Goldorak, un géant aux pieds d’argile

Dédié aux nouvelles technologies de l’information, le Technopark de Casablanca peine à tenir ses promesses. Par manque de stratégie et de moyens.

Publié le 11 février 2003 Lecture : 5 minutes.

Une foule dynamique et affairée qui se presse à l’entrée de deux grands ascenseurs, un hall pharaonique revêtu de marbre, huit étages de verre et de béton armé… Surnommé « Goldorak » par les Marocains, le Technopark de Casablanca est un bâtiment imposant. Imposant par sa taille, certes, mais aussi par sa concentration de matière grise : spécialisées dans les nouvelles technologies de l’information, cent trente start-up, PME ou grandes entreprises y sont regroupées. Leurs activités ? Multimédia, images de synthèse, conception de sites Web, médias liés à Internet, télécoms, installation de réseaux à la pointe des technologies…
Nous sommes bien loin aujourd’hui de l’édifice décrépi, aux vitres brisées, devenu un repaire pour les clochards casablancais à la fin des années quatre-vingt-dix. Le bâtiment, aujourd’hui symbole de l’entrée du Maroc dans l’ère des nouvelles technologies, était conçu à l’origine pour être le siège de la Douane. Un projet de 20 milliards de dirhams (2 milliards d’euros) avorté pour cause d’erreur stratégique de l’administration, qui s’était aperçue, peu après la fin des travaux, que le bâtiment ne pouvait abriter ses bureaux pour des raisons pratiques et géographiques : le siège d’un organisme de l’État tel que la Douane ne peut se trouver, c’est logique, que dans la capitale du royaume, à Rabat.
Délaissé, l’édifice se détériore pendant deux ans (de 1998 à 2000)… jusqu’au jour où Hassan II, passant par là en sa royale limousine, a une illumination : cette chose aussi gigantesque qu’inutile sera un technopôle. Nous sommes en 1999. Le monarque meurt sans avoir le temps de concrétiser son projet. Mais son successeur, Mohammed VI, reste fidèle à l’idée paternelle et inaugure, un an plus tard, le Casablanca Technopark, espace dédié aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Réfection, câblage, peinture… il faudra encore un an pour que le bâtiment soit opérationnel.
Toujours propriété de la Douane, qui le loue désormais, il est exploité par la Moroccan Information Technopark Company (MITC), société anonyme à directoire et conseil de surveillance créée par l’État marocain, représenté par le secrétariat d’État aux Nouvelles Technologies, associé à un organisme public (la Caisse de dépôt et de gestion) et à un pool de quatre banques privées, entraînées dans l’initiative royale et majoritaires au sein du capital dont le montant global est de 46 millions de dirhams (4,6 millions d’euros).
La cérémonie d’ouverture, présidée en grande pompe le 8 octobre 2001 par l’ex-Premier ministre Abderrahmane Youssoufi, laisse présager des lendemains qui chantent pour les nouvelles technologies de l’information au Maroc. Mais moins de deux ans plus tard des voix discordantes se font entendre. Une crise interne, relayée par la presse nationale, éclate au grand jour : un membre du directoire de la MITC, Bouchra Boulouiz, directrice du marketing et de la communication, explique à la une du quotidien L’Économiste que la gestion du Technopark, trop focalisée sur la maintenance du bâtiment, oublie l’essentiel : son rôle de locomotive dans l’essor des nouvelles technologies. En effet, l’objectif initial du Technopark est de se positionner en tant que « facilitateur, accélérateur et catalyseur du développement économique et social du Maroc », indique la brochure de présentation. Or, reconnaît Ahmed Battas, ex-président du directoire de la MITC, « 90 % du travail effectué durant la première année d’exploitation a été concentré sur la maintenance, la mise en place de différents services dédiés aux entreprises, la location des espaces… ». Un travail titanesque d’agence immobilière, sans doute sous-estimé au départ, qui a accaparé Ahmed Battas au point de lui faire négliger – à son corps défendant, soutient-il – le développement d’une communication plus fluide entre la MITC et les start-up et autres PME du Technopark. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, Ahmed Battas n’est plus président du directoire. Sur décision du conseil de surveillance de la MITC, qui s’est réuni le 21 janvier dernier, il s’est vu confier le poste de directeur d’exploitation, cédant son fauteuil de président à un discret ingénieur-informaticien, Abderrafie Hanouf, qui ne souhaite pas, pour l’instant, faire de commentaire, estimant qu’une sortie médiatique serait « par trop prématurée ».
En attendant, les entreprises du Technopark rongent leur frein. Si les PME, dans leur majorité, s’en sortent plutôt bien, du fait de leur ancienneté – souvent antérieure à leur installation au Technopark -, de leurs activités diversifiées et tournées vers l’étranger, les start-up, elles, récentes et peu capitalisées, connaissent des débuts difficiles, révélateurs de dysfonctionnements plus profonds. En effet, la seule mesure incitative de l’État pour favoriser l’essor de ces entreprises a été de leur proposer la location des bureaux à un prix imbattable : 50 dirhams (5 euros) le mètre carré. « Mais nous ne bénéficions d’aucune exonération fiscale, d’aucun allègement des taxes, d’aucun taux dégressif sur les charges », souligne Amine el-Ouali, directeur associé d’AdventEdge Technologies, start-up spécialisée dans le développement de sites Web, le conseil et l’installation de réseaux.
La « stratégie E-Maroc », plan d’intégration des NTIC au développement du pays lancé sous le gouvernement précédent à l’initiative du secrétaire d’État aux Nouvelles Technologies, Nasr Hajji, rattaché à l’ex-Premier ministre Abderrahmane Youssoufi, semble n’avoir été que de belles paroles… envolées depuis. « L’actuel gouvernement ne paraît pas donner la même importance aux nouvelles technologies : aujourd’hui, ce secteur échoit au ministre de l’Industrie et des Mines, qui a déjà fort à faire », commente, un rien amer, Ahmed Battas.
En l’absence d’une politique incitative de l’État et d’une stratégie globale de développement du secteur, les acteurs de l’économie marocaine, dans leur grande majorité, se méfient des nouvelles technologies de l’information. Services immatériels, méconnus et novateurs… pour quoi faire, finalement ? Les opérateurs des secteurs classiques ne voient pas l’utilité de leur généralisation dans l’économie nationale… et dans leur quotidien. À commencer par les banques, méfiantes devant ce secteur nouveau, donc risqué. « C’est un cercle vicieux, commente un jeune patron de start-up. Les banques ne nous font pas confiance, nous ne sommes donc pas en mesure d’embaucher, d’investir et de nous donner les moyens de réussir. » Comble du paradoxe : quatre importantes banques marocaines détiennent pourtant les deux tiers du capital de la MITC : la Wafa Bank, la Banque commerciale du Maroc, la Banque populaire, et la puissante BMCE Bank du non moins puissant Othman Benjelloun. Difficile de refuser une proposition de partenariat lorsqu’elle vient du Palais…
En attendant, le retard pris par le Maroc dans le domaine des technologies de l’information se creuse. Ce ne sont pourtant pas les compétences qui manquent : les écoles publiques et privées forment chaque année des contingents d’ingénieurs et de techniciens de haut niveau, riche vivier pour le développement du secteur, mais qui ne servent, pour l’instant, qu’à alimenter la fuite des cerveaux. Car entre le Technopark et un contrat quatre fois plus juteux à Montréal ou à Seattle (friands d’ingénieurs marocains), le choix est vite fait…
Face à ce marasme institutionnel, les locataires du Technopark commencent à réagir. À l’initiative des start-up, un mouvement se dessine, poussé il est vrai par l’urgence : aux termes de leur contrat, celles-ci doivent quitter leurs locaux au bout de dix-huit mois d’occupation si elles ne se sont pas transformées (juridiquement) en PME. Et c’est très loin d’être le cas pour l’écrasante majorité d’entre elles. La « bulle Internet » au Maroc ? Connaît pas.

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