Un petit tour et puis s’en vont…

Le premier sommet extraordinaire de l’institution panafricaine a été bouclé, le 3 février à Addis-Abeba, en un temps record. Pragmatisme et efficacité ? Rien n’est moins sûr.

Publié le 11 février 2003 Lecture : 7 minutes.

Jamais une conférence des chefs d’État africains n’a été aussi brève. Les travaux du premier sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA, héritière de la défunte OUA), le 3 février, à Addis-Abeba, ont duré… vingt minutes, hors cérémonie d’ouverture. Vingt minutes, le temps qu’il a fallu aux vingt-quatre présidents et Premiers ministres et aux autres chefs de délégation ayant fait le déplacement pour adopter les décisions de leurs ministres des Affaires étrangères concernant les amendements de l’Acte constitutif de l’UA (voir J.A.I. n° 2194 du 26 janvier). Après l’inauguration du nouveau siège de l’Union, les chefs d’État se sont retrouvés au centre des conférences de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA).
En ouvrant les travaux, le Sud-Africain Thabo Mbeki, président en exercice de l’UA, a salué la mémoire des victimes de la catastrophe ferroviaire au Zimbabwe et de l’explosion dans une résidence populaire de Lagos, au Nigeria. Il a également présenté, au nom de l’Afrique, ses condoléances au président George Bush après la désintégration de la navette spatiale Columbia.
Le huis clos a débuté par la lecture du rapport du Conseil des ministres, dont l’adoption était le seul point à l’ordre du jour de la conférence. On ne comptera que deux interventions : celle de Cheikh Tidiane Gadio, ministre sénégalais des Affaires étrangères, qui dirigeait la délégation de son pays en l’absence du président Abdoulaye Wade, et celle du Guide libyen, Mouammar Kadhafi. Le premier a tenu à préciser un point concernant les propositions du Sénégal rejetées faute de consensus. « En fait, a noté le ministre, nous avons décidé de retirer ces suggestions, non pas parce qu’elles rencontraient une forte opposition, mais pour faciliter l’avancement de nos travaux. » Les deux propositions en question visaient à transformer le Conseil exécutif de l’UA (c’est-à-dire le Conseil des ministres des Affaires étrangères) en gouvernement de l’Afrique, d’une part, et, d’autre part, à faire de la diaspora africaine la sixième région de l’UA. Ce dernier projet d’amendement a été retenu, mais sous une autre formulation. L’article 3, alinéa O de l’Acte constitutif se lit désormais comme suit : « […] Invite et encourage la pleine participation de la diaspora africaine à l’édification de l’Union africaine en tant que composante importante de notre continent. »
Avec Kadhafi, on s’attendait au pire, car le Guide libyen avait vu la plupart de ses propositions d’amendement rejetées ou reformulées. Kadhafi a, d’emblée, rassuré l’auditoire : « Je serai bref, a-t-il précisé. Je souhaiterais avoir quelques précisions à propos de ma proposition sur l’élargissement des prérogatives du président en exercice de l’UA. » Patiemment, Thabo Mbeki, qui dirigeait les travaux, a renvoyé le Guide au passage en question du rapport soumis aux chefs d’État, puis s’est mis à le lire. Au bout de quelques minutes, le Guide interrompt Thabo Mbeki : « Merci Monsieur le Président, j’ai le rapport sous les yeux. » La précision en question tournait autour du souhait libyen de voir le président en exercice disposer du pouvoir de convoquer une session extraordinaire du Conseil exécutif ou du sommet, sous réserve de l’approbation de la majorité simple des États membres. Cette suggestion a été retenue. Toutefois, les sessions extraordinaires ne pourront se tenir qu’avec l’accord des deux tiers des États membres.
Après qu’on eut passé au vote, Thabo Mbeki indique que l’ordre du jour du sommet est épuisé. Il lève la séance en précisant que la conférence laisse place à la réunion de l’Organe central pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Le sommet le plus bref de l’histoire des instances africaines venait de se terminer. Pourquoi une telle rapidité ? Dans le hall du centre de conférences de la CEA, les explications varient. D’abord, la version diplomatique : « Les ministres ont été efficaces. Ils ont mâché tout le travail pour le compte des chefs d’État. » D’autres expliquent la célérité des travaux par la participation discrète de l’Afrique francophone, « généralement plus portée sur la palabre que l’Afrique australe ou orientale », comme le rappelle en plaisantant un délégué. On notait en effet l’absence de plusieurs chefs d’État d’Afrique centrale (Omar Bongo, Paul Biya, Denis Sassou Nguesso, Joseph Kabila, Paul Kagamé, Ange-Félix Patassé). Pour ce qui est des présidents ouest-africains, ils venaient de terminer leurs assises régionales à Dakar, et seuls cinq d’entre eux (le Béninois Mathieu Kérékou, le Burkinabè Blaise Compaoré, le Malien Amadou Toumani Touré, le Nigérian Olusegun Obasanjo et le Ghanéen John Kufuor) avaient fait le déplacement à Addis – Charles Taylor, pour sa part, ayant dû rentrer précipitamment au Liberia pour des raisons de sécurité intérieure. D’autres, enfin, expliquent la rapidité des travaux par la tendance de Thabo Mbeki à recourir au ruling, cette prérogative autorisant le président de séance à intervenir au milieu d’un débat pour arrêter une décision. En fait, l’explication est ailleurs.
Le sommet d’Addis-Abeba, le premier dans la capitale éthiopienne depuis 1995, date de la tentative d’assassinat sur la personne du président égyptien Hosni Moubarak, est intervenu avec un ordre du jour sans doute important pour l’avenir de l’UA. Mais à un moment où tous les regards étaient braqués sur la crise ivoirienne, les propositions d’amendement de l’Acte constitutif ou les modalités de désignation des futurs commissaires semblaient bien dérisoires. C’est pourquoi chefs d’État, ministres, diplomates et journalistes attendaient avec impatience la tenue du sommet de l’Organe central.
Ce dernier est composé de dix-sept pays (Afrique du Sud, Algérie, Nigeria, Soudan, Guinée équatoriale, Angola, RASD, Côte d’Ivoire, Kenya, Tchad, Malawi, Sénégal, Burundi, Mali, Ouganda, Zambie et Mozambique), mais est ouvert à l’ensemble des délégations qui souhaitent participer au débat. Le sommet s’est ouvert dans l’après-midi du 3 février, et les travaux ont été, ici encore, assez brefs : moins de quatre heures. Outre de la situation en Côte d’Ivoire (voir « L’événement », p. 12), l’Organe central a débattu du rapport présenté par Amara Essy. Il a ainsi reconnu la légitimité du président Marc Ravalomanana, même si le retour de Madagascar dans les instances africaines est différé. L’Organe central a également passé en revue les conflits en cours, notamment au Burundi, en Centrafrique, aux Comores et en RDC. C’est cette dernière question qui a soulevé le plus de polémiques. Le ministre congolais des Affaires étrangères Léonard She Okitundu n’a pas caché sa déception, l’Organe central de l’UA n’ayant pas pris en compte son intervention. « Nous disposons d’informations sûres établissant que le Rwanda et l’Ouganda massent des troupes et s’apprêtent à engager des combats sur notre territoire. » Le Premier ministre rwandais Bernard Makuza dément toute présence de l’armée de son pays en RDC : « Nous avons appliqué à la lettre les accords de Pretoria. »
Thabo Mbeki intervient à son tour pour dire au chef de la diplomatie congolaise que ces accords prévoient un mécanisme de surveillance de leur mise en oeuvre. « Si la RD Congo émet des doutes à propos de l’application du plan de paix, elle ne peut saisir directement l’Organe central, mais doit passer au préalable par ce mécanisme co-dirigé par les tierces parties [Afrique du Sud et Monuc, NDLR]. Aussi, conclut-il, ce point ne sera pas retenu dans le communiqué final. »
C’est ce ruling qui provoque la colère de Léonard She Okitundu. À la fin des travaux, il exprimera son désappointement à Amara Essy, mais la chose était entendue. Le ministre congolais n’aura pas gain de cause. « L’attitude du président Mbeki, confie-t-il à J.A.I., décrédibilise son statut de médiateur dans le dossier de la RDC. » L’a-t-il dit à Mbeki ? « Ce n’est pas à moi de le faire, mais le président Joseph Kabila ne s’en privera certainement pas ! »
Le président libérien Charles Taylor n’aura pas fait le déplacement à Addis-Abeba pour rien. Il repart à Monrovia avec un appel réitéré des dirigeants africains pour que les Nations unies réexaminent leur décision sur les sanctions imposées au Liberia.
La situation en Irak a également été abordée par l’Organe central, qui a insisté sur la mise en oeuvre effective de la résolution 1441 du Conseil de sécurité et la nécessité de l’élimination totale des armes de destruction massive en Irak. Les dirigeants africains relèvent cependant qu’une confrontation militaire constituerait un facteur de déstabilisation de toute la région, et qu’en tout état de cause toutes les voies diplomatiques devraient être explorées. Dans son discours inaugural, Thabo Mbeki avait déjà exhorté les membres africains du Conseil de sécurité (Angola, Cameroun, Guinée) à une participation active dans les débats de cette instance sur la question irakienne.
L’intervention de Kadhafi, puisqu’il en faut toujours une, a été brève, mais sujette à polémique. Après une tentative désespérée de rouvrir le débat sur la pertinence de ses propositions d’amendement, notamment la nécessité d’une défense commune (avec la création d’une armée africaine), il a essayé d’ouvrir un nouveau « front ». Insistant sur la souveraineté et la dignité de l’Afrique, il a évoqué les traditionnelles rencontres périodiques des chefs d’État africains en dehors du continent. « Bien qu’il s’agisse d’un pays ami, je ne comprends pas la nécessité d’un sommet entre la France et l’Afrique. »
Pour se sortir de ce mauvais pas, Mbeki appelle à la rescousse Abdelaziz Bouteflika qui n’avait pas demandé la parole. Le président algérien éludera la question du sommet de Paris pour rappeler que « les amendements adoptés couvrent, de notre point de vue, l’aspect sécurité et défense. S’il s’agit de ne pas perdre de temps, il faut également éviter de se précipiter inutilement. » La première conférence extraordinaire des chefs d’État de l’UA venait de prendre fin.

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