Sept ans de prison pour cause d’avortement criminel

Au tribunal de grande instance de Kinshasa, on jugeait ce jour-là un jeune homme responsable de la mort accidentelle de son amie.

Publié le 11 février 2003 Lecture : 3 minutes.

«Monsieur Paul Tata Kanda Bukaka, vous êtes poursuivi pour des faits d’avortement criminel ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Plaidez-vous coupable ou non coupable ? » attaque, d’une voix assurée, le président. La scène se passe dans la salle d’audience délabrée du tribunal de grande instance de Kinshasa/Kalamu. Le prévenu, un jeune homme au visage mangé par la barbe, marque de sa période de détention provisoire, était, au moment des faits, stagiaire au centre médical Mont-Carmel de Makala, un quartier de Kinshasa.
Il n’a pas d’avocat, bien qu’on soit en matière criminelle. Il n’a pas les moyens de s’en payer un, et l’État ne peut pas alimenter un dispositif d’aide juridictionnelle. « Je plaide non coupable », répond-t-il d’une voix tremblotante.
« Reconnaissez-vous avoir entretenu des relations avec Mlle Tumba Makongo, puis l’avoir mise enceinte ? Je vous rappelle que vous aviez répondu « oui » à cette question dans une première déposition, pour vous rétracter ensuite. » « Je suis sorti avec elle, mais je ne l’ai pas mise enceinte parce que j’ai toujours pratiqué le coït interrompu avec elle. »
Le président rappelle les faits. Atteinte d’une hémorragie vaginale, le 3 janvier 2001, la défunte a confié à ses parents que le nommé Kanda Bukaka, dont elle est enceinte, a tenté de la faire avorter par curetage au moyen d’un spéculum, d’une pince et de ciseaux. Et qu’elle n’a cessé, depuis, de saigner et de ressentir des douleurs de plus en plus violentes au ventre. Transportée au centre médical Mont-Carmel, elle est examinée par une infirmière dont le diagnostic est sans appel : « douleurs abdominales résultant d’une tentative d’avortement par curetage ». La victime est transférée à l’hôpital général de Makala, où elle décède le 4 janvier.
Informé de la mort par avortement, l’officier de police judiciaire du district effectue une descente sur les lieux, et requiert un médecin légiste qui établit un rapport d’expertise médico-légale.
« Monsieur Kanda Bukaka, reconnaissez-vous toujours avoir remis à la victime, lorsqu’elle vous a confié sentir des vertiges, un comprimé de paracétamol et un autre de vitamine ? » « Oui », lâche-t-il. Une réponse qui fait bruire la salle. Le président du tribunal tape sur son pupitre pour exiger le silence.
C’est au tour du procureur de la République de prendre la parole pour ses réquisitions : « Monsieur le Président, tous les éléments sont réunis pour qualifier l’infraction d’avortement par autrui puni par l’article 165 du code pénal III. Il y a eu des pratiques avérées destinées à interrompre artificiellement la grossesse, en provoquant l’expulsion prématurée du produit de la conception. […] Il y a, par ailleurs, un lien indéniable de causalité entre les manoeuvres abortives et le décès de Mlle Tumba Makongo. Des présomptions graves et concordantes sont à la charge du prévenu. En dehors de la confession de la victime avant son décès, M. Kanda Bukaka, qui vient de réitérer avoir remis des comprimés à la défunte, l’a fait par personne interposée. Preuve qu’il était au courant de la dégradation de l’état de santé de la victime. Monsieur le Président, en application des articles 48 et 53 du code pénal III qui prévoient et répriment les coups et blessures occasionnant la mort sans intention de la donner, je requiers que le prévenu soit condamné, pour donner un exemple aux apprentis sorciers qui charcutent les femmes dans les hôpitaux de notre pays, à la peine maximale : vingt ans de détention. »
Visiblement troublé, et à court d’arguments pour contrecarrer ce laïus technique, le prévenu se contente de s’en remettre à la sagesse du tribunal.
Le président, comme soudain pris d’un sentiment de pitié, vole à son secours : « Les médicaments envoyés à la victime par cet infirmier stagiaire inexpérimenté sont la preuve qu’il a voulu réparer les conséquences de son acte. Le tribunal retient les infractions d’avortement et d’homicide involontaire. Mais, compte tenu du jeune âge du prévenu, un délinquant primaire à la mentalité fruste, le tribunal retiendra de larges circonstances atténuantes à son profit. »
Verdict : Kanda Bukaka est condamné à sept ans de prison ferme et à une amende de 5 000 francs congolais (10,88 euros). Pour les dommages-intérêts, le tribunal surseoit à y statuer, faute de constitution de partie civile et d’éléments objectifs d’appréciation.

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