco est peut-être à chercher ailleurs, du côté du documentaire. On a pu vérifier, dans ce domaine, la qualité des oeuvres d’auteurs consacrés, comme Le Mariage d’Alex du Camerounais Jean-Marie Teno, compte-rendu subtil et critique, parfois même comique, d’une union polygame. Ou Vivre positivement de la Burkinabè Fanta Régina Nacro, qui présente une série de témoignages de femmes séropositives parlant de désir et d’amour, malgré la maladie. On a surtout assisté à l’éclosion d’une nouvelle génération très douée de documentaristes, dont la meilleure représentante est peut-être la Marocaine Leila Kilani, qui décrit dans Tanger, le rêve des brûleurs, justement primé, le parcours poignant de ces Africains déterminés à franchir coûte que coûte le détroit de Gibraltar pour rejoindre l’eldorado européen.
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