Après Saddam, Kadhafi ?

Inscrit sur la liste des « États voyous » par les faucons de la Maison Blanche, Tripoli pourrait être la prochaine cible de Washington.

Publié le 12 mars 2003 Lecture : 6 minutes.

Mouammar Kadhafi a été parmi les premiers dirigeants arabes et musulmans à condamner les attentats du 11 septembre 2001 et à approuver – implicitement – les bombardements américains en Afghanistan. Depuis, les services de renseignements libyens ont livré à leurs homologues américains des informations de première main sur les réseaux terroristes, dont celui d’el-Qaïda. Cette coopération sécuritaire entre Tripoli et Washington a été confirmée, en janvier, par le leader libyen lui-même dans un entretien à l’hebdomadaire américain Newsweek.
Mieux : après avoir livré, en 1999, les deux suspects libyens dans l’attentat contre l’avion de la PanAm, survenu en 1988, au-dessus du village écossais de Lockerbie, Tripoli semble disposé à verser des compensations financières d’un montant global de 2,7 milliards de dollars aux familles des 270 victimes. Mais les États-Unis continuent d’exiger de la Libye qu’elle reconnaisse publiquement sa responsabilité dans la catastrophe.
Loin de décourager le Guide, cette intransigeance américaine l’a, au contraire, incité à mettre encore de l’eau dans son vin. Ainsi, tout en étant officiellement opposé à la guerre contre l’Irak, Kadhafi se garde de donner libre cours à son antiaméricanisme habituel, réservant ses piques aux dirigeants arabes, ses éternels souffre-douleur. Dernière « capitulation » en date : fin février, Najat el-Hajjaji, ambassadeur de la Libye auprès des instances de l’ONU à Genève, s’est entretenue pendant plus d’une heure avec son homologue israélien Yaacov Lévy. Cette première rencontre officielle entre des représentants des deux pays s’est déroulée dans une ambiance cordiale, et les deux ambassadeurs ont pris congé en se serrant la main, rapporte-t-on à Jérusalem.
Malgré tous ces gestes de bonne volonté en direction des États-Unis, les faucons de la Maison Blanche ne lâchent pas leur pression sur la Libye qu’ils continuent d’inclure sur la liste des « États voyous » et qu’ils accusent de vouloir se doter d’armes de destruction massive.
La Libye, on le sait, figure depuis 1979 sur la liste américaine des parrains du terrorisme international, et les deux pays ont fermé leurs ambassades respectives en 1981. La Jamahiriya est frappée par toute une série de sanctions politiques et économiques américaines, notamment un embargo sur les investissements dans les secteurs pétrolier et gazier. Tout en reconnaissant que le soutien libyen au terrorisme international a considérablement diminué et que Tripoli a coupé la plupart de ses liens avec les groupes terroristes, Washington continue de soutenir que le pays de Kadhafi maintient des « contacts résiduels » avec certains de ces groupes, justifiant ainsi le maintien de ce pays sur la liste des pays sponsors du terrorisme.
Par ailleurs, la Libye est régulièrement citée, à Washington, parmi les pays arabes où l’administration américaine souhaite provoquer un changement de régime. James Woosley, ancien patron de la CIA, l’a confirmé dans une interview au magazine Al-Watan al-Arabi. Selon lui, le scénario de la guerre en Irak pourrait être reconduit dans d’autres pays de la région, comme la Syrie, le Soudan ou la Libye. « Les dirigeants de ces pays devraient, en tout cas, s’en inquiéter », avait-il ironisé.
Bien que l’attention de Washington et de Londres soit pour l’instant concentrée sur l’Irak, la Libye a été, à plusieurs reprises, au cours des douze derniers mois, la cible d’attaques américaines et britanniques. C’est le secrétaire britannique à la Défense, Geoff Hoon, qui a ouvert les hostilités, en mars 2002, en déclarant devant la commission de défense de la Chambre des communes que son pays était prêt à utiliser l’arme nucléaire contre des « États voyous » comme l’Irak, l’Iran, la Libye ou encore la Corée du Nord, si ceux-ci se servaient « d’armes de destruction massive » contre des troupes britanniques.
Réagissant vivement à ces menaces, Hassouna el-Chaouch, un haut responsable du ministère libyen des Affaires étrangères, a déclaré, deux jours plus tard, à l’AFP : « Nous ne pouvons pas nous taire face à cette menace. […] C’est une tentative stérile de [nous] effrayer. » Le responsable libyen a rappelé, à cette occasion, que son pays a signé plusieurs accords internationaux contre la prolifération d’armes de destruction massive.
Dans une communication prononcée deux mois plus tard à la Heritage Foundation, un think-tank néoconservateur basé à Washington, John R. Bolton, sous-secrétaire américain chargé du Contrôle des armements et de la Sécurité intérieure, a cité de nouveau la Libye parmi les États qui parrainent le terrorisme international, l’accusant de produire des armes chimiques et biologiques, et de chercher à se doter de l’arme nucléaire. Tripoli « a produit au moins 100 tonnes de différents types d’armes chimiques, avant que son usine de Rabta ne ferme et ne soit reconvertie, en 1995, en usine pharmaceutique. Après la suspension des sanctions de l’ONU en 1999, la Libye a rétabli ses contacts avec des sources illicites étrangères au Moyen-Orient, en Asie et en Europe occidentale en vue d’obtenir des équipements et des agents chimiques précurseurs. Les États-Unis croient que la Libye poursuit son programme d’armes biologiques. Bien qu’il en soit au stade de la recherche et du développement, [ce pays] pourrait avoir la capacité de produire de petites quantités d’agents biologiques. » Bolton a également évoqué les efforts libyens dans le domaine atomique.
Reprenant à son compte, début septembre 2002, ces allégations, sans toutefois citer nommément leur auteur, le Premier ministre israélien Ariel Sharon a cru pouvoir dénoncer, lui aussi, les efforts de la Libye en vue de se doter de l’arme nucléaire. Selon lui, Tripoli serait le pays arabe le plus avancé dans ce domaine et constituerait, de ce fait, la menace la plus sérieuse pour la sécurité d’Israël.
Dans un rapport remis, en décembre 2002, au Congrès américain, et qui couvre la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2001, la CIA a accusé de nouveau la Libye, la Syrie et le Soudan de tenter patiemment d’acquérir des armes de destruction massive ou d’avoir déjà acquis la capacité de développer des arsenaux de ce type. La centrale de renseignements a estimé également que les trois pays, qui « ont développé la capacité de produire des armes chimiques depuis de nombreuses années, […] pourraient être intéressés par les armes biologiques ».
Tripoli a toujours nié ces affirmations, qui sont du reste très difficiles à vérifier. Cela n’a pas empêché les médias américains de les reprendre en choeur, semant ainsi le trouble dans les esprits.
La Libye n’est ni l’Irak ni l’Iran. Elle n’a jamais eu les moyens logistiques et humains de se lancer dans un programme d’armement aussi exigeant. Comment aurait-elle pu, en si peu de temps et en dépit de l’embargo onusien qui lui a été imposé entre 1992 et 1999, se lancer dans une aventure scientifique qui dépasse, et de loin, ses capacités ? Interrogé à ce sujet, en septembre dernier, par le journal en ligne www.proche-orient.com, Yiftah Shapir, ancien officier de l’armée de l’air israélienne, expert en prolifération d’armement de destruction massive au Moyen-Orient et chercheur au centre Jaffee pour les études stratégiques de l’Université de Tel-Aviv, a émis des doutes sur les capacités libyennes dans ce domaine.
« On sait que, déjà dans le milieu des années quatre-vingt, Kadhafi a voulu se doter de l’arme nucléaire. Il avait proposé 5 millions de dollars en liquide au capitaine d’un sous-marin nucléaire soviétique en échange du submersible et des armes – une offre que le capitaine a déclinée. De même, au début des années soixante-dix, les Russes avaient construit en Libye un réacteur de recherche, soupçonné de servir à développer des armes nucléaires. Mais cela n’a jamais été confirmé, et ce réacteur ne fonctionne plus depuis longtemps. La Libye possède des missiles, c’est certain, mais elle est très en retard dans le domaine du nucléaire, très loin derrière l’Iran et l’Irak », a notamment déclaré l’expert israélien.
La Libye représente-t-elle une menace pour Israël ?
Réponse de Yiftah Shapir, que l’on ne peut soupçonner de sympathies prolibyennes : « La menace n’est pas nulle, mais elle est minime. Les armes de la Libye ne peuvent atteindre Israël, et la distance joue ici un rôle important. La Libye possède des armes chimiques, mais ses têtes de missiles ne sont pas suffisamment sophistiquées. »
Quel est donc le but de la campagne médiatique sur les armes de destruction massive libyennes ? Le colonel Kadhafi serait-il, dans l’agenda secret du Pentagone, la prochaine cible de Washington après Saddam Hussein ? On peut sérieusement le craindre.

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