La dernière vie de Roland Dumas

Relaxé en appel dans l’affaire Elf, l’ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand s’efforce de tourner la page.

Publié le 11 février 2003 Lecture : 3 minutes.

Pendant des années, ce fut toutes les nuits la même chose. À 3 heures du matin, quelle que fût l’heure à laquelle Roland Dumas s’était couché, il se réveillait. Impossible de se rendormir. Et l’horrible tentation d’en finir se présentait, séduisante.
« J’étais obsédé, se souvient-il, par le suicide de Pierre Bérégovoy(*). J’avais vu cet homme se défaire et je comprenais qu’il ait pu décider d’abandonner le combat. L’idée du suicide ne vous vient pas tout d’un coup. Au contraire, c’est un mécanisme très lent qui se produit sans que vous en soyez maître et qui, peu à peu, s’empare de votre esprit. Au début, on est certain que la vérité va apparaître et que l’injustice sera réparée. Mais rien ne change. Alors, le suicide vous semble la seule solution. C’est comme une spirale qui vous aspire. »
Pendant les deux ou trois heures qu’il mettait à retrouver le sommeil, Dumas se battait pour repousser la tentation : il réfléchissait, il lisait, il songeait à sa vie « d’avant ». Quand, sous le règne de François Mitterrand, il était l’un des puissants du régime.
C’est cet homme-là que la cour d’appel de Paris vient de relaxer dans l’un des volets de l’affaire Elf. Condamné, dans un premier temps, à six mois de prison ferme et deux ans avec sursis, voilà l’ancien ministre des Affaires étrangères enfin débarrassé d’une procédure qui a bouleversé son existence. Mais il ne parvient pas à oublier l’épreuve et continue de clamer son innocence. Tout juste consent-il à reconnaître qu’il fut peut-être « un peu léger ».
Il se souvient de ce qu’il dit au juge d’instruction Eva Joly lorsqu’elle l’interrogea pour la première fois : « Madame, vous vous apercevrez que vous faites fausse route. » Ou de cette plaisanterie cruelle qui faisait rire les socialistes et le fit, lui, le mondain amateur de bons mots, souffrir : « Mitterrand a eu deux amis avocats, Badinter pour le droit, Dumas pour le tordu. » Ou encore des quelques adversaires politiques qui lui firent part de leur soutien, des amis enfuis et – le plus difficile à supporter – du doute qui s’empara d’une partie de sa famille.
Lorsque la dépression le menace à nouveau, il repense aux jours heureux avec François Mitterrand, son ami. Les années où, jeunes tous les deux, ils dînaient chez Lipp et couraient les filles en rêvant à leur destin. Les années de pouvoir, aussi, quand ils affectaient de se vouvoyer en public et retrouvaient le tutoiement dans l’intimité. Il aurait tant à dire sur Mitterrand !
Tout cela est du passé. Aujourd’hui, son honneur retrouvé, comme il dit, Roland Dumas entame une nouvelle vie. Dans son bureau monacal de l’île de la Cité, à Paris, il n’est plus le vieillard accablé qu’il paraissait être au début de son affaire judiciaire. « Ce fut très dur, dit-il, mais il ne faut jamais se rouiller. Je ressaute à pieds joints dans la vie. » Pourtant, son existence n’est plus tout à fait la même. Longtemps, il était de toutes les réceptions, séduisant, séducteur. C’était un personnage. On faisait cercle autour de lui, on l’écoutait tant il était brillant causeur. Aujourd’hui, il a renoncé aux dîners en ville et se rend seul à l’Opéra, sa passion. De temps en temps, on le voit au théâtre, presque toujours à la Comédie-Française, beaucoup plus rarement au cinéma. La vie parisienne ne l’intéresse plus.
S’il reçoit, c’est chez lui, et surtout des amis. Il découvre de nouveaux plaisirs, comme s’occuper de sa famille, qui ne fut jamais sa grande préoccupation. Il a toujours aimé écrire et s’y consacre désormais presque tous les jours. Bien sûr, il exerce toujours son métier d’avocat, essentiellement dans des affaires d’arbitrage international qui n’aboutissent pas forcément en justice. Et la politique ? Oh ! la politique… Il la suit, bien sûr (« on ne peut pas s’en détacher complètement », dit-il), mais, à l’évidence, les nouveaux maîtres socialistes ne sont pas sa tasse de thé. Roland Dumas se garde de les juger, mais sa moue dit tout.

* L’ancien Premier ministre socialiste mit fin à ses jours le 1er mai 1993, ne supportant plus des rumeurs concernant un prêt de 1 million de francs qui lui avait été fait.

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