« J’attends que Gbagbo se détermine »

Plus que tout autre de ses pairs, le président burkinabè Blaise Compaoré suit de très près l’évolution de la crise chez son voisin du Sud.

Publié le 11 février 2003 Lecture : 6 minutes.

Le président Blaise Compaoré a assisté le 3 février au sommet extraordinaire de l’Union africaine à sa manière : discrètement. Hormis une rencontre avec son homologue malien Amadou Toumani Touré, dans sa suite de l’hôtel Sheraton, il assure n’avoir évoqué avec personne la situation en Côte d’Ivoire et précise qu’il s’est tenu à l’écart de la réunion de l’organe central consacré à la crise ivoirienne. Plus prolixe avec les médias français, le chef de l’État burkinabè avait, jusque-là, décliné nos propositions d’interview. Il a fallu un heureux concours de circonstances (son anniversaire, le 3 février, fêté avec les membres de sa délégation) et l’intervention de son ministre des Affaires étrangères, Youssouf Ouédraogo, pour que notre envoyé spécial puisse arracher un rendez-vous. L’entretien qui suit a eu lieu, la précision est utile, avant l’adoption, le 4 février, par le Conseil de sécurité de la résolution 1464 entérinant l’accord de Marcoussis. Réaction et analyse du numéro un burkinabè sur un texte qui a fait l’unanimité des acteurs de la crise ivoirienne, mais dont la mise en oeuvre rencontre toutes sortes de difficultés.

J.A./L’INTELLIGENT : Après l’euphorie de la signature de l’accord de Marcoussis (dans la banlieue de
Paris) sur la crise ivoirienne, le 24 janvier, et sa validation par la Conférence des chefs d’État moins de
quarante-huit heures plus tard, au Centre Kléber à Paris, auriez-vous imaginé une telle dégradation de la
situation en Côte d’Ivoire ?

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BLAISE COMPAORÉ : Nous étions partagés entre l’enthousiasme né de la signature du document et le scepticisme nourri de l’expérience de nos relations avec notre voisin du Sud.

Pourtant, dès votre retour de Paris, vous avez organisé un meeting à Ouagadougou pour afficher votre optimisme !

Ce n’était pas un sentiment feint. Parce que de hautes personnalités étaient réunies à Paris pour avaliser le texte. Outre le président Jacques Chirac, on notait la présence du secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, de Romano Prodi pour l’Union européenne, celle de Thabo Mbeki, président en exercice de l’Union africaine (UA), ainsi que celle d’Amara Essy, président intérimaire de la Commission de l’UA. Sans parler des représentants du Canada, du Japon et de bien d’autres bailleurs de fonds. Cette large représentation de la communauté internationale conférait un caractère sérieux aux engagements pris par les acteurs de la crise ivoirienne.

Faites-vous partie de ceux qui souhaiteraient que les rebelles consentent à revenir sur les portefeuilles ministériels qu’on leur a attribués et qui semblent être un obstacle à la mise oeuvre du texte ?

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Je fais partie de ceux qui sont convaincus que cela reste secondaire comparé à une adhésion claire à l’accord de base. Il propose des solutions aux problèmes de fond de la Côte d’Ivoire. Pour sa mise en oeuvre, rien n’interdit de se revoir. Nous n’en sommes pas encore là. Or le président Gbagbo ne l’a toujours pas fait !

Mais son gouvernement était représenté à la réunion de l’organe central à Addis-Abeba…

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Oui, par le chef de la diplomatie. Avec tout le respect dû à monsieur Abou Dramane Sangaré, c’est une représentation bien modeste. Surtout quand on sait que c’est le Premier ministre en personne, Pascal Affi Nguessan, qui a apposé sa signature au bas de l’accord de Marcoussis, avec le résultat que l’on constate.

Sangaré n’est cependant pas venu pour rien. Il a demandé aux chefs d’État de faire la différence entre Marcoussis et Kléber.

Mais il n’y a rien de nouveau. On enfonce des portes ouvertes. Tout le monde est conscient de la nuance entre Marcoussis et Kléber. La première rencontre a servi de cadre à la naissance d’un processus de normalisation et de réconciliation en Côte d’Ivoire ; la seconde, à prendre à témoin la communauté internationale largement représentée et, je le répète, à un niveau appréciable.

Comment s’est déroulée la conférence de Kléber ?

Au lendemain de la signature du texte de Marcoussis, tous les participants, chefs d’État, représentants d’institutions internationales et régionales ainsi que des diplomates de tous les horizons, étaient réunis au centre de conférences de l’avenue Kléber, à Paris. Nous attendions la fin des discussions en aparté entre Jacques Chirac, Kofi Annan, le président Gbagbo et le représentant des rebelles ou plutôt des Forces nouvelles, leur nouveau nom de baptême. Ces derniers auraient réclamé le poste de Premier ministre en contrepartie du maintien de Laurent Gbagbo dans le fauteuil présidentiel. Devant le refus de ce dernier, ils proposent que leur soient attribués le portefeuille de la Défense et celui de l’Intérieur, dans un gouvernement dirigé par un Premier ministre de consensus. Gbagbo accepte sans aucune hésitation. On arrive à la désignation de Seydou Elimane Diarra à la tête d’une équipe comprenant dix ministères d’État, deux pour chacun des quatre grands partis politiques ivoiriens, et deux pour les Forces nouvelles. Participants et témoins de ces tractations nous rejoignent dans la salle. Après une brève allocution de Chirac, la parole est donnée à Gbagbo, qui annonce la nomination de Diarra à la tête du gouvernement de transition. Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Francis Wodié [chef de file du Parti ivoirien des travailleurs, ndlr] sont ensuite conviés à nous rejoindre. Un micro est tendu à Diarra, qui annonce publiquement la répartition des portefeuilles. C’est ainsi que nous avions appris que ceux de la Défense et de l’Intérieur allaient aux Forces nouvelles.

Vous venez de participer à un sommet extraordinaire de l’UA. Qu’avez-vous dit à vos pairs africains ?

Je n’ai pas parlé de la Côte d’Ivoire, si c’est cela qui vous intéresse. L’ordre du jour de ce sommet extraordinaire se limitait à un seul point : l’adoption de propositions d’amendements à l’Acte constitutif. N’étant pas membre de l’organe central, je n’ai pas participé au débat sur la crise ivoirienne.

Mais la réunion était ouverte à toutes les délégations. Pourquoi vous êtes-vous abstenu ?

Pour éviter tout malentendu ou mauvaise interprétation de mes propos. Le Burkina a activement participé à toutes les initiatives de la Cedeao. La position de la communauté ouest-africaine est claire sur ce dossier. Dès lors que notre institution était représentée dans le débat par son président [le Ghanéen John Kufuor, ndlr], ma présence ne s’imposait pas.

Dans quel état d’esprit attendiez-vous l’intervention télévisée du président ivoirien ?

L’attente ne m’empêche pas de dormir. Toutefois, plus longtemps dure son silence, plus grandes sont mes appréhensions.

Pensez-vous, au jour d’aujourd’hui, qu’il puisse remettre en cause les acquis de Marcoussis ? Qu’il revienne sur les engagements pris pour régler le problème du foncier rural ou celui de la nationalité ?

Je ne pense rien du tout ! Ni en off, ni en on [allusion à l’entretien réalisé par un confrère français qui a publié un commentaire du président Compaoré donné en off the record, ndlr]. J’attends qu’il se détermine.

Les ressortissants burkinabè sont particulièrement visés par les auteurs d’exactions en Côte d’Ivoire. Votre pays envisage-t-il de saisir une instance juridique internationale ?

Ce douloureux dossier a été pris en considération par tous les documents ayant sanctionné les initiatives régionales, continentales ou internationales. Les Nations unies se penchent également sur cette question. On attend le rapport du haut-commissaire aux droits de l’homme. Nous faisons confiance au processus en cours.

Comment expliquez-vous l’attitude de la classe politique signataire de l’accord de Marcoussis qui se mure dans le silence et qui cède le débat politique à la rue ?

Je crois qu’il s’agit du produit de la gestion de la vie publique ivoirienne depuis la disparition du président Houphouët-Boigny. Ces dernières années ont été marquées par des scrutins douteux, accomplis sur la base de fichiers électoraux suspects car incomplets. Elles ont été également caractérisées par la relégation de pans entiers de la population ivoirienne à un statut de citoyens de seconde zone, voire de non-citoyens. Il y a eu de nombreux dénis de droit et un développement de l’impunité. Tout cela ne peut se faire sans laisser des séquelles graves sur la société, qu’elle soit politique ou civile.

La France est, pour le moins, dans une situation inconfortable…

Oh ! Je ne m’en fais pas trop pour elle. Ses institutions en ont vu d’autres. Et puis, la France a des moyens plus conséquents que les nôtres. Et plus d’expérience.

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