Coup d’État manqué

Abidjan, Lomé et aujourd’hui Monrovia. Une fièvre subversive semble s’emparer des armées d’Afrique de l’Ouest…

Publié le 11 février 2003 Lecture : 3 minutes.

Après le complot découvert récemment en Côte d’Ivoire, qui visait à renverser le président Houphouët-Boigny, après l’assassinat du président Sylvanus Olympio à Lomé, voici qu’un nouveau coup d’État vient d’ébranler un autre pays de l’Afrique de l’Ouest.
Coup d’État manqué, puisque le ministère de l’Information à Monrovia annonce l’arrestation de cinq suspects qui avaient voulu attenter à la vie du président Tubman. Parmi eux figure le colonel Thomson, commandant de la Garde nationale, qui aurait été l’âme de la conspiration. Ce dernier aurait pris contact avec de nombreux officiers de l’armée libérienne et leur aurait tenu à peu près ce langage : « Si deux cent cinquante soldats togolais réussissent à s’emparer du pouvoir, que ne pourrions-nous pas, nous qui commandons cinq mille hommes ? » Ce raisonnement – limpide – ne fut pas du goût de tout le monde. Plusieurs officiers loyalistes rapportèrent au président Tubman, qui est toujours mieux informé à Monrovia que n’importe qui, ces étranges propos. Quelques heures plus tard, les services de sécurité constataient qu’un important stock d’armes et de munitions avait disparu de la base militaire de Schiefflin, à quelque 50 km de la capitale libérienne, et mettaient la main au collet à ceux qui se voyaient déjà les maîtres du pays à la veille de la fête nationale.
Le récent putsch au Togo et le coup d’État manqué de Monrovia mettent brusquement en relief le rôle important que joue, et surtout qu’est appelée à jouer, en Afrique la nouvelle caste des militaires. Celle-ci, formée la plupart du temps dans les grandes écoles comme Saint-Cyr ou Sandhurst, ayant souvent participé aux combats de la Seconde Guerre mondiale et acquis nécessairement une expérience que n’ont pas nombre de fonctionnaires locaux, souffre d’un complexe de frustration : elle s’estime mûre pour d’autres tâches que celles de monter la garde ou de balayer les casernes. Elle n’est que trop tentée, aussi, de s’affirmer sur le politique et de prendre la relève des vieux chefs d’État, tel le président du Liberia.
Mais Tubman a réussi, une fois de plus, à déjouer les manoeuvres qui tendaient à le renverser au moment même où son quatrième mandat arrive à expiration et où des manifestations populaires, savamment orchestrées, lui « demandent » de se représenter à l’élection présidentielle. Car ce n’est pas la première fois que le plus churchilien de tous les chefs d’État africains – il fume de longs cigares bagués à son nom – échappe à un attentat. En 1956, une insurrection politique faillit lui coûter la vie : neuf condamnations à mort furent prononcées, mais jamais exécutées. En septembre 1961, 115 000 grévistes marchèrent sur le Palais présidentiel et durent être dispersés par la troupe. Le président Tubman en profitait, d’ailleurs, pour s’octroyer des pouvoirs spéciaux pour une durée de douze mois et créer des tribunaux d’exception.
Dix-huitième président de la République depuis sa fondation, le président Tubman a fait plus pour le Liberia que tous ses prédécesseurs réunis. Tous ceux qui l’ont approché louent sa jovialité, son sens de l’hospitalité et son humour féroce ; certains lui reprochent son goût trop poussé de l’étiquette et du faste : il a acheté un yacht de 463 tonnes, le seul bâtiment de la marine libérienne, dont l’entretien seul coûte 11 % du budget national. Il ne se déplace qu’en Cadillac, possède plusieurs maisons et d’immenses plantations d’hévéas. Mais ces défauts mis à part, on peut dire de lui qu’il est le premier président à avoir inculqué un semblant de sentiment national et de dignité politique au Liberia.
Il est loin le temps où un président de la République recueillait 243 000 voix alors qu’il y avait 15 000 votants, où les crédits alloués aux fanfares municipales dépassaient ceux de la Santé publique, et où on habillait des singes pour les conduire aux urnes. Tubman a changé ces moeurs. Il ne faut pas l’oublier. Mais à Monrovia même, toute opposition, si elle n’est pas formellement interdite par la loi, est impraticable. On dit qu’il existe trois partis d’opposition, mais nul n’a jamais pu citer leurs noms…

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