El-Qaïda dans la nasse

L’arrestation de Khaled Cheikh Mohamed et de Mustapha el – Hawsawi, deux des organisateurs des attentats du 11 septembre, est un coup très dur porté à l’organisation d’Oussama Ben Laden.

Publié le 12 mars 2003 Lecture : 5 minutes.

Bien sûr, Oussama Ben Laden, Ayman el-Zawahiri et quelques barons de moindre envergure courent toujours, mais avec l’arrestation, le samedi 1er mars, de Khaled Cheikh Mohamed, 38 ans, le numéro trois (ou quatre) d’el-Qaïda, les Américains ont assurément porté un coup très dur aux capacités opérationnelles de l’organisation. Accusé de négliger la lutte antiterroriste au profit de sa croisade anti-irakienne, George W. Bush s’était, la veille, montré catégorique : « Nous débusquerons un à un les terroristes. C’est une question de temps, mais ils finiront par apprendre ce qu’est la justice américaine. » Le programme est en passe d’être tenu.
Car le coup de filet qui, dans un quartier chic de Rawalpindi, à une vingtaine de kilomètres d’Islamabad, la capitale du Pakistan, a mis fin à la sanglante carrière du chef du « Comité militaire » d’el-Qaïda, autrement dit du responsable de ses opérations extérieures, hors d’Afghanistan, n’est pas le premier succès des services américains. Depuis les attentats de New York et de Washington de septembre 2001, trois très grosses pointures, au moins, ont été neutralisées : l’Égyptien Mohamed Atef, le Jordanien Abou Zoubeïda et le Yéménite Ramzi Binalshibh (voir infographie).
Par ailleurs, un proche collaborateur de Cheikh Mohamed, l’Égyptien Mustapha el-Hawsawi (35 ans), a été interpellé en même temps que lui, à Rawalpindi. Hawsawi, qui est nommément visé par une plainte déposée par les familles des victimes des attentats du 11 septembre, est l’homme qui, à partir des Émirats arabes unis, a fourni à la fameuse « cellule de Hambourg » – les dix-neuf kamikazes réunis autour de Mohamed Atta – les fonds dont elle avait besoin. Le total de ses versements atteindrait 500 000 dollars. C’est sur l’un de ses comptes bancaires dans les Émirats que les scrupuleux terroristes ont reversé, avant de passer à l’acte, 26 000 dollars qu’ils n’avaient pas eu l’occasion d’utiliser. Intime de Ben Laden, Hawsawi fut son responsable financier pendant son séjour au Soudan, de 1991 à 1996.
À noter par ailleurs que, le 4 mars, le département américain de la Justice a annoncé l’interpellation, à Francfort, d’un certain Mohamed el-Hassan el-Moayad, un religieux yéménite présenté comme « un financier d’el-Qaïda » : au cours du premier semestre 2001, il aurait remis à Ben Laden quelque 20 millions de dollars en liquide.
Dans l’interview qu’ils ont accordée, en mai 2002, à Yosri Fouda, le journaliste-vedette d’Al-Jazira, Cheikh Mohamed et Binalshibh se sont attachés à retracer la genèse des attentats, ce qui, à supposer bien sûr qu’ils aient dit la vérité, donne une idée assez précise du fonctionnement d’el-Qaïda. L’idée de départ serait, selon eux, venue de la cellule de Hambourg, qui en aurait parlé avec Binalshibh, leur « officier traitant ». Celui-ci se serait alors rendu en Afghanistan pour en informer la direction du mouvement. Ben Laden ayant donné son feu vert, Cheikh Mohamed, cet organisateur virtuose, aurait été chargé de rendre le projet praticable : redéfinition des cibles, choix des avions, etc. Le véritable concepteur du plan, le « cerveau » comme disent les Américains, c’est lui, Binalshibh en assurant, pour sa part, la coordination sur le terrain, et Hawsawi le financement. Selon toute apparence, les trois maîtres d’oeuvre des attentats sont donc sous les verrous. « C’est fantastique », a commenté Bush.
Mais qui est donc l’inquiétant Khaled Cheikh Mohamed ? Comme presque tous les responsables d’el-Qaïda (Zawahiri est chirurgien, Ben Laden fils d’un magnat des travaux publics), il n’a rien d’un traîne-patin surgi de quelque banlieue poussiéreuse : c’est un notable dévoyé, qui a suivi une formation d’ingénieur aux États-Unis avant de rejoindre Peshawar pour participer au djihad contre les Soviétiques, à la fin des années quatre-vingt. Originaire du Balouchistan, une province méridionale du Pakistan, mais né au Koweït, il parle couramment, outre l’ourdou, l’anglais, l’arabe et le persan. Plusieurs membres de sa famille sont engagés dans l’islamisme radical : son frère est membre d’el-Qaïda, et Ramzi Ahmed Youssef, son neveu, purge une peine de réclusion à perpétuité, aux États-Unis, pour sa participation au premier attentat contre le World Trade Center, en 1993. En tant que responsable des opérations extérieures de l’organisation, il est plus ou moins directement impliqué dans toutes les attentats antioccidentaux de ces dernières années. Selon l’hebdomadaire Time, il aurait décapité de sa main, en février 2002, le journaliste Daniel Pearl, du Wall Street Journal. L’ingénieur devenu boucher : la métamorphose reste largement inexpliquée. Le FBI offrait 25 millions de dollars pour sa capture.
Depuis plusieurs mois, Cheikh Mohamed multipliait les déplacements dans le sud du Pakistan, entre Karachi et Hub, le berceau de sa famille. Fin février, sur la base d’un renseignement apparemment fourni par la CIA, il est repéré à Quetta, près de la frontière afghane, où il séjourne en compagnie de deux étrangers, dont un Égyptien du nom d’Abdul Rahman. Ce dernier est arrêté, mais Cheikh Mohamed parvient à s’échapper. La police ayant découvert un e-mail adressé par Abdul Rahman à un certain Ahmed Qabus (42 ans), résidant à Rawalpindi, celui-ci est aussitôt placé sous surveillance. Or Qabus n’est pas n’importe qui. Abdul, son père, est un microbiologiste de réputation mondiale qui travailla longtemps pour l’OMS, et Mahlaqa, sa mère, dirige la section féminine locale du Jamaat-I-Islami, le principal parti fondamentaliste pakistanais, vainqueur des élections législatives du 10 février. C’est au domicile de la famille Qabus, dans le quartier de Westridge, que, selon la police, Cheikh Mohamed aurait été arrêté le 1er mars, vers 2 h 30 du matin. Mais rien n’est clair dans cette affaire. Les Qabus jurent qu’il s’agit d’une machination destinée à compromettre leurs amis politiques. D’autres sont convaincus que l’arrestation a eu lieu bien avant et qu’Islamabad n’a fini par l’annoncer que pour apaiser les Américains. Ceux-ci sont en effet furieux du peu d’empressement de leurs alliés à neutraliser les commandos islamistes opérant en Afghanistan à partir de leurs bases en territoire pakistanais, mais aussi de l’ambiguïté de la position du président Pervez Musharraf dans la crise irakienne.
Seule certitude, Cheikh Mohamed a bien été arrêté et vraisemblablement conduit sur la base américaine de Bagram, au nord de Kaboul, où il vit sans nul doute des moments très désagréables. Comme l’écrit le Financial Times (3 mars), « certaines méthodes d’interrogatoire musclées – torture, notamment – sont illégales sur le territoire des États-Unis, mais couramment pratiquées dans plusieurs pays où ils [les membres d’el-Qaïda] ont été transférés. » Il se murmure par exemple que, longuement soumis à la question, Ramzi Binalshibh a fini par livrer un certain nombre d’informations de première importance. Selon Cheikh Rachid Ahmed, le ministre pakistanais de l’Information, Cheikh Mohamed et Hawsawi auraient eux aussi « fait des révélations susceptibles de provoquer de nouvelles arrestations ». Après la découverte dans leurs bagages de lettres manuscrites de Ben Laden, d’un portable et de deux téléphones cellulaires, les enquêteurs ont acquis la conviction que Cheikh Mohamed a rencontré Ben Laden au Pakistan, peu avant son arrestation.
Est-ce la fin d’el-Qaïda ? Certains s’empressent de l’affirmer, mais le récent attentat de Davao, aux Philippines, revendiqué par le groupe Abou Sayyaf, dont les liens avec el-Qaïda sont notoires, incite à la circonspection.

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