Côte d’Ivoire, Burkina, Cameroun : Bolloré Railways et ses pairs peuvent-ils se remettre sur les rails ?

Malgré ses nombreux avantages, le fret ferroviaire peine à se développer. En cause, de lourds investissements, mais aussi une maintenance souvent défaillante du côté des exploitants. Le français Bolloré Railways, qui gère les réseaux Sitarail et Camrail n’entend pas pour autant renoncer.

Les groupes chinois, comme ici au Kenya, participent à la construction de nombreuses voies ferrées, mais ne s’occupent guère de leur exploitation. © Luis Tato/Bloomberg via Getty

Les groupes chinois, comme ici au Kenya, participent à la construction de nombreuses voies ferrées, mais ne s’occupent guère de leur exploitation. © Luis Tato/Bloomberg via Getty

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Publié le 3 septembre 2021 Lecture : 7 minutes.

Les groupes chinois, comme ici au Kenya, participent à la construction de nombreuses voies ferrées, mais ne s’occupent guère de leur exploitation. © Luis Tato/Bloomberg via Getty
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Logistique : accélérer le désenclavement

Alors que le rail est l’un des moyens les plus efficaces et économiques pour désenclaver l’hinterland, la plupart des projets ferroviaires sont à la peine en Afrique de l’ouest et centrale. Mais les investisseurs commencent à s’inspirer de l’ONCF marocain qui a fait du fret l’un des leviers de son développement grâce à une solide interconnexion rail-route-port.

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Plus rapide, plus régulier et moins cher que le camion… sauf dans les cas de pics d’activité, auxquels il a du mal à faire face, le fret ferroviaire a – sur le papier – tout pour permettre à l’Afrique subsaharienne de désenclaver son hinterland.

« Le prix du transport d’un conteneur par rail de Douala vers Ngaoundéré ou d’Abidjan vers Ouagadougou est inférieur de 15 % à 20 % à celui de la route », assure Éric Melet, qui dirige Bolloré Railways. L’opérateur a été constitué sous ce nom il y a six ans, gérant deux des principaux réseaux subsahariens francophones : Camrail au Cameroun, et Sitarail en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso.

Le chemin de fer doit être soutenable pour les États en matière de charge de la dette

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Cependant, le rail africain, quand il n’est pas adossé à un projet minier, peine à se développer. Beaucoup de réseaux mixtes ont périclité ces dernières décennies, comme Dakar-Bamako depuis 2018, ainsi que le réseau ghanéen. Ou encore le Congo-Océan, de Pointe-Noire à Brazzaville – qui, après plusieurs tentatives de redémarrage, est interrompu depuis mars 2021.

Au Gabon, la Setrag conserve une activité un peu diversifiée, car il s’agit avant tout d’un transport minier. En dehors de celui-ci, le chemin de fer est-il rentable en Afrique de l’ouest ?

« Il doit être soutenable pour les États en matière de charge de la dette, car il s’agit d’infrastructures très coûteuses, répond Éric Melet. Cette caractéristique, combinée aux enjeux régionaux et sociétaux, nécessite donc une implication forte des pays et des partenaires dans le cadre d’un partenariat équilibré qui doit évoluer dans le temps pour accompagner les ambitions légitimes des États. »

Bolloré, un savoir-faire historique…

Bolloré, dès 1994 avec le partenariat public-privé autour de Sitarail puis autour de Camrail en 1998, a été un pionnier. Il est devenu, hors des lignes minières, le principal opérateur privé de chemin de fer en Afrique subsaharienne. Mais, malgré ce savoir-faire historique, le groupe français n’a pas réussi à mener à bien son projet de boucle du Niger et se trouve bloqué au Bénin.

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Bolloré Railways ne renonce pas pour autant. Il entend renégocier les modalités de renouvellement de la convention de concession révisée (CCR) de 2017 signée avec la Sitarail par la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, qui détiennent chacun 15 % de la société ferroviaire.

Les principaux points de friction entre le groupe français et les États ouest-africains concernent la manière dont les lignes du futur métro urbain d’Abidjan vont cohabiter avec les voies de Sitarail ; la loi de finances de 2018 de la Côte d’Ivoire, qui durcit les conditions d’investissement des opérateurs privés dans le pays de manière générale ; mais aussi, et surtout, la concurrence du projet ferroviaire Ouaga-Accra.

Ouagadougou et Abidjan le menacent de lui retirer sa concession

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« Le projet avance assez bien, et nous travaillons avec les États sur la prise en compte d’un certain nombre de développements significatifs susceptibles de modifier l’exploitation du réseau », indiquait-on chez Bolloré au début juillet.

Station du Plateau, à Abidjan, en Côte d'Ivoire. © LEGNAN KOULA/EPA/MAXPPP

Station du Plateau, à Abidjan, en Côte d'Ivoire. © LEGNAN KOULA/EPA/MAXPPP

… et un certain art de la négociation

Le son de cloche était très différent chez les représentants des États au sortir des rencontres du Traité d’amitié et de coopération (TAC) qui lie les deux voisins ouest-africains: « Les négociations sont terminées. Et nous n’avons plus à négocier quoi que ce soit », lance un expert du Comité tripartite de la CCR, qui entend imposer à Bolloré d’investir les 400 millions d’euros initialement promis pour la réhabilitation et la maintenance de la voie ferrée, lesquels doivent permettre une maintenance améliorée et le renouvellement complet de 852 km de voie ferrée sur les 1 260 km reliant Abidjan à Ouagadougou. Faute de quoi ils menacent désormais ouvertement le français de lui retirer sa concession, qui devait être renouvelée pour trente ans.

D’ici à ce qu’un terrain d’entente soit trouvé, Bolloré a reporté sine die les travaux au Burkina, qui devaient démarrer le 18 avril 2019 et durer cinq ans. Soit un investissement ajourné de 130 millions d’euros équivalant à la première tranche. Côté ivoirien, les travaux, toujours en cours, ont débuté en décembre 2017. Le groupe français indique avoir déjà dépensé quelque 60 millions d’euros sur les bords de la lagune Ebrié.

Travaux longs et lourds

Le rail nécessite des travaux lourds. Passé quarante ans, un réseau doit, en partie, être refait. Au Cameroun, ce sont ainsi 280 milliards de F CFA (soit 430 millions d’euros) qui sont programmés pour refaire 700 km de voies dans le cadre d’un partenariat entre l’État, les grands bailleurs de fonds – la Banque mondiale pour le tronçon Douala-Yaoundé, la BEI et l’AFD au-delà de Yaoundé – et Camrail.

Là encore, la mine n’est pas loin. Le projet est lié à la perspective d’exportation de 5 millions de tonnes par an de bauxite de l’australien Canyon Ressources, société minière avec laquelle un partenariat est déjà signé. La modernisation des voies est en phase finale de préparation, avec une perspective de réalisation dans cinq ans – du court terme à l’échelle du ferroviaire. Sachant que 200 km de plus ont déjà été refaits avec une plateforme neuve – des rails de 54 kg dignes des meilleures lignes européennes – et que, sans attendre la mine, Camrail a investi dans cinq locomotives General Electric de 3 300 ch à moteur asynchrone.

Le plus important chemin de fer en cours de construction, de Tema à Ouagadougou, est un projet d’infrastructure ex nihilo

« En même temps que la pose de rails supportant 22 t à l’essieu, cela nous permet de tracter des trains de 1 800 t de fret, contre 1 000 jusqu’alors », se félicite Éric Melet. Seule contrainte : aux endroits où la voie n’est pas encore refaite, Camrail doit réduire la vitesse de ses nouvelles locomotives.

Bolloré Railways défend ardemment son modèle fret dit multi-usagers. Chez Camrail ou Sitarail, on transporte des passagers, mais aussi des conteneurs maritimes dans les deux sens : des hydrocarbures et des biens d’équipement à la montée , des matières premières comme le bois et le coton à la descente. Le modèle Bolloré – de rénovation et d’exploitation de voies anciennes pour un trafic mixte –  reste encore isolé.

Commuters At Kenya's China-Backed Short Gauge Railway Terminus © Patrick Meinhardt/Bloomberg via Getty

Commuters At Kenya's China-Backed Short Gauge Railway Terminus © Patrick Meinhardt/Bloomberg via Getty

Milliards de dollars et millions de tonnes de fret

« Le plus important chemin de fer en cours de construction, de Tema à Ouagadougou, est un projet d’infrastructure ex nihilo comparable à ce que les Chinois ont déjà fait à Djibouti, en Éthiopie et au Kenya », observe un bon connaisseur du rail africain.

Alors qu’un premier tronçon de 99 km, aménagé et financé par l’Inde entre le port de Tema et Mpakadan (à la limite de l’agglomération d’Accra) est en travaux depuis 2018, la suite du tracé après la capitale ghanéenne, plusieurs fois remodelé en tenant compte des dessertes minières possibles, est toujours en discussion.

Le continent a tout à gagner à renforcer son maillage ferroviaire

Selon nos informations, le projet nécessite un investissement d’environ 5 milliards de dollars, une somme que le futur concessionnaire devra mobiliser auprès des bailleurs de fonds privés. L’objectif est de transporter 7 à 17 millions de t de fret par an. Pour la construction et l’exploitation de ce réseau ferroviaire, les deux pays sont convenus de choisir les partenaires techniques et financiers dans le cadre d’un PPP parmi trois sociétés : China Railways, African Global Development et Frontline Capital Advisors.

Bolloré, qui a déjà suffisamment à faire sur ses réseaux, ne s’est pas porté candidat sur ces deux projets concurrents, sachant que Sitarail misait jusqu’à présent lui aussi sur le manganèse de Tambao, dont l’exploitation paraît encore lointaine : le gisement n’a pas été réattribué depuis qu’il a été retiré à l’homme d’affaires controversé australo-roumain Frank Timis, en mai 2018.

Le rail, un outil majeur de développement

Même si les États africains doivent veiller, par une planification à long terme, à ce que l’émergence d’un nouveau réseau ne vienne pas nuire à celui existant, le continent a tout à gagner à renforcer son maillage ferroviaire. Le rail reste un outil majeur de développement, tant pour l’intégration des économies entre elles que pour l’approvisionnement des hinterlands éloignés des ports en produits stratégiques ou encore pour le désenclavement des grandes agglomérations. Sans Sitarail et Camrail, il faudrait compter 100 000 passages de camion de plus à traver Abidjan ou Douala.

Mais la réussite ne passera pas par la seule construction d’une infrastructure ex nihilo ou l’achat de locomotives. Faire rouler des trains de fret nécessite tout un écosystème. Il faut former des cheminots, par exemple à l’É cole supérieure des métiers du ferroviaire, qui délivre un diplôme d’État au Burkina Faso. Il faut également assurer un suivi médical du personnel loin de sa base, savoir entretenir le matériel, être en mesure de réparer rapidement des ouvrages soumis à des contraintes climatiques fortes, et pouvoir s’appuyer sur des sous-traitants nationaux indispensables à l’activité. Sans omettre de savoir gérer, avec les populations locales, les problématiques d’urbanisation galopante, qui ralentissent ou stoppent les trains quand des passages à niveau clandestins germent ici ou là.

Au Nigeria, en Éthiopie et en Angola, les réseaux de fret fonctionnent ainsi cahin-caha. Malgré les dizaines de locomotives chinoises et américaines achetées pour le chemin de fer de Benguela au départ du port de Lobito vers la RDC, l’Angola a beaucoup de difficultés à faire tourner la ligne.

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