Les scénarios de l’après-guerre

Publié le 11 février 2003 Lecture : 3 minutes.

La région du Golfe fournit 30 % de la production mondiale de pétrole et détient environ 65 % des réserves connues. Elle seule peut permettre de faire face à une augmentation substantielle de la demande mondiale, que les responsables américains jugent inévitable.
Avec 262 milliards de barils, l’Arabie saoudite dispose du quart des réserves mondiales et reste, de loin, le premier producteur, mais l’Irak, en dépit du statut de paria qui lui est imposé depuis douze ans, demeure un pays clé. Ses réserves prouvées (112 milliards de barils) le classent au deuxième rang mondial, mais elles sont sans doute beaucoup plus importantes : tout son territoire est encore loin d’avoir été exploré.
Pendant un demi-siècle, les États-Unis ont massivement investi pour maintenir la région du Golfe dans leur orbite géopolitique et conserver un accès privilégié à son pétrole. Ces investissements ont pris la forme d’interventions directes et indirectes, de livraisons massives d’armes à leurs alliés et d’acquisitions de bases militaires. Avec pour seul résultat des alliances incertaines et des conflits à répétition. Pour les stratèges de Washington, la sécurisation des approvisionnements pétroliers a toujours pris le pas sur la défense de la démocratie et des droits de l’homme. Et il n’en va pas différemment aujourd’hui.
L’installation à Bagdad d’un régime inféodé aux États-Unis donnerait aux compagnies pétrolières américaines et britanniques, pour la première fois depuis trente ans, l’occasion d’accéder directement au pétrole irakien et de mettre la main sur un pactole de plusieurs centaines de milliards de dollars. Il pourrait en résulter une vague de privatisations dans l’industrie des hydrocarbures, à l’échelle mondiale.
Les questions pétrolières ont joué un rôle crucial au Conseil de sécurité de l’ONU, lors de la rédaction de la résolution définissant les conditions d’une intervention militaire en Irak. Depuis le début des années soixante-dix, la compagnie française TotalFinaElf entretient des relations étroites avec ce pays. À l’instar d’autres compagnies russes et chinoises, elle s’est « positionnée » en vue de la mise en valeur de nouveaux champs pétroliers, après la levée des sanctions onusiennes. Lors des discussions de New York, les Américains ont laissé entendre en termes à peine voilés que ces entreprises seraient exclues de l’attribution des futures concessions si Paris, Moscou et Pékin n’apportaient pas leur soutien au renversement de Saddam Hussein. Bien sûr, ces trois pays rêvent de limiter la puissance des États-Unis, mais ils tiennent encore plus à conserver leurs positions pétrolières en Irak dans le cas où un régime proaméricain y serait mis en place. Au mois de novembre, lors de l’adoption à l’unanimité de la résolution 1441, il est probable qu’un accord sur l’avenir du pétrole irakien a été plus ou moins tacitement conclu entre les membres permanents du Conseil de sécurité.
Pourtant, l’enjeu de la manoeuvre dépasse largement le cas irakien. La politique énergétique de Bush est en effet fondée sur l’hypothèse d’une consommation croissante de pétrole, de préférence bon marché. Le département de l’Énergie a annoncé que les États-Unis, pour répondre à l’augmentation de la demande intérieure, devraient augmenter sensiblement leurs importations au cours des vingt-cinq prochaines années. À l’horizon 2025, lesdites importations pourraient contribuer à hauteur de 70 % à la satisfaction des besoins (contre 55 % en 2001). Les réserves américaines sont en voie d’épuisement, de même que de nombreux gisements appartenant à des pays non membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Dans le futur, la majeure partie des approvisionnements viendra, selon toute apparence, de la région du Golfe. Ruinée par des années de sanctions, l’industrie pétrolière irakienne n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut. Dès que les infrastructures auront été réhabilitées et que les dégâts provoqués par la guerre auront été réparés, les vannes seront largement ouvertes.
En outre, contrôler le pétrole irakien permettrait aux États-Unis de réduire l’influence de l’Arabie saoudite. Depuis les attaques du 11 septembre, les frictions se sont en effet multipliées entre Washington et Riyad. Elles pourraient s’aggraver encore tant la population saoudienne, désormais victime de la crise économique, paraît majoritairement hostile à l’Amérique. En s’installant par procuration à Bagdad, celle-ci s’assurerait une énorme influence sur le marché mondial du pétrole, affaiblirait considérablement l’Opep et limiterait l’influence d’autres fournisseurs comme la Russie, le Mexique ou le Venezuela. La politique irakienne de l’administration Bush vise en réalité à renforcer la dépendance de l’économie mondiale à l’égard du pétrole et d’un système énergétique dont elle entend bien s’assurer préalablement le contrôle total. s
© New York Times et J.A./l’intelligent 2003, tous droits réservés.

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