Spike Lee : les racines de l’hypocrisie

D’ascendance camerounaise selon les résultats de tests ADN, le cinéaste américain Spike Lee se rendra dans le pays de ses ancêtres en janvier.

Le président du jury Spike Lee pose pour les photographes à son arrivée à la première du film ‘Benedetta’ lors du 74e festival international du film, à Cannes, dans le sud de la France, vendredi 9 juillet 2021. © Vadim Ghirda/AP/SIPA

Le président du jury Spike Lee pose pour les photographes à son arrivée à la première du film ‘Benedetta’ lors du 74e festival international du film, à Cannes, dans le sud de la France, vendredi 9 juillet 2021. © Vadim Ghirda/AP/SIPA

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  • Georges Dougueli

    Journaliste spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique.

Publié le 25 juillet 2021 Lecture : 3 minutes.

Tout a commencé par un peu de salive dans une éprouvette adressée à un laboratoire spécialisé. Les scientifiques ont pu extraire l’ADN du demandeur, puis l’ont fait « parler » en le comparant à d’autres échantillons dans une base de données pour en retracer l’histoire. Et voilà Shelton Jackson Lee, dit Spike Lee, né en Georgie en 1957, qui a grandi à Brooklyn, dans le quartier de Fort Greene, parti à la recherche de cette contrée africaine d’où ses ancêtres furent arrachés pour être déportés en Amérique.

Voyage initiatique

Comme pour l’ex-secrétaire d’État Condoleezza Rice, qui a effectué la démarche  avant lui, le résultat indique le golfe de Guinée, à l’emplacement du Cameroun actuel. Ne restait plus qu’à entreprendre le voyage initiatique. Mis au parfum, Yaoundé l’a invité, le 2 juillet, à l’ambassade du Cameroun à Paris, alors qu’il était en route pour la Croisette, où il devait présider le Festival de Cannes.

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Reçu avec les honneurs, il a dégusté des plats nationaux et dansé sur du Manu Dibango… Et ce n’était qu’un début. La présence du réalisateur est « annoncée au Cameroun en janvier 2022 », a exulté Cameroon Tribune, le quotidien gouvernemental du pays qui organise à cette même période la Coupe d’Afrique des nations de football (CAN).

Et c’est là que le retour aux sources emprunte des chemins tortueux.

Refus de la différence

D’abord, la plupart de ces visiteurs n’en demandent pas tant. Les Africains-Américains en quête d’identité ont besoin de se reconnecter au continent dans l’intimité, dans le recueillement et la dignité du silence. On leur doit bien ça.

Les descendants d’esclaves sont marqués du sceau d’une ignominie qui transcende les générations et résiste à l’épreuve du temps. Que des laboratoires et des voyagistes se servent de cette quête pour faire du profit est aussi critiquable que peut l’être le capitalisme. Mais que ces voyages soient transformés en opérations marketing pour hommes et femmes politiques en mal de visibilité internationale est, pour dire le moins, de très mauvais goût.

Dans ce pays qu’il veut faire sien, Spike Lee serait classé comme anglophone

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Les intéressés ne sont pas dupes. Mais combien de temps encore vont-ils devoir fermer les yeux sur les maux qui minent le continent de leurs ancêtres ? Combien de temps Spike Lee va-t-il s’interdire de voir que, dans ce pays qui se propose de l’accueillir dans sa citoyenneté, la loi interdit d’en posséder une deuxième, et que le gouvernement maintient cette loi – quitte à devoir lui-même la violer – pour mieux « tenir » sa diaspora ?

Dans ce pays qu’il veut faire sien, Spike Lee serait classé comme anglophone et, de ce fait, se retrouverait concerné par les affaires de cette communauté, qui, se disant discriminée, a pris les armes pour faire sécession.

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Combien de temps encore vont-ils tous devoir ne rien dire, comme le héraut guadeloupéen de l’antiracisme français, Lilian Thuram, accueilli sans test ADN par les Douala de la côte camerounaise et qui a réussi à boucler son séjour sans se prononcer sur le fait que racisme et tribalisme puisent leur énergie à la source du refus de la différence.

Ce cinéaste engagé devra regarder en face le continent de ses ancêtres sans rien concéder

Ce qui explique pourquoi un Igbo du Nigeria peut voter à Lagos mais se heurte aux préjugés s’il prétend à une charge publique, Lagos étant considérée comme une terre yoruba qui a vocation à n’être représentée que par des Yoruba… Ou qu’un Barack Obama, descendant de la minorité luo du Kenya, puisse être élu président des États-Unis alors que Raila Odinga échoue à conquérir la présidence du Kenya parce qu’il est lui-même… luo.

Communauté de valeurs

Spike Lee sait qu’il ne suffit pas de traverser l’Atlantique dans le sens du retour pour se retrouver « chez soi ». Pas plus que de partager un pourcentage de patrimoine génétique. Encore faut-il pouvoir construire auprès des cousins d’Afrique une communauté de valeurs. Il le sait, lui qui a un ADN de cinéaste militant avec un passé antisystème jalonné d’œuvres aussi iconoclastes que Do the Right Thing, Jungle Fever ou Malcolm X, produits à l’écart de Hollywood.

Il s’est même déjà pris les pieds dans le tapis rouge des pouvoir africains :  en 2013, sous la pression de la société civile gabonaise, il dut renoncer à une invitation au New York Forum Africa qui se tenait à Libreville sous l’égide de la présidence.

Cinéaste et documentariste engagé, authentique militant des droits humains, Spike Lee devra regarder en face le continent de ses ancêtres sans rien concéder à la vérité. L’Afrique des peuples mérite la sincérité.

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