De l’espionnage au chantage

Pour sonder les intentions des États membres sur l’Irak, Washington aurait mis sur écoute leurs délé gations. En prévenant toute forme de protestation.

Publié le 12 mars 2003 Lecture : 2 minutes.

La lecture devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le 7 mars, du rapport des inspecteurs en Irak a été précédée par de nombreuses rencontres bilatérales entre les représentants des pays dits « indécis ». Au menu des discussions, l’affaire des écoutes téléphoniques, révélée par The Observer, le 2 mars. L’hebdomadaire britannique a rapporté, au vu d’une note datée du 30 janvier et signée de Frank Koza, chef du département « Cibles régionales » de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA), la mise sur écoute par les États-Unis des délégations des pays membres du Conseil de sécurité. Objectif : obtenir le maximum de renseignements sur les intentions de vote, les négociations en cours et les alliances dans la perspective d’une seconde résolution sur l’Irak.
Si la Grande-Bretagne, alliée inconditionnelle des États-Unis, a été épargnée, tous les autres membres du Conseil ont été épiés par les « grandes oreilles » américaines, avec une attention particulière pour les délégations des États dits « indécis » : Angola, Bulgarie, Cameroun, Chili, Guinée, Mexique et Pakistan.
Mais, contre toute attente, la réaction de ces derniers fut timide et mesurée. Explication de ce paradoxe, dixit un ambassadeur à l’ONU : « Bien que très virulents en privé au sujet de ce grave incident d’espionnage aux Nations unies, les représentants des petits pays se gardent d’exprimer à haute voix leur point de vue. Les États-Unis ont, depuis quelques semaines, une attitude d’intimidation de plus en plus agressive. Outre les menaces de suspension de l’aide économique, ils promettent ouvertement de fermer les robinets à tout petit pays qui s’exprimerait ou voterait en leur défaveur, soit en l’excluant de l’Agoa, soit en le bloquant au niveau des institutions de Bretton Woods. »
Un pays comme la Guinée, qui préside le Conseil de sécurité depuis le 1er mars, n’a pu, malgré sa position stratégique dans le contexte actuel, élever la moindre protestation. Au-delà de la position officielle (selon laquelle il n’existe pas de preuves des faits imputés aux États-Unis), le gouvernement guinéen est redevable aux États-Unis d’avoir étouffé la plainte déposée devant le Conseil, fin février, par le Liberia, qui accuse le pouvoir de Lansana Conté de soutenir les rebelles du Lurd (Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie). Le porte-parole du département d’État américain, Richard Boucher, s’est empressé de déclarer, le 5 février : « Nous sommes du côté de la Guinée pour faire revenir la paix en Afrique de l’Ouest. »
L’Angola, lui, est d’autant moins fondé à parler qu’il voit grimper jour après jour le montant de l’assistance d’urgence promise par le sous-secrétaire d’État américain aux Affaires africaines, Walter Kansteiner, lors de son passage à Luanda, à la mi-février.
Conciliants sans être naïfs, les membres du Conseil de sécurité n’ont pas manqué de prendre de nombreuses dispositions pour sécuriser leurs communications. Chacun des ambassadeurs a reçu des consignes fermes : ne plus utiliser les lignes fixes de l’ONU, acquérir un nouveau téléphone portable professionnel, n’en communiquer le numéro qu’aux personnes strictement indispensables…
La nouvelle des écoutes a créé dans la Tour de verre un climat délétère. Pour détendre l’atmosphère, l’ambassadeur de Bulgarie, Stefan Tavrov, a relativisé l’affaire avec le sourire : « L’écoute de nos délégations par les États-Unis est pour nous, petits pays, une marque de considération. »

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