Un nouveau départ
Pour rétablir des liens de confiance avec Paris, le régime d’Antananarivo compte notamment sur son ambassadeur.
La scène se passe le 3 septembre 2002, à Johannesburg, lors du sommet de la Terre. Jacques Chirac, qui reçoit ses pairs francophones, s’adresse au représentant de Madagascar : « Monsieur le Ministre, vous avez la parole… » À son côté, le président gabonais Omar Bongo sursaute et susurre quelques mots à l’oreille de son homologue français. La personne à qui Chirac vient de s’adresser n’est autre que Marc Ravalomanana, qui fait en Afrique du Sud, quatre mois après son investiture, sa première sortie internationale en tant que chef de l’État malgache.
Si cette méprise n’a pas eu d’incidences diplomatiques fâcheuses, elle témoigne d’un manque d’accointances entre Paris et les nouvelles autorités malgaches. Pour y remédier, le régime d’Antananarivo a nommé à la fin d’août 2002 un nouvel ambassadeur, Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo. Cet avocat né en 1949 à Antananarivo a fait ses études en France il y a vingt-cinq ans, avant de s’y installer définitivement. Marié à une Américaine, il a également enseigné dans de grandes écoles, tout en mettant son expertise juridique au service d’organisations internationales comme la Commission européenne, l’Unesco ou la Francophonie.
C’est dans le cadre d’un projet de coopération décentralisée avec la communauté urbaine d’Antananarivo que le conseil régional d’Île- de-France l’envoie en avril 2001 à Madagascar. L’occasion pour Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo de faire la connaissance de Marc Ravalomanana, industriel du yaourt devenu maire de la capitale en novembre 1999. Les deux hommes vont nouer des liens de plus en plus étroits, suffisamment pour que Razafy-Andriamihaingo soit choisi parmi plus d’une centaine de noms possibles pour occuper le poste d’ambassadeur en France. Résidant à Paris, il a également compétence sur le Royaume-Uni, l’Espagne, le Portugal, Monaco, le Saint-Siège et… Israël. Mais c’est, bien sûr, à Paris que se concentre l’essentiel de son activité.
Une des toutes premières tâches du nouvel ambassadeur sera de combattre les soupçons de francophobie qui pèsent sur son président : « Nous avons seulement souhaité que les relations entre nos deux pays s’établissent sur de nouvelles bases, explique Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo. Mais Marc Ravalomanana a toujours considéré la France comme un partenaire incontournable. Il a d’ailleurs participé au sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Beyrouth en octobre 2002, et a accepté l’invitation de Jacques Chirac. » Une visite officielle à Paris est envisagée pour les mois à venir, vraisemblablement à compter d’avril.
En attendant, le représentant de la République malgache à Paris ne chôme pas. Multipliant les contacts avec le Quai d’Orsay, ce « gaulliste » dans l’âme reconnaît entretenir de meilleures relations avec le cabinet de Dominique de Villepin qu’avec les collaborateurs de son prédécesseur, Hubert Védrine. Une première visite de patrons de PME françaises a été organisée en novembre 2002 sur la Grande Île pour tenter de développer les échanges entre les deux pays. Une délégation d’hommes d’affaires se rendra à Antananarivo du 24 au 27 mars prochain. Entre-temps, un colloque sur Madagascar se tiendra le 27 février au Sénat, à Paris, afin « d’expliquer à nos partenaires que nous sommes entrés dans une ère nouvelle », souligne l’ambassadeur.
Une ère nouvelle qui ne va pas sans quelques frictions. Ainsi, après que le gouvernement a décidé de retirer à Air France le contrat d’audit d’Air Madagascar pour le confier aux Allemands de Lufthansa Consulting, certains ont accusé « Tana » de vouloir porter atteinte aux intérêts hexagonaux sur la Grande Île. De la même manière, lorsqu’en septembre le gouvernement a signé avec le groupe Gato-AG (German Tourism Organisation for Development and Investment) un contrat portant sur l’élaboration d’un schéma directeur du tourisme pour la Grande Île, certains opérateurs français traditionnellement implantés à Madagascar se sont sentis floués.
Il est vrai que, contrairement à son prédécesseur, Ravalomanana n’est pas connu à Paris. Plus anglophone que francophone, il bénéficie des services de puissants lobbies à Washington. Alors que l’intelligentsia malgache choisit souvent l’ex-métropole pour faire suivre des études supérieures à sa progéniture, lui a préféré envoyer ses trois fils dans de grandes universités d’Allemagne, d’Angleterre et des États-Unis… Protestant pratiquant, manager libéral convaincu, Ravalomanana a certainement plus d’affinités avec la culture anglo-saxone. Et sans doute n’a-t-il pas oublié que Paris n’a reconnu son régime que le 3 juillet, soit huit jours après Washington. Mais Ravalomanana n’est pas sectaire. La preuve : après avoir été accusé d’américanophilie flagrante, le chef de l’État est aujourd’hui suspecté de privilégier ses partenaires allemands. À Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo de convaincre ses interlocuteurs parisiens qu’il n’en est rien.
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