Mandela recouvre la liberté
Winnie et Nelson Mandela sortirent de la prison Victor-Verster, au nord du Cap, la main dans la main, le 11 février 1990 à 15 heures. Mandela avait 71 ans et venait de passer plus de dix mille jours en captivité : d’abord à Robben Island, petite île au nord-ouest du cap de Bonne-Espérance, de juin 1964 à avril 1982 ; à Pollsmoor, jusqu’en décembre 1988, ensuite ; à Victor-Verster, enfin. Mais loin de se laisser désarmer par ce confinement, il s’y forgea, face au gouvernement sud-africain et aux yeux du monde entier, une autorité et un prestige qui, à partir de ce jour-là, changeraient le cours de l’Histoire.
Après des études financées par le régent de sa tribu, les Tembus, au cours desquelles il s’était lié avec deux personnages clés de sa vie, Oliver Tambo et Walter Sisulu, Mandela s’était retrouvé stagiaire chez un avocat juif de Johannesburg, Lazar Sidelsky, « le premier Blanc, dira-t-il, qui m’ait traité comme un être humain ».
Le premier contact de Mandela avec l’African National Congress – Congrès national africain ou ANC – eut lieu en 1943. Il avait 25 ans. Fondé en 1912, l’ANC avait vainement tenté de s’opposer à l’installation de la suprématie blanche. Il se remobilisa après la Seconde Guerre mondiale. Aux élections de 1948, l’alliance du Parti national du Dr Daniel Malan et du petit Parti afrikaner battit le Parti uni du maréchal Jan Smuts, qui avait soutenu les Alliés. Ainsi fut instauré l’apartheid, avec un enchaînement de lois qui permettaient aux autorités de Pretoria de jeter en prison les dirigeants noirs ou de les contraindre à l’exil.
Commencèrent pour Mandela quinze années de militantisme et de luttes. Il travaillait comme avocat, se faisait habiller par Alfred Kahn, le tailleur du milliardaire Harry Oppenheimer, s’entraînait à la boxe comme son idole Joe Louis (lui-même mesurait 1,88 mètre). Sa première femme, Evelyn, l’ayant quitté, il s’était remarié, en juin 1958, avec la fille d’un directeur d’école, Winnie Nomzano Madikizela. Mais sa vraie vie, c’était la politique.
Le 8 avril 1960, le Dr Hendrik Verwoerd, qui avait succédé à Malan, décida, dix ans après le Parti communiste, d’interdire l’ANC et l’autre parti de la lutte noire, le Pan African Congress. Tambo, qui était devenu le secrétaire général de l’ANC, prit le chemin de l’exil après le massacre de Sharpeville, le 27 mars 1960. Mandela se prépara à la lutte armée et fit adopter le principe d’une organisation militaire, l’Umkhonto we Sizwe (MK), « la lance de la nation ». Il entreprit, le 10 janvier 1962, une tournée à l’étranger pour recueillir des fonds et organiser la formation des combattants. Arrêté à son retour, le 5 août, il fut condamné, le 7 novembre, à trois ans de prison pour incitation à la violence, plus deux ans pour être parti à l’étranger sans autorisation.
Entre-temps, en juillet, le gouvernement avait fait adopter une loi qui prévoyait la peine de mort pour tout acte de sabotage, même pour des destructions mineures. Les dirigeants de l’ANC, dont Sisulu et Govan Mbeki, le père de Thabo, actuel président de l’Afrique du Sud, avaient conçu un plan de « renversement du pouvoir blanc par la force et la violence », l’« opération Mayibuye ». Les conjurés furent arrêtés à Rivonia au début de juillet 1963. Mandela l’apprit dans sa prison.
Même s’il n’était pour rien dans le projet Mayibuye, l’affaire était très grave pour lui : il était le chef du MK et il avait laissé à Rivonia des masses de documents rédigés de sa propre main. Le premier plaidoyer de la défense fut un discours qu’il prononça lui-même, et qui dura quatre heures. « Les Africains, déclara-t-il, veulent une juste part de l’Afrique du Sud. Ils veulent la sécurité et un rôle dans la société. Ils veulent le droit de vivre… Quant à moi, je me suis voué à cette lutte du peuple africain. J’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique dans laquelle les hommes vivraient en harmonie et avec des chances égales. C’est un idéal que j’espère défendre ma vie durant. Mais s’il le faut, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »
Le 6 juin 1964, Mandela ne fut pas condamné à mort, mais à la prison à vie. Il avait 46 ans. Il faudra vingt-sept années, la pression morale exercée par tout le continent africain, les sanctions internationales qui frappaient l’économie africaine, « l’ingouvernabilité » dont l’ANC menaçait le pays, pour que Mandela retrouve la liberté. Et prouve qu’il n’était pas seulement un héros mythique, mais aussi un redoutable manoeuvrier et un grand homme d’État. « L’Africain du siècle ».
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