Vol au-dessus d’un nid de faucons
Quels que soient les partis qui composeront la nouvelle majorité issue des élections du 28 janvier, la réalité du pouvoir sera aux mains d’Ariel Sharon. Et des hommes qu’il a placés à la tête de l’armée et du renseignement.
La rumeur selon laquelle Ariel Sharon serait prêt à offrir le portefeuille de la Défense aux travaillistes pour que ceux-ci acceptent de participer à un gouvernement d’union nationale est sans fondement. Le Premier ministre israélien l’a démentie fermement le 31 janvier. L’ancien chef d’état-major Shaul Mofaz, qu’il a nommé ministre de la Défense le 31 octobre 2002, conservera son poste : « Il n’y a pas là matière à discussion. »
La composition du gouvernement que doit former Sharon au cours des prochaines semaines reste encore largement inconnue, mais on peut déjà affirmer que la frontière séparant le pouvoir politique de celui de l’armée sera plus ténue que jamais. Quels que soient les partis qui composeront la nouvelle majorité, la réalité du pouvoir sera aux mains d’Ariel Sharon et de Shaul Mofaz. Deux généraux faucons qui ont – l’un pendant son mandat de Premier ministre, l’autre quand il était chef d’état-major – placé des hommes de confiance aux postes clés de l’armée et du renseignement.
Officiellement, ces institutions n’ont pas de couleur politique et se contentent d’exécuter les ordres du gouvernement. Mais, plus d’une fois, elles ont montré leur influence, n’hésitant pas à s’opposer ouvertement au pouvoir politique.
Shaul Mofaz en est un parfait exemple : quand les négociateurs israéliens étaient à Taba, en janvier 2001, pour une ultime tentative de sauvetage du processus de paix, il déclara à la presse que l’armée n’acceptera pas que le gouvernement fasse davantage de concessions qu’à Camp David. L’élection de Sharon, un mois plus tard, fait de lui, pour reprendre l’expression d’un journaliste israélien, l’« homme fort de la Défense ». En octobre de la même année, Mofaz s’oppose à l’évacuation de deux quartiers de la ville d’Hébron, pourtant exigée par le gouvernement. Un mois plus tard, Shimon Pérès, alors ministre des Affaires étrangères, s’en prend publiquement à ses généraux, qu’il accuse de vouloir torpiller le cessez-le-feu et éliminer physiquement Yasser Arafat. Sous l’impulsion du général Mofaz, des hommes réputés pour leur jusqu’au-boutisme et leur rhétorique guerrière sont installés, dans la foulée, au sommet de l’armée.
Le mandat de Mofaz à la tête de l’état-major s’achève en juillet 2002. Sharon le remplace par Moshe Yaalon, qui présente l’avantage de partager les vues radicales de son prédécesseur tout en étant plus docile. Tout comme son second, Gaby Ashkenazy, nommé au même moment. D’autres généraux au profil similaire sont placés à la tête du Mossad (sécurité extérieure et espionnage) et du Aman (renseignement militaire). Hostiles aux accords d’Oslo, prompts à prophétiser le pire et partisans de la force brutale pour y remédier, ces « fidèles » appuieront sans réserve Ariel Sharon dans sa politique de guerre à outrance.
Mais, contrairement au Premier ministre, qui peut à tout moment être éjecté par des élections anticipées, ces hommes ne sont pas tributaires de la conjoncture politique. Moshe Yaalon, le nouveau chef d’état-major, par exemple, est en poste pour un mandat fixe d’une durée de quatre ans. Cela explique qu’avant lui Shaul Mofaz ait traversé trois gouvernements successifs (ceux de Netanyahou, de Barak et de Sharon). Si l’on considère que la longévité moyenne des dirigeants du Mossad est de sept ans, Meir Dagan – ami personnel de Sharon et membre notoire du Likoud -, qui occupe ce poste depuis septembre 2002, a encore de belles années devant lui.
En installant solidement des faucons aux postes clés de l’armée et du renseignement, Ariel Sharon est assuré non seulement de bénéficier du soutien sans faille de Tsahal et du Mossad, mais aussi, en cas de coup dur sur le plan politique, de voir sa doctrine prévaloir durablement au sein de deux institutions clés de l’État hébreu.
SHAUL MOFAZ, ministre de la Défense depuis le 31 octobre 2002
« Les accords d’Oslo sont la plus grave erreur jamais commise par Israël. » Shaul Mofaz, 53 ans, ex-chef d’état-major et aujourd’hui ministre de la Défense, n’a jamais fait mystère de ses sympathies pour la droite nationaliste. C’est d’ailleurs plus à ses idées qu’à ses faits d’armes qu’il doit d’avoir été propulsé à la tête de Tsahal, le 9 juillet 1998, par le Premier ministre de l’époque, Benyamin Netanyahou.
Militaire depuis l’âge de 18 ans, le ministre de la Défense n’a à son actif ni décorations ni prestigieux diplômes (il a obtenu une maîtrise en gestion des affaires à l’université de Bar-Ilan, en 1975). Hormis sa participation au raid d’Entebbe, en Ouganda, en 1976, sa carrière au sein de l’armée israélienne – principalement dans les brigades parachutistes – est à son image : sans éclat. Dénué de tout charisme, ce petit homme chauve d’origine iranienne s’est surtout distingué par ses prises de position radicales à l’égard des Palestiniens. Il s’est fait à plusieurs reprises l’avocat de l’expulsion d’Arafat, et c’est à lui que l’on doit le tour de rhétorique « Autorité palestinienne = entité terroriste ».
Son mandat à la tête de l’armée israélienne a été marqué par le retrait de Tsahal du Liban-Sud et, surtout, par le recours à des méthodes expéditives pour venir à bout de l’Intifada. C’est sous sa responsabilité que fut lancée, en mars 2002, l’offensive militaire israélienne la plus importante depuis l’invasion du Liban en 1982 (l’opération Rempart, qui s’est soldée par la réoccupation presque totale de la Cisjordanie). Outre les assassinats ciblés de plusieurs dizaines de militants palestiniens, Mofaz a supervisé les opérations les plus controversées : l’assaut de Jénine en mars 2002, le largage d’un missile d’une tonne sur un quartier résidentiel de Gaza en juillet 2002 et la démolition des bureaux présidentiels d’Arafat.
L’armée israélienne lui doit, par ailleurs, sa remise à niveau « technique ». Durant son mandat, en effet, il lança le programme « FDI 2000 », dont l’objectif était d’adapter l’armée « aux défis du nouveau millénaire » : réorganisation des forces terrestres, rénovation de l’équipement pour un coût estimé à 15 milliards de dollars (dont l’achat de cinquante bombardiers F-16) et participation accrue des femmes.
Premier chef d’état-major séfarade de l’histoire d’Israël, Mofaz a rendu son uniforme à la fin de son mandat, en juillet 2002. Jamais un chef de l’armée ne se sera reconverti aussi rapidement dans la politique. Le 21 octobre de la même année, en effet, les travaillistes démissionnent en bloc. Sharon offre alors à son ami le ministère de la Défense. Mofaz, qui se trouvait à Londres à cette époque, rentre précipitamment en Israël. Pour discuter de ses nouvelles fonctions, mais aussi parce qu’un avocat britannique, représentant l’Association musulmane de Grande-Bretagne, venait d’intenter contre lui une action en justice pour violations présumées des conventions de Genève et crimes contre l’humanité…
MEIR DAGAN, chef du Mossad depuis le 10 septembre 2002
« Les relations entre Ephraïm Halevi [l’ancien patron du Mossad] et le Premier ministre Ariel Sharon sont conflictuelles en raison de leurs différends politiques », écrivait, en mai 2002, le London Times, déclenchant un tollé en Israël. Le démenti immédiat des deux hommes n’empêcha pas le quotidien israélien Yediot Aharonot de poser la question de l’interventionnisme des services de renseignements dans les affaires politiques. Une telle polémique n’a guère de chances de se reproduire aujourd’hui. Le remplaçant d’Halevi, Meir Dagan, appointé par Sharon le 10 septembre 2002, est un fidèle parmi les fidèles. À 57 ans, il partage avec l’actuel Premier ministre un long passé militaire et un même idéal politique (il est membre du Likoud depuis 1999). Général à la retraite depuis 1995, il est d’abord devenu le confident de Sharon, puis son directeur de campagne lors des élections de février 2001, avant de se voir confier les rênes du Mossad.
Recruté en 1970 par Sharon (alors commandant des armées pour le secteur Sud), il est chargé de mettre sur pied une unité d’élite – la Sayeret Rimon – spécialisée dans les opérations clandestines. Celle-ci éliminera une douzaine de « terroristes » palestiniens dans la bande de Gaza. Toujours sous les ordres de Sharon, il fait la guerre du Kippour et participe, en 1982, à l’invasion du Liban (la légende veut que ce soit son char qui, le premier, pénétra dans la capitale libanaise). À la suite de quoi il est chargé d’organiser l’Armée libanaise pro-israélienne du Liban-Sud (ALS).
Lorsqu’en novembre 2001 Sharon le désigne pour seconder Shimon Pérès dans une réunion avec les envoyés américains au Proche-Orient, Anthony Zinni et William Burns, pour étudier les possibilités d’une trêve, l’opposition déclare tout de go : « À partir du moment où c’est Dagan qui a été choisi, le dernier espoir de cessez-le-feu a été enterré. »
Meir Dagan n’a pas attendu la confirmation de sa nomination à la tête du Mossad pour annoncer ses projets : redonner au Mossad tout son panache en ressuscitant les escadrons d’élite chargés des opérations d’assassinats ciblés à l’étranger et, pourquoi pas, à Téhéran, à Beyrouth et à Damas. « Nous le faisons déjà dans les Territoires, a confié une source proche de Dagan au correspondant du Sunday Times à Tel-Aviv, il n’y a pas de raison pour que nous n’en fassions pas de même à l’étranger. Ils n’auront plus nulle part où se cacher. »
MOSHE « BOOGIE » YAALON, chef d’état-major depuis juillet 2002
À 52 ans, le patron de Tsahal, Moshe Yaalon, est à la tête de la plus grande organisation du pays, regroupant des centaines de milliers de conscrits, des soldats de carrière et des réservistes. Et l’une des plus puissantes : c’est sur la base de ses recommandations et de ses analyses que sont prises les décisions politiques.
Yaalon est un authentique « sabra ». Né en Israël, élevé dans un kibboutz, il fait ses premières armes chez les paras avant de rejoindre l’unité d’élite Sayeret Matkal avec laquelle il participe à l’opération Litanie au Liban-Sud, lancée en 1978. Hostile aux accords d’Oslo, il joue volontiers les prophètes de malheur en prédisant l’échec du processus de paix et en prônant l’usage massif de la force pour étouffer la résistance palestinienne.
En octobre 2001, alors qu’il est numéro deux de l’armée, il est directement visé par Shimon Pérès quand celui-ci accuse des généraux de « chercher à éliminer Yasser Arafat ». Une interview qu’il a récemment accordée à Ha’aretz donne assez clairement sa vision du conflit. Il y qualifie les Palestiniens de « menace existentielle » et ajoute : « Les caractéristiques de cette menace sont invisibles, comme le cancer. […] Il y a toutes sortes de solutions aux manifestations cancéreuses. Certains diront qu’il est nécessaire d’amputer des organes. À l’heure actuelle, j’applique la chimiothérapie. »
AHARON ZEEVI, général en chef des renseignements de Tsahal depuis janvier 2002
Issu de l’élite militaire, spécialiste du renseignement, Aharon Zeevi était l’un des officiers d’élite de l’opération d’Entebbe en 1976. Il s’est aussi illustré dans la guerre du Liban. On lui prédit une brillante carrière et peut-être même le poste de chef d’état-major. À 54 ans, il détient déjà le poste clé de chef des renseignements de Tsahal. C’est lui qui, chaque semaine, présente devant une trentaine de députés de la Commission parlementaire des Affaires étrangères et de la Défense un rapport sur l’évolution de la situation sur le terrain et livre une évaluation de la menace terroriste. On ne peut donc que s’inquiéter de ses annonces récurrentes « d’une escalade de la violence dans les Territoires ».
Ses déclarations sont en parfaite concordance avec la ligne politique d’Ariel Sharon, notamment en ce qui concerne Arafat. À la question de savoir quand le leader palestinien sera remplacé, il répond, le 16 septembre 2002 : « C’est un processus lent et complexe qui dépend de nous, des États-Unis et de la victoire militaire, si elle se produit, des Américains en Irak. »
GABY ASHKENAZI, vice-chef d’état-major depuis le 9 juillet 2002
Cet homme de 48 ans est considéré, lui aussi, comme un partisan inconditionnel du Premier ministre. Parmi ses hauts faits de guerre, le raid sur Entebbe et l’opération Litani (invasion du Liban), en 1978. Il resta longtemps en poste au Liban-Sud et dans le secteur du Golan. C’est à lui et au chef du Shin Beth, Avi Dichter, que l’on doit les mesures israéliennes visant à mettre fin aux attentats suicide palestiniens : transfert des familles des « terroristes » de Cisjordanie à Gaza, démolition de leurs maisons, mais aussi de leurs véhicules et de leurs biens.
DAN HALUTZ, commandant en chef de l’aviation depuis le 4 avril 2000
Le 22 août 2001, sur les ondes de la radio de l’armée israélienne, Ariel Sharon a personnellement gratifié ce spécialiste des déclarations fracassantes d’un « vous alors, vous êtes encore plus extrême que moi ! ». Il a longtemps été en charge des opérations militaires dans la « zone de sécurité » israélienne du Liban-Sud. C’est à ce titre qu’il est entendu par la Haute Cour de justice israélienne, en octobre 1999, pour répondre des accusations de torture dans la prison de Khiam. L’armée israélienne est alors accusée par des organisations de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International, Human Rights Watch ou B’tselem, de torturer les prisonniers libanais, aux côtés des miliciens de l’ALS. Halutz témoignera sous serment que « des agents du Shin Beth coopèrent avec les membres de l’ALS, voire les assistent en les conseillant et en assurant leur formation professionnelle », mais réfutera toute implication directe de Tsahal. Maintenu au sein de l’armée, il sera finalement nommé, le 4 avril 2000, chef de l’aviation par le chef d’état-major Shaul Mofaz. Huit mois après le déclenchement de l’Intifada, une plainte est déposée contre lui en Belgique pour son implication dans la mort de civils palestiniens.
Dans la nuit du 22 au 23 juillet 2002, un F-16 israélien lâche un missile d’une tonne sur l’appartement de Salah Chehadé, le chef de la branche armée du Hamas, à Gaza. Si la cible a été atteinte avec succès, les « dommages collatéraux » sont colossaux : seize morts et plus de cent cinquante blessés. Au premier rang des responsables, le chef de l’aviation Dan Halutz. Face à la condamnation unanime de la Communauté internationale, certains de ses collègues font leur mea-culpa. L’attaque israélienne à Gaza – qualifiée de « terrorisme d’État » par le chef de l’opposition de gauche Yossi Sarid – sera défendue jusqu’au bout et sans réserve par Dan Halutz : « Je rejette toute critique concernant cette opération […] que je considère militairement et moralement juste, déclare-t-il alors à la presse. Il est légitime d’éliminer un terroriste, même si des innocents doivent trouver la mort. »
À la suite de ces propos, le mouvement pacifiste israélien Gush Shalom pétitionne pour obtenir son « extradition afin qu’il soit jugé par la Cour internationale de La Haye pour crime de guerre ». L’organisation estime notamment « qu’après de telles déclarations Halutz est capable d’ordonner des attaques similaires dans le futur ». « Ce sont les activistes de Gush Shalom qui devraient être traduits en justice, en Israël, pour trahison », rétorque l’intéressé.
GIORA EILAND, directeur de la planification des Forces de défense israélienne (FDI) depuis le 26 janvier 2001
D’abord chef des opérations armées, avant de devenir directeur de la planification, Giora Eiland fut mis en cause, au début de l’Intifada, pour son rôle dans le décès de civils palestiniens, morts par balles réelles. Il se justifiera en expliquant qu’« une grande partie de ceux qui ont été touchés par balles réelles sont bien des personnes que nous cherchons à tuer et non à blesser ». Le quotidien Ha’aretz rapporte qu’Eiland avait autorisation de tirer sur tout Palestinien perçu comme « une menace potentielle », dès lors qu’il est âgé d’au moins 12 ans.
Épinglé par B’tselem pour « usage excessif de la force » après le bombardement d’un poste de police palestinien à Naplouse, à la mi-mai 2001 – le premier raid aérien dans les Territoires occupés depuis 1967 -, il déclare que « les F-16 sont des armes lourdes qui donnent l’impression d’un usage excessif de la force. Mais en réalité, ce sont des armes de précision, et nous avons conduit une attaque précise sur une cible militaire légitime. »
En tant que directeur de la planification des FDI, il prédit que l’Intifada « durera au moins jusqu’en 2006 ».
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- À Casablanca, la Joutia de Derb Ghallef en voie de réhabilitation
- Mali, Burkina, RDC, Afrique du Sud… Haro sur le néocolonialisme minier !
- Gabon : 10 choses à savoir sur la première dame, Zita Oligui Nguema
- Sénégal : à quoi doit servir la nouvelle banque de la diaspora ?
- En RDC, la nouvelle vie à la ferme de Fortunat Biselele