Kidnappeurs sans frontières

Si les cas sont fréquents dans les divorces ou les séparations difficiles, ils deviennent un casse-tête dès lors que les parents sont de nationalités différentes. Une Convention internationale existe pourtant…

Publié le 11 février 2003 Lecture : 6 minutes.

Noël 2001 à Créteil, en banlieue parisienne : Nathalie Raux va laisser ses enfants à leur père pour une semaine, avant qu’ils reprennent l’école. C’est le droit de visite, une fois toutes les deux semaines et pendant les vacances scolaires. Les relations entre les deux parents (la mère est française, d’origine sénégalaise, et le père congo-zaïrois) sont tendues depuis leur séparation deux ans auparavant. Ils sont déjà passés six fois devant les tribunaux pour régler le droit de garde et la pension alimentaire, mais le père semble avoir du mal à s’y plier et tente de monter tout le monde – institutrices, juges, famille et, pis, les enfants eux-mêmes – contre leur mère. Wendy, 13 ans, ne l’intéresse guère. C’est plutôt Nelson et Alexis, deux jumeaux de 7 ans, qu’il « convoite ».
En cette fin d’année 2001, la situation dérape. La veille de la rentrée scolaire, alors que Wendy est restée avec sa mère, le père des enfants ne ramène pas les jumeaux à leur mère le dimanche soir, comme prévu. Le lendemain, à l’école, aucune trace des enfants. Nathalie Raux prévient le commissariat. « J’ai un long roman au commissariat de Créteil », ironise-t-elle. Deux jours après, toujours pas de nouvelles, et la petite amie du père des enfants avoue à Nathalie qu’il est parti en Afrique. « Il n’avait plus l’autorité parentale, puisque le juge, après enquête des services sociaux, la lui avait enlevée », explique Nathalie. Mais un faux passeport lui a suffi pour passer la douane avec les deux jumeaux. Direction Brazzaville.
Un an après, Nathalie Raux n’a toujours pas revu ses enfants. Son dossier est passé au Bureau d’entraide judiciaire. Cet organisme tente de régler en ce moment presque deux cents cas de « soustractions internationales d’enfants », selon le terme juridique. Si les cas d’enlèvements sont fréquents dans les divorces ou les séparations difficiles, ils deviennent un véritable casse-tête dès que les couples sont de nationalités différentes ou lorsque les enfants sont emmenés à l’étranger.
C’est pour lutter contre ces drames (dont les enfants sont toujours les premières victimes) que la Convention de La Haye relative aux aspects civils de l’enlèvement international d’enfants a été signée en 1980. Elle oblige les pays qui l’ont ratifiée à rapatrier les enfants vers leur pays de résidence habituelle, en moins d’une semaine, sans attendre le jugement du divorce (ce qui peut prendre parfois jusqu’à six ans). Si, avec quelques pays, notamment les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui traitent les dossiers très rapidement, la procédure fonctionne bien, ailleurs, elle pose souvent problème.
« Malgré l’existence de la Convention, chaque pays gère l’enlèvement parental en fonction de son système judiciaire », explique Arnaud Gruselle, chargé de mission à la Fondation pour l’enfance. Les relations entre la France et l’Allemagne dans ce domaine sont difficiles : il existe beaucoup de couples mixtes, mais les magistrats des tribunaux fédéraux allemands ne sont pas forcément bien préparés à traiter ce genre de problème, contrairement au Bureau d’entraide judiciaire français, organe centralisé. Sans compter, ajoute Gruselle, qu’en Allemagne « la tradition fait qu’on écoute plus la parole de l’enfant », qui, dans la majorité des enlèvements, est manipulé par le parent « kidnappeur ».
La Convention de La Haye est donc souvent dévoyée. Un cas a été exposé en janvier dans le Wall Street Journal : une mère a ramené sa fille en Suède il y a neuf ans, sans prévenir le père américain. La Suède n’a toujours pas appliqué la Convention, et Tom Johnson n’a jamais revu son enfant.
Depuis trois ou quatre ans, les enlèvements sont de plus en plus fréquents. La raison en est simple : la facilité des voyages favorise les mariages mixtes, mais également l’enlèvement des enfants. Les billets d’avion coûtent beaucoup moins cher, et la circulation de personnes accompagnées d’enfants est banale. Donc les contrôles peu fréquents. Si l’enfant est inscrit sur le passeport du parent, il est rare que les policiers demandent l’autorisation de sortie du territoire signée par l’autre parent, qui est normalement exigée.
Pour autant, les cas les plus difficiles se passent plutôt avec les pays qui n’ont pas ratifié la Convention. Comme, par exemple, ceux dont le droit de la famille s’inspire de la charia et qui accordent au seul père l’autorité parentale. « Parmi les pays de tradition musulmane, seule la Tunisie a véritablement fait des efforts, reconnaît Gruselle. Avec ce pays, où la mère a les mêmes droits que le père, on a déjà réussi à solutionner beaucoup de problèmes. »
Les cas touchant des couples étrangers, mais de même nationalité, vivant en France sont les plus faciles à résoudre, puisque l’accord bilatéral signé entre la France et la Tunisie est bien appliqué. On arrivera à faire revenir en France un enfant de père et de mère tunisiens, si, par exemple, la mère désire rester en France.
Dans les années quatre-vingt, la France a signé plusieurs conventions avec les pays pourvoyeurs de travailleurs immigrés (voir encadré). Mais elles fonctionnent difficilement. Avec le Maghreb et, aujourd’hui, de plus en plus, les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, les cas d’enlèvements non résolus sont nombreux.
Les kidnappings peuvent être le fait autant des mères que des pères, mais, à destination de l’Afrique, ils sont en général commis par des pères qui désirent renvoyer leurs enfants au pays pour qu’ils soient élevés dans le respect de leur culture.
Avec les pays du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest, la question est épineuse, comme le constate chaque jour Audette Brun, présidente du Collectif de solidarité avec les mères d’enfants enlevés. Elle traite en ce moment environ quatre-vingts cas non résolus, dont certains remontent à plus de cinq ans. « La Convention de La Haye stipule qu’après avoir fait rapatrier l’enfant le tribunal compétent pour juger le divorce et les modalités de la garde sera celui du lieu du dernier domicile conjugal commun, explique-t-elle. Tandis que, dans les pays musulmans, c’est le père qui fixe le lieu du jugement. »
Khadidia Camara, une Mauritanienne en exil en France, a perdu quatre de ses enfants pendant les grandes vacances de 1999. Quelque temps auparavant, son mari avait fait prononcer le divorce devant les autorités mauritaniennes, et il avait obtenu la garde des enfants. Mais Khadidia n’a jamais été prévenue du divorce. Leur père les a emmenés au Sénégal en vacances, et les y a laissés. Ils vivent aujourd’hui quelque part dans la banlieue de Dakar. Impossible pour elle de savoir où exactement. La voix brisée, elle raconte qu’elle ne peut rien faire. « Si j’y vais maintenant, je ne peux pas revenir. Je n’ai pas d’argent. Alors, vous imaginez, pour ramener mes quatre enfants. J’attends que la justice française prenne une décision pour les faire revenir tous ensemble. » Pendant ce temps, au Sénégal, les enfants ont été mis dans une école coranique. « J’ai parlé au plus grand par téléphone, il me dit qu’il n’aime pas ça, qu’ils ne sont pas heureux là-bas. »
L’espoir de Khadidia ou de Nathalie Raux et de ses jumeaux est bien faible. Même si la justice française demande le retour des enfants, il faut ensuite persuader les autorités étrangères d’appliquer la décision. Et encore faut-il être en mesure de retrouver les enfants. « Dans l’un des cas que nous traitons en ce moment, explique Arnaud Gruselle, celui d’un père qui est parti avec ses deux fils au Sénégal, il a fallu l’intervention de la présidente de notre Fondation, Anne-Aymone Giscard d’Estaing, et de l’épouse du président sénégalais, Viviane Wade, qui se montre extrêmement préoccupée par les droits de l’enfant. Grâce à elles, nous allons peut-être pouvoir trouver une solution. » Malheureusement, il est rare de bénéficier de tels appuis.
Les difficultés d’application de la Convention de La Haye, tout comme des accords bilatéraux, d’ailleurs, viennent des particularités nationales et de l’exception que représente chaque enlèvement. « Je n’ai jamais vu deux cas qui se ressemblent, explique Arnaud Gruselle. Les conventions devant rester assez générales pour être compatibles avec toutes les formes de droit de la famille, elles laissent libre cours à toutes les interprétations. »
En attendant que les pays s’accordent pour donner aux enfants le droit qui leur revient de voir autant leur père que leur mère, Khadidia Camara, elle, dénonce : « Lui, il a plein de femmes là-bas. Mais il ne s’en occupe pas. Il ne s’occupe pas des enfants non plus. Moi, je n’ai rien d’autre que mes enfants. »

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