OGM, une chance ou une fatalité ?
Les modifications génétiques végétales permettent d’espérer une amélioration sensible de la production et des rendements agricoles, notamment dans les régions déficitaires. Encore faut-il connaître le prix d’une telle révolution.
Des bananes qui vaccinent, des plantes qui résistent aux insectes et du colza pour remplir les réservoirs des bus municipaux. Depuis vingt ans, les biotechnologies font rêver – les chercheurs essentiellement. Mais rarement sujet aura suscité autant de controverses. Sans que l’on sache parfois de quoi il retourne exactement.
Dès 1992, la Convention des Nations unies sur la biodiversité a pourtant mis les choses au point. Sont regroupées sous le terme de biotechnologies « toutes les applications technologiques qui utilisent des systèmes biologiques, des organismes vivants ou leurs dérivés pour fabriquer ou modifier des produits ou des processus, et ce dans un but précis ». La génomique (autrement dit l’étude de l’ensemble des gènes d’un organisme vivant), le clonage ou la transgenèse, qui permet l’élaboration d’OGM (organismes génétiquement modifiés), sont parmi les plus modernes – et médiatisées. Elles font même oublier les biotechnologies anciennes et naturelles, à l’oeuvre dans la fermentation de la bière ou dans la levure du pain.
Que peuvent ces biotechnologies pour l’Afrique ? Beaucoup, a priori, puisqu’elles permettent d’améliorer les techniques de production agricole et, logiquement donc, d’augmenter le volume desdites productions. Certes, les causes premières du retard de certains pays en matière de développement ne sont pas toutes techniques. Mais force est de constater que les méthodes actuelles ne permettront pas d’assurer, à elles seules, un niveau de production suffisant pour nourrir la population du continent. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : comment faire pour que les 1,7 milliard d’habitants que comptera l’Afrique en 2050 mangent à leur faim, alors que l’on ne peut pas, aujourd’hui, subvenir aux besoins de 750 millions de personnes ? Comment y parvenir alors que, sur le continent, la croissance démographique est deux fois plus forte que celle de la production ? Posée en ces termes, l’équation paraissait insoluble. L’enjeu, évidemment, est d’importance. D’autant que beaucoup d’économies dépendent quasi exclusivement de l’agriculture : le secteur compte pour 30 % du Produit intérieur brut (PIB) du continent, 40 % de ses exportations et emploie surtout 70 % de sa population active. Or la productivité de l’agriculture africaine reste faible. Comptez, en moyenne, 1,22 tonne à l’hectare pour les céréales, contre 37,3 tonnes dans les pays industrialisés. Fait significatif : l’Afrique est la seule région du globe où la production alimentaire par tête a baissé au cours de ces quarante dernières années. Résultat, la consommation y dépassait toujours la production de 30 % à la fin des années quatre-vingt-dix. Difficile, dans ces conditions, de subvenir aux besoins de tous.
Et c’est là que les plantes transgéniques font leur apparition. « Tous les moyens contribuant à de fortes hausses de la productivité et de la durabilité des systèmes de production doivent pouvoir être mobilisés et combinés au mieux, martèle le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement [Cirad], et les biotechnologies feront partie des outils disponibles. » Leurs caractéristiques agronomiques améliorées permettent en effet une plus grande résistance à un herbicide, aux insectes, aux champignons ou aux bactéries. Il est, du coup, possible de diminuer le nombre de traitements et les quantités de produits chimiques utilisés pour cultiver manioc, café ou cacao. Les coûts de production s’en trouvent abaissés, et les rendements des récoltes augmentés. D’autres manipulations visent à rendre les plantes tolérantes à un excès de salinité, pour autoriser leur culture dans des zones difficiles, et au stress hydrique, de manière à surmonter les sécheresses. Tout cela en induisant la stérilité des graines récoltées pour mieux contrôler le risque de dissémination dans l’environnement et empêcher leur utilisation en tant que semences.
À ces premières applications des biotechnologies dans le domaine agricole font écho celles du secteur alimentaire. Il s’agit, cette fois, de parfaire la conservation des fruits et des légumes en retardant leur flétrissement. Tomates ou melons pourront être récoltés plus tard et présenter une meilleure composition en sucre tout en répondant aux exigences de stabilité du produit pendant son transport, sa distribution et sa transformation. Les chercheurs ambitionnent, dans la foulée, d’améliorer la qualité nutritionnelle des aliments en en modifiant la composition et de permettre ainsi, par exemple, qu’ils soient mieux digérés.
Et puis il y a les « alicaments », ces aliments qui soignent, purs produits des biotechnologies. Parmi eux, le riz doré, dont on a modifié la teneur en vitamine A pour lutter contre la cécité des enfants liée à la malnutrition. Autres applications rêvées – et encore utopiques – dans le domaine de la santé : les pommes de terre ou les bananes contenant des vaccins. Directement consommables, elles permettraient la vaccination à faible coût des populations des pays en développement. Une technique encore à l’essai dont on ne connaît pas les effets à long terme. Et c’est bien là le problème, estiment les détracteurs des biotechnologies.
Restent, enfin, leurs applications industrielles. Les laboratoires expérimentent ainsi des matières plastiques biodégradables, produites à partir du colza. Des plantes qui, comme la betterave, servent aussi à confectionner les biocarburants qu’utilisent des municipalités françaises pour leurs transports en commun. Ces mêmes chercheurs tentent de mettre au point des cotons de couleur pour l’industrie textile afin de limiter l’utilisation des teintures, sources importantes de pollution.
À première vue donc, les possibilités semblent illimitées. Mais ce ne sont pas les premières promesses de ce genre. Il y a déjà eu la « révolution verte ». Amorcée au début des années soixante, puis relancée dans le courant des années quatre-vingt, elle avait permis une augmentation des rendements agricoles grâce à l’introduction de nouvelles variétés de maïs, de riz ou de blé. Des cultures qui ont toutes, dans un premier temps, nécessité l’utilisation massive d’engrais chimiques et de pesticides. Eux-mêmes exigeant de bons systèmes d’irrigation, seuls les exploitants les plus riches, ayant accès au crédit, ont pu en profiter. Logiquement, ladite révolution a contourné l’Afrique. Rien ne dit encore qu’il n’en sera pas de même avec les biotechnologies, mais l’espoir est là. La polémique aussi.
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